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Le texte ci-dessous est paru dans le
périodique de l'aleps – association pour
la liberté économique et le progrès social
-, 35 avenue Mac Mahon,
75017 Paris (ci-contre).
dont les références sont : Liberté
économique et progrès social, n°136, juillet 2011,
pp. 43-46.
Comment situer le socialisme et le communisme l’un par rapport à
l’autre ?
Comment situer les socialistes par rapport aux communistes ?
A cette double question de méthode, le XXème siècle a
apporté des réponses factuelles terrifiantes… N’y
revenons pas, tout le monde les connaît désormais
vraisemblablement.
Mais la question est malheureusement toujours bien vivante en France, en
particulier à chaque élection politique où,
malgré tout, socialistes et communistes rivalisent entre eux, voire
avec les politiques d'autres partis du moment quand ces derniers ne teintent
pas certaines de leurs propositions de leurs couleurs et quand, alors
là, l'électeur non averti n'y comprend plus rien.
Adolphe Thiers (1797-1877) a pourtant apporté une réponse
limpide à la question à l’époque où
celle-ci fleurissait : c’est le présent livre intitulé De la propriété
avec le sous-titre « du
communisme, du socialisme et de la fiscalité »,
publié pour le première fois en 1848,
que viennent de rééditer les Editions
du Trident.
La réponse est certes indirecte car le fond du livre est le bien, la
propriété et sa mise en question dans la première
moitié du XIXème siècle par les idéologies
communistes ou socialistes, mais elle est complète car, à la
destruction de la propriété par le communisme et le socialisme
qu’il explique, le livre juxtapose l’impôt, ce « vol
légal » comme l’a dénommé Vilfredo Pareto, né justement en 1848 – mort
en 1923 -, dans le Cours
d’économie politique (1896-97) qu’il donnait
à l’université de Lausanne (Suisse) .
Après une première partie – en quatorze points -
où il fait un tour complet - de la question - de la
propriété…, A. Thiers étudie, dans une
deuxième, la négation de la propriété par le
communisme, en six points, puis, dans une troisième, sa
première manipulation par le socialisme, en dix points, et enfin, dans
une quatrième, sa seconde manipulation par l’impôt, en six
points.
Le développement est d’une éminente clarté qui
n’est pas sans faire penser à celle des écrits de son contemporain,
Frédéric Bastiat (1801-50), tant sur le fond que sur la forme.
Il ressort de l’analyse que le communisme n’est pas
réductible à un « caractère », au sens de La
Bruyère, c’est d'abord la négation absolue de la
liberté humaine.
Thiers considère en particulier que, pour la propriété,
la discussion du communisme, c’est la même chose que, pour le
mathématicien, la preuve par l’absurde (ibid. p.114).
Il en va tout différemment du socialisme et du «
caractère » qu’est le socialiste et à qui Thiers réserve
une peinture au point « dix » de la troisième partie (ibid. p.251-4).
A défaut de nier absolument la propriété, des
adversaires de celle-ci en dénoncent des effets néfastes
qu'elle aurait et affirment avoir trois grands remèdes pour les
corriger, à savoir l’association, la réciprocité
et le droit au travail.
Tout cela constitue, aux yeux de Thiers, le socialisme qu’il
décrit en détails.
On remarquera en passant qu'en 1850, par exemple dans les Harmonies
économiques, Bastiat a eu, lui aussi, en ligne de mire
l’association et le droit au travail, mais pas la
réciprocité.
Thiers considère que les socialistes, qui veulent se démarquer
des communistes, sont en définitive plus inconséquents et moins
sincères.
Et notre auteur, de donner l'exemple suivant :
« … les seuls [socialistes] qui fassent quelque chose de
sérieux pour la classe dont ils s’occupent, sont ceux qui tout
simplement proposent de la payer à tant par jour, comme l’avait
imaginé M. de Robespierre, afin de l’avoir à sa
disposition.
[…] les socialistes ont la prétention d’être des
esprits plus pratiques et ils ne justifieraient à mon avis cette
prétention qu’en s’avouant factieux, car je ne saurais
définir autrement la volonté de payer à tant par jour
pour ne leur donner rien à faire, cent mille ouvriers à Paris,
cinq à six mille à Rouen et un nombre proportionné
à Lille, à Lyon, à Marseille » (ibid., p.254)
Et l’impôt, étant donné tout cela, me
demanderez-vous ?
C’est, selon Thiers, le moyen d’atteindre la
propriété.
Reste que, pour lui, l’impôt doit atteindre tous les genres de
revenus, ceux de la propriété et ceux du travail. Il doit
être proportionnel et non pas progressif.
Il ne faut pas (se) tromper, comme il le souligne : en se répartissant
à l’infini, l’impôt fait que chacun en supporte sa
part en raison de ce qu’il consomme (ibid.
p.239).
Parce que les réformes fiscales l’oublient, elles ne sont pas
dans l’intérêt des classes laborieuses qu’elles
disent vouloir satisfaire ou défendre.
Conclusion de Thiers :
« Entre les systèmes nouvellement inventés, y en a-t-il
un seul qui pourrait guérir [le] mal, le convertir en bien ?
Est-ce le communisme […]
Est-ce le socialisme […]
Est-ce l’association […]
Est-ce cette singulière réciprocité […]
Est-ce le droit au travail […]
Serait-ce enfin en bouleversant les impôts […] » (ibid. pp.315-6)
Sa réponse liminaire à toutes les interrogations se veut
factuelle et est interro-négative :
« Huit mois de misère n’ont-ils pas répondu
à ces vaines théories?».
J’ajouterai aujourd’hui, en 2011, les interrogations se posant
presque à l’identique : cent soixante trois
ans de socialo-communismes plus ou moins
achevés, ici ou là, mal finis ou en cours, n’y ont-ils
pas répondu?
Le dernier argument en date au terme de quoi « la situation des
Français serait pire si l’euro n’existait pas »
n’y englue-t-il pas ?
En 1900, Pareto a écrit pour sa part :
« Etant donné l'absence de toute résistance de la part
des libéraux, il se pourrait qu'un jour les socialistes orthodoxes [i.e. les communistes dans sa typologie]
demeurassent les seules défenseurs de la liberté et que ce
fût à leur action que notre société dût son
salut.
Déjà en Allemagne […], en Italie […]
Aujourd’hui les socialistes orthodoxes étant opprimés
réclament la liberté, mais nous la donneraient-ils s'ils
étaient, demain, les maîtres?»
La réponse principale de Thiers à la question est :
« […] on a trompé ce peuple sur la nature du mal
qu’il éprouve » (ibid.
p.319).
Ce mal, c’est la « terrible égalité de souffrance
» (ibid.
p.323).
On peut bien sûr considérer qu’il a un auteur qui est un
tyran et que le régime imposé à tous, c’est
l’égalité de la tyrannie, c’est la douleur.
Mais, selon Thiers, « la religion va plus loin que la philosophie
» (ibid.
p.324).
Je paraphraserai son propos très résumé, trop
résumé à mon goût, de la façon suivante :
il en est ainsi car la religion tire une sublime conjecture des besoins de
l’âme humaine.
Cette conjecture est un désir pour celui qui ne croit pas
complètement, elle est une certitude pour celui qui a la foi
entière.
De plus, seule la religion qu’est le Christianisme a donné un
sens à la douleur.
« L’esprit humain a eu plus d’une contestation avec elle
sur ses dogmes, mais aucune sur sa morale, c’est-à-dire sur sa
manière d’entendre le cœur humain » (ibid. p.325).
Dans ces conditions, solution de Thiers au mal dénoncé par les
uns et les autres, à quoi est censé faire face un type de
communisme ou un type de socialisme ou un type de fiscalité, il
faudrait parler au peuple comme la religion.
En vérité, le communisme l’avait compris et l'Histoire le
montrera.
Mais Thiers ne l'écrit pas expressément.
Au lecteur de mettre le doigt sur l’idée, ce qu’il peut
faire étant donné le point « six » de la
deuxième partie où Thiers explique que le communisme est une
imitation à contre sens de la vie monastique, impliquant des
contradictions qui la rendent impossible (ibid.
p.149).
Au XXème siècle, dans plusieurs écrits, Ludwig von Mises développera un argument semblable, mais
plus spécifique car articulé à l’absence des prix
en monnaie du marché dans un régime communiste, une absence qui
rend le calcul économique et celui-ci impossibles.
Et il y aura la disparition de la plupart des « grands »
régimes communistes au XXème siècle.
A l’orée de la campagne pour l’élection
présidentielle en France, programmée pour 2012, le livre
d’Adolphe Thiers est d’une actualité brûlante
quoique plus d’un siècle et demi nous sépare
désormais de sa première édition.
Le temps a passé, les idées communistes, socialistes ou
fiscales sont restées les mêmes malgré tout, mais la
vérité elle aussi reste la même.
Georges Lane
Principes
de science économique
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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