Halloween est très en avance
cette année, ce qui risque de surprendre ceux qui sont aujourd’hui trop
occupés à chercher des Russes derrière toutes les plantes en pot de Washington
DC. Les Américains devraient avant tout commencer par accepter que leur pays ait
perdu la raison.
Voilà ce qui se passe quand une
société (et les gens en général) ne parvient pas à faire face aux dilemmes
soulevés par un moment particulier de son Histoire. Toute son attention se
tourne vers le fantastique : fantômes, caprices sexuels, conspirations, discours
de persécution, légendes du Saveur. Un véritable cortège de l’irréel a pris
place ces six derniers mois, qui s’est avéré d’une grande valeur de
divertissement pour les fins connaisseurs du bizarre – jusqu’à ce qu’ils
réalisent que c’est l’avenir de leur nation qui est aujourd’hui en jeu.
La question que les Américains
feraient bien de se poser est de savoir s’ils pourront vraiment continuer de
vivre comme ils le font aujourd’hui, et par quels moyens. Ces questions d’économie
domestique restent séquestrées depuis au moins un an dans une unité de
stockage oubliée au fin fond de leur esprit collectif, alors que le tic-tac
de la bombe à retardement posée sur le pas de leur porte se fait de plus en
plus assourdissant. Cette bombe est faite de plutonium financier, et s’apprête
à exploser. Quand elle le fera enfin, le bourdonnement assourdissant des
conspirations et des histoires de fantômes s’évaporera, pour que les citoyens
commotionnés puissent enfin avoir un aperçu clair du paysage morose, toxique
et dévasté dans lequel ils vivent.
Le 15 mars marquera l’expiration
de la suspension temporaire du plafond de la dette nationale – manigancée en
2015 à l’issue d’une réunion entre Barack Obama et l’ancien président de la
Chambre, John Boehner – ce qui signifie que le gouvernement perdra sa
capacité à continuer d’emprunter de l’argent. Nous avons autant de chances de
voir le Congrès voter en faveur d’emprunts supplémentaires que de voir Xi
Jinping envoyer dimanche prochain par voie postale un petit déjeuner dim sum à
chaque foyer américain. Le Trésor des Etats-Unis se retrouvera alors avec 200
milliards de dollars d’argent de poche, et un taux de dépenses de 90
milliards de dollars par mois – une fois venu le mois de juin, le pays sera
dans l’incapacité de payer ses factures, de verser les salaires de ses
fonctionnaires, de poster les chèques de prestations sociales, ou de faire
quoi que ce soit d’autre. Le gouvernement se trouvera paralysé. Aucune
infrastructure ne pourra être financée… aucun « grand mur », aucune
sortie shopping militaire, aucune des Grandes Attentes cousues dans la toison
d’or de cette grande Trumptopie.
D’ici là, au fil de ces
prochaines semaines, Janet Yellen et sa bande d’astrologues économiques de la
Réserve fédérale auront à prendre une décision quant aux taux d’intérêt
applicables aux prêts au jour le jour. Les probabilités de les voir rehausser
les taux sont actuellement de 95%. Ils joueront cette carte alors même que la
question du plafond de la dette se matérialisera pour devenir un véritable
film d’action en temps réel. Il est bien entendu possible que la Fed s’accroche
à ses allusions méticuleusement choisies et ne fasse rien du tout. Mais cette
option ferait sans doute s’envoler en fumée ce qui lui reste de crédibilité,
étant donné qu’elle ne cesse plus de parler de hausse des taux depuis qu’elle
a commencé à réduire son programme d’achat d’obligations au printemps 2013, autrement
dit il y a très longtemps. Et comme je suis sur le point de vous l’expliquer,
la crédibilité de la Fed est synonyme de la crédibilité du dollar.
Si cette probabilité de l’ordre
de 95% s’avérait correcte, la fin de ce doux argent à bon marché marquera la
mort de la Trumphorie du marché boursier, à mesure que les feux de l’Enfer se
déchaîneront dans les fermes de serveurs de Wall Street. Apparaîtront
ensuite, sur le côté gauche de la scène, les conséquences inattendues et les
rendements décroissants de la technologie informatique, qui viendront
déchirer les attentes financières de tous les banquiers du monde, depuis
Shanghai jusqu’à 20th Street et Constitution Avenue. Le public américain se retrouvera
oublié sur le parking, la tête comme un tambour.
Profitez pleinement de ces
dernières semaines d’hystérie antirusse fabriquée et de névrose de salles de
bain LGBT. Nous aurons bien d’autres choses auxquelles penser quand les
premières jonquilles perceront dans les pelouses du pays – comme par exemple
ce que nous pourrons utiliser comme monnaie pour satisfaire à nos besoins au
cas où les distributeurs automatiques étaient mis hors service ; même
si, après seulement trois jours, il ne restera certainement plus rien à
acheter (ou à voler) dans les rayons des supermarchés, compte tenu de la
fragilité de nos chaînes de distribution. Voilà qui semble peut-être un peu
extrême, un scénario à la sauce apocalypse de zombie. Mais de zombies il ne
sera pas question. Ils n’auront été qu’un fragment du Freak Show perpétuel
qui se trouvera écarté par le théâtre bien plus austère de la réalité.