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Initialement
publié dans The
Economic Journal, Vol. LXVIII, Mars 1958 et repris dans le recueil Essays in Economic Semantics, Prentice Hall,
1963.
[Voir aussi
sur ce site, à ce sujet, le texte de
Rothbard sur Schumpeter. NdT]
Quand un terme
possède tant de significations que nous ne savons jamais ce que
veulent dire ceux qui l'emploient, il faudrait soit le supprimer du
vocabulaire du spécialiste, soit le "purifier" des
connotations qui nous embrouillent. Comme je crois qu'il est impossible
d'exclure les mots "équilibre" et
"déséquilibre" du discours économique, je
propose de les soumettre à un travail de nettoyage approfondi [1]. En essayant d'accomplir cette
tâche, je ne prendrai pas en compte les significations de ces
expressions dans d'autres disciplines.
I. Un bref compte rendu de l'usage des concepts
d'équilibre en économie
Les
économistes ont utilisé la notion d'équilibre dans de
nombreux contextes et pour poursuivre de nombreux buts ; en passant d'un
sujet à un autre, certains n'ont pas réussi à observer
la transformation de l'usage qui en était fait et des significations associées
au terme. Plusieurs de ceux qui ont senti les incongruités, les
erreurs ou l'usage complètement impropre se sont opposés
à toute "économie de l'équilibre," accablant
d'injures tout type d'analyse employant cette notion.
Les usages majeurs des concepts d'équilibre en
économie
L'usage le
plus littéral de l'équilibre et du déséquilibre,
au sens de poids égaux ou inégaux placés sur les deux
plateaux d'une balance, sans aucune explication analytique ni aucune
connotation de prédiction ou d'évaluation, se rencontre
uniquement pour des quantités mesurables en pratique, comme le revenu
et les dépenses d'un budget, les importations et les exportations dans
une balance commerciale, les articles commerciaux et les transferts de
capital à long terme dans une balance des paiements. Pourtant,
même dans ces contextes, les économistes se sont rarement
contentés de simplement mettre en balance les points des deux
côtés : ils ont habituellement cherché à les
relier à d'autres variables économiques qu'ils
considéraient comme pertinentes pour un équilibre ou un
déséquilibre plus "global" de la balance en question.
L'usage le
plus courant du concept d'équilibre en économie est
probablement celui de procédé méthodologique pour la
théorie abstraite. "Équilibre" est alors employé
en liaison avec des "modèles" contenant plusieurs variables
interconnectées ; en tant que "fiction utile," il est
utilisé au sein d'une expérience mentale destinée
à analyser les liens de cause à effet entre des
"événements" ou des "changements de variables."
On emploie un
usage différent de l'idée d'équilibre quand on se
réfère à des situations économiques
réelles : on l'utilise dans ce cas pour caractériser une
situation historique qui a duré ou qui durera relativement longtemps
sans changements importants. L'application directe du concept aux situations
observées le rend "opérationnel," pour ainsi dire.
C'est faire un grand saut que de passer de l'équilibre en tant que
procédé méthodologique (fiction utile, construction
purement mentale) à l'équilibre en tant que
représentation d'une situation historique réelle (concept
opérationnel). Je soutiendrai que le fait que nombreux sont ceux qui
l'effectuent, sans y voir la moindre tension et sans observer la
différence, peut être attribué à leur
incapacité de reconnaître la fonction du concept analytique et
que ceci conduit à une énorme confusion.
Un saut dans
une autre direction a été entrepris à partir du concept
analytique d'équilibre vers un concept de jugement de valeur. Il est
aisé de voir comme cela se produit : la notion d'équilibre
en tant que balance entre deux forces acquiert une connotation de "chose
juste" quand cette balance se produit entre des "forces
naturelles" ; ou même de "chose bonne" quand il est
envisagé comme "harmonie." Une fois que l'usage
d'équilibre comme jugement de valeur est oublié, remplacer les
forces mystiques "naturelles" par des forces politiques
"progressistes" apparaît indiqué, et de nombreux
objectifs sociaux sont incorporés dans le concept d'équilibre.
En fin de compte, l'équilibre en vient à vouloir dire
conformité avec certains objectifs qu'on demande à une
société organisée de poursuivre. Je soutiendrai qu'un
tel équilibre, intégrant un aspect politique, porte souvent
atteinte à l'utilité de l'équilibre comme outil analytique
dénué de jugement de valeur.
Un autre
concept d'équilibre comme jugement de valeur est utilisé dans
l'économie du bien-être. Dans les modèles
théoriques du ménage et de la firme, on suppose que
"l'équilibre" est recherché entre les
différents aspects des plans et des dispositions de l'individu prenant
la décision, de telle sorte que cet individu ne trouverait aucune
raison pour ajouter d'autres changements. Les anciens économistes du
bien-être ont promu cet équilibre obtenu à partir d'un
procédé méthodologique (pour l'explication du
changement) afin d'en faire un critère d'évaluation
(dénotant les meilleures situations atteignables) ; et tous ces
équilibres devinrent "optimaux" et partie intégrante
de la situation de bien-être maximale de la communauté dans son
ensemble. Les économistes modernes du bien-être s'occupent des
jugements de valeur qui restaient implicites dans une telle procédure
et essaient de les mettre en avant. On énonce et modifie alors avec
soin des propositions concernant les conditions dans lesquelles certains
"équilibres d'allocation et de distribution" de
l'économie prise dans son ensemble coïncideraient avec tout ce
qui est considéré comme la "fonction de bien-être
social la plus élevée."
Cet article ne
s'intéressera pas à l'économie du bien-être. Mais
il s'intéressera, dans une certaine mesure, à l'usage en
économie positive (explicative) d'un concept d'équilibre
chargé de valeurs. Le but principal de l'article est de montrer les
dangers menaçant une analyse claire, dangers qui pourraient provenir
de l'incapacité de distinguer les différences entre les
concepts d'équilibre : analytique, descriptif ou destiné
à une évaluation. Comme préalable, nous allons porter
une attention plus grande que celle habituellement rencontrée à
la fonction du concept purement analytique d'équilibre dans la
théorie économique.
L'idée de base : perturbation et ajustement
Dans l'analyse
économique, certains événements (ou changement des
variables économiques) sont interprétés comme
"l'ajustement" du système à une
"perturbation" provenant de certains événements (ou
changement des variables économiques) précédents. On
utilise plusieurs expressions alternatives pour exprimer cette idée
d'ajustement à une perturbation ; par exemple, des
réponses à une impulsion ; des réactions ou des
répercussions suite à un changement important ; des effets
ou des conséquences d'une cause ; des changements induits suite
à un changement autonome ou spontané ; un retour vers
l'équilibre suite à un événement
déséquilibrant. On construit un procédé
conceptuel pour établir un lien causal entre deux changements, ou deux
ensembles de changements ; cette relation de cause à effet est
expliquée, pour des raisons que nous allons montrer, comme mouvement
de déséquilibre plus mouvement d'équilibre, ou comme le
fait de quitter une situation d'équilibre suivi d'un mouvement vers
une autre situation d'équilibre.
L'idée
d'équilibre est employée dans ce cas comme outil mental, comme
procédé méthodologique ; elle aide à
établir, pour notre satisfaction, un lien causal entre
différents événements ou changements. Les
événements ou les changements peuvent être
imaginés tout comme ils peuvent être observés ; un
lien causal entre eux ne peut qu'être imaginé, et l'idée
d'équilibre a pour fonction, comme nous allons le voir, de rendre ce
lien plausible.
II. Le rôle de l'équilibre dans l'analyse
économique
Après
une brève discussion du contenu et du fonctionnement des
"modèles" de l'analyse économique, nous
présenterons un schéma à quatre étapes du
raisonnement causal, exposant l'usage stratégique de l'équilibre.
Nous entreprendrons ensuite une discussion de la relativité de l'équilibre
par rapport aux variables sélectionnées, aux interconnections
supposées et à la durée d'ajustement autorisée.
Et nous essaierons de donner une définition de l'équilibre.
Le contenu et le fonctionnement d'un modèle
En
économie, un modèle analytique n'a pas besoin d'être
"composé de fonctions algébriques ou de courbes
géométriques, ni d'aucun autre matériau fantaisiste de
construction." [2] Il peut être
entièrement décrit avec des mots, à moins que ceci ne
devienne trop lourd. Mais peu importe comment c'est fait, il faut fournir
à celui qui contrôle le modèle une totale
spécification de son contenu.
Le
modèle contient d'habitude un certain nombre de variables (par
exemple, les prix, les productions, les revenus, les exportations, etc.) et
un certain nombre de relations stipulées entre les variables (par
exemple, la quantité demandée variera d'une certaine
façon avec le prix ; les importations totales seront une certaine
fonction du revenu disponible, etc.). A côté des relations
d'identité (par exemple, le revenu est la somme de la consommation et
de l'investissement), il peut y avoir des relations techniques (par exemple,
entre les entrées et les sorties), des relations institutionnelles
(par exemple, entre les impôts et le revenu) et des relations portant
sur le comportement économique (par exemple, entre les encaisses
monétaires et les dépenses). On fait marcher le modèle
quand un expérimentateur mental manipule un changement d'une variable
"indépendante" et "observe" comme ceci affecte les
variables dépendantes en agissant sur elles d'après les
relations supposées.
Les quatre étapes
Le
schéma suivant illustre le fonctionnement pas à pas d'un
modèle ; chaque étape est décrite à la fois
avec les termes techniques habituels et à l'aide de phrases slogans du
langage de tous les jours :
Étape 1. Situation initiale :
"équilibre," c.-à-d., "Toutes les choses peuvent
continuer comme elles sont."
Étape 2. Changement
déséquilibrant : "nouvelle donnée,"
c.-à-d., "Quelque chose se passe."
Étape 3. Changement d'ajustement :
"réactions," c.-à-d., "Les choses doivent
s'ajuster entre elles."
Étape 4. Situation finale :
"nouvel équilibre," c.-à-d., "La situation n'a
plus besoin de nouveaux ajustements."
Les
étapes 2 et 3 peuvent correspondre à des changements
observables ; parfois seule l'une d'elles est en réalité
"observée" et on s'attend seulement à ce que l'autre
se produise comme conséquence, ou se soit produite comme
antécédent, respectivement. Si les deux sont observées
conjointement ou successivement, le théoricien le considérera
comme une "vérification" de la théorie qui les relie
de la manière décrite, et aura une plus grande confiance dans
cette théorie. [3] Mais si le changement correspondant
à l'étape 2 est appelé
"déséquilibrant" et "nouvelle
donnée," et si le changement correspondant à
l'étape 3 est appelé "d'ajustement" et
"réactions" (vis-à-vis du changement
considéré comme "déséquilibrant"), ce
n'est pas dû à l'observation : ce n'est qu'une
interprétation. Pour être plausible, cette interprétation
nécessite deux autres étapes.
Afin
d'établir que les changements de l'étape 3 sont les effets de
ceux de l'étape 2 et de rien
d'autre, nous devons nous assurer qu'il n'y a rien d'autre dans le
tableau qui puisse être responsable des changements de l'étape
3. Il n'y a qu'une façon de la faire : nous devons isoler
l'étape 2 comme cause possible des changements de l'étape 3 en
excluant du modèle toutes les autres causes possibles. Cette exclusion
des causes alternatives est accomplie par l'étape 1, la situation
initiale de l'équilibre, la situation dans laquelle "Toutes les
choses peuvent continuer comme elles sont," sans tendance
inhérente au changement. Si nous n'étions pas sûrs de
"l'équilibre" initial nous ne pourrions pas être
certains que l'étape 3 ne puisse se produire sans l'étape 2,
par suite du résultat de quelque chose existant déjà
dans la situation initiale. L'hypothèse d'un équilibre initial
sert à garantir à la "nouvelle donnée" de
l'étape 2 le statut de changement perturbateur unique, de cause unique de tout ce qui suit dans le
modèle (c'est-à-dire des changements interprétés
comme "ajustement" au, ou effet dû, changement
"déséquilibrant").
Afin de
s'assurer que les changements de l'étape 3 constituent tous les effets que le changement de
l'étape 2 peut avoir dans le modèle et que nous avons donc la
liste complète des changements d'ajustement, nous devons être
sûrs qu'aucun "ajustement supplémentaire" n'est requis
par la situation. Il n'y a qu'un façon pour cela : nous devons
nous occuper de la suite des changements d'ajustement jusqu'à obtenir
une situation où, sans autre perturbation extérieure, toutes
les choses peuvent continuer comme elles sont. En d'autres termes, nous
devons continuer jusqu'à l'obtention d'un "nouvel
équilibre," situation considérée comme finale parce
qu'aucun autre changement ne semble requis par les circonstances. Le postulat
de l'équilibre final sert à garantir que la liste des
"changements d'ajustement" de l'étape 3 est complète.
Bref, nous
avons ici une expérience mentale dans laquelle la première et la
dernière étape, l'hypothèse d'équilibres initial
et final, sont des procédés méthodologiques pour
garantir que l'étape 2 est la seule cause et que l'étape 3
contient la liste complète des effets. La fonction de
l'équilibre initial est d'assurer que "rien en dehors de 2"
ne cause les changements de l'étape 3 ; la fonction de l'équilibre
final est d'assurer qu'on attend "rien en dehors de 3" comme effet
des changements de l'étape 2 (bien que le caractère
"complet" de la liste des effets sera toujours relatif à
l'ensemble des variables incluses dans l'équilibre).
Il existe
quelques analogies simples entre le modèle des expériences
mentales et celui des expériences de laboratoire. L'étape 1,
l'hypothèse d'un équilibre initial, correspond à
l'exigence d'une expérience contrôlée qui veut que les conditions soit
conservées constantes et que le changement effectué de la
variable sélectionnée soit ainsi isolé des changements
d'autres variables indépendantes. L'étape 4, l'hypothèse
d'un équilibre final, correspond à l'exigence d'une
expérience complète qui veut que tous les changements
soient observés et notés jusqu'à ce qu'aucun autre
changement des variables dépendantes ne se produise.
Le large choix de l'ensemble des variables à
l'équilibre
Le
théoricien de l'économie jouit d'une grande liberté de
choix quant à la construction de ses modèles et quant à
la sélection des variables incluses. Les contraintes sont peu
nombreuses et pas très restrictives : cohérence logique du
modèle dans son ensemble, pertinence des variables retenues pour le
problème analysé, "compréhension" des
relations supposées entre les variables devant rester plausible et
possibilité d'appliquer le modèle au sens que les
événements ou changements supposés et déduits
(comme étapes 2 et 3, respectivement) "correspondent" plus
ou moins avec les événements ou les changements observés
ou connus comme se produisant dans la réalité. Ceci laisse
grand ouvert le choix de ce qu'il faut introduire dans
"l'équilibre." Le système peut contenir peu ou
beaucoup de variables ; il peut postuler des relations internes de
nombreux types différents ; il peut
délibérément exclure des interactions de variables
prenant longtemps à s'estomper ou, au contraire, oublier les
oscillations régulières de certaines variables pendant de
courts intervalles temporels. (C'est principalement cette liberté de choix
qui rend souvent presque sans signification le fait de déclarer qu'une
situation économique concrète du monde réel,
identifiée par une date historique et un espace géographique
mais non spécifiée quant aux variables
sélectionnées, est une situation d'équilibre ou de
déséquilibre.)
Pour prendre
conscience de l'étendue de la liberté de sélection des
variables qui sont supposées exister à l'équilibre, il
suffit de penser aux modèles simples "d'équilibre
global" et à leur extension progressive via l'inclusion de
variables ou de relations additionnelles. On peut se rappeler d'abord
l'équilibre standard entre trois agrégats stratégiques,
le revenu national, la consommation et l'investissement, reliés par
une simple fonction de consommation, l'investissement étant
supposé donné. On se rappellera ensuite l'équilibre
global plus compliqué comprenant une ou plusieurs variables ou
relations suivantes : une fonction d'investissement faisant
dépendre l'investissement du revenu ou de la consommation, ou des
changements absolus ou relatifs du revenu ou de la consommation ; des
variations des rentrées provenant des exportations et des paiements
des importations, les premières affectant le revenu et les secondes
dépendant du revenu ; des variations des dépenses du
gouvernement et des rentrées fiscales, dépendant du revenu et
affectant la consommation (et peut-être aussi l'investissement) ;
une fonction de consommation reliant cette dernière à diverses
valeurs passées du revenu, aux valeurs réelles des avoirs, aux
valeurs nominales des avoirs ; et ainsi de suite. Les combinaisons
possibles même de ce petit nombre de variables et de relations globales
permettent une énorme variété de situations
d'équilibre. Pourtant, tous ces équilibres mettent encore de
côté des variables comme les prix, les salaires horaires, les
taux d'intérêts, les taux de conversion monétaire, qui
sont toutes des candidates possibles à l'inclusion dans le
système.
La
"relativité" d'un "équilibre du commerce
international," en ce qui concerne les relations et les variables prises
ou non en compte, mérite un commentaire séparé. Pour
certains problèmes on choisira de commencer à partir d'une
situation de commerce équilibré ; pour d'autres
problèmes on choisira de partir d'une situation avec un volume
donné d'investissements étrangers, et donc d'un
"excédent d'exportations d'équilibre,"
excédent compatible avec un équilibre du marché des
changes ; et pour d'autres problèmes encore on choisira de partir
d'un équilibre du revenu, de la consommation, de l'épargne et
de l'investissement, avec un excédent ou un déficit du
marché des changes comme faisant partie du volume d'investissements
compatible avec les valeurs d'autres agrégats. Si le système
comprend seulement ces agrégats, mais ne tient compte ni de la situation
des réserves étrangères ni des liquidités
bancaires, on peut dire que l'équilibre final est obtenu avec un
déficit commercial, ce dernier étant égal à
l'excédent de l'investissement intérieur par rapport à
l'épargne totale. Cet équilibre final - où aucun
ajustement supplémentaire n'est requis pour les variables
sélectionnées - peut impliquer des changements continuels des
variables négligées : par exemple, les réserves
étrangères peuvent continuer à baisser vers zéro
et les portefeuilles de prêts des banques à s'accroître
sans limite. [4]
L'équilibre
sera fréquemment associé à un ensemble de variables qui
n'arrive pas à en inclure certaines qui sont à la fois
pertinentes et importantes pour les problèmes pratiques ; un tel
équilibre est parfois dénoncé comme un outil d'analyse
sans valeur et dangereux. Il est certain que si un économiste devait
baser des recommandations politiques sur une analyse se restreignant à
de tels modèles d'équilibre trop simplifiés, il serait
coupable d'un grand manque de jugement. Pourtant, de tels modèles
peuvent avoir une valeur heuristique considérable. Cette valeur n'est
pas diminuée si un important facteur est mis de côté,
pourvu que cette omission ne soit pas commise par inadvertance. En fait,
l'importance d'un tel facteur ne peut être démontrée
qu'en le laissant de côté et en montrant alors la
différence que cela fait lorsqu'il est réintroduit en tant que
variable du système à l'équilibre.
Temps et équilibre
Plus souvent
qu'à son tour, le temps est écarté de la construction et
du fonctionnement des modèles d'équilibre. Si le temps est pris
en compte, ceci est fait de diverses façons, implicitement ou
explicitement.
Dans ce qu'on
appelle une analyse périodique, le temps joue deux rôles :
il apparaît en tant que variable indépendante et comme indice
des autres variables. Dans le second rôle, il "date" les
quantités qui sont reliées par des relations mutuelles
stipulées et décalées dans le temps - où la
valeur d'une variable à une période est reliée aux
valeurs de la même et/ou d'autres variables à d'autres
périodes. Et, en tant que variable indépendante
séparée, le temps détermine les valeurs que les autres
variables atteignent en certains points de leur chemin vers les valeurs
d'équilibre. Et, de plus, le temps sert à identifier
l'équilibre final comme la situation où un autre
incrément de t laisse les autres grandeurs
inchangées.
Dans une
analyse périodique, tout comme dans certains autres types d'analyse
séquentielle, les situations successives sont parfois des
"équilibres temporaires," que le modèle puisse ou non
jamais atteindre un équilibre final ; dans d'autres cas, cependant,
les situations successives, bien que déterminées, ne sont pas
précisément caractérisées comme des
équilibres temporaires. Comme exemple de ce second type, nous pouvons
penser au modèle décrivant le théorème de la toile
d'araignée. Si la courbe de demande (non dépendante du temps)
est plus pentue que la courbe d'offre (décalée dans le temps),
le modèle ne produira pas d'équilibre final, alors que les
intersections des "courbes d'offre instantanées" avec la
courbe de demande détermineront chacune un point d'équilibre
temporaire. Chacun de ces équilibres est stable (au sens que des
déviations aléatoires sont auto correctrices) ; chacun est
également "final" vis-à-vis de la courbe d'offre
instantanée particulière - bien qu'il soit
"temporaire" si la courbe d'offre évoluant dans le temps est
prise en compte. Ainsi, la même et unique situation, définie par
un ensemble fini de variables de valeurs données, sera à la
fois un équilibre et un déséquilibre, selon la longueur
de la durée prise en considération. [5]
En traitant
cette question, le théoricien a le choix entre deux procédures
équivalentes : il peut soit faire varier l'intervalle maximal de
temps autorisé pour le processus d'ajustement (avec des coefficients
temporels donnés pour les relations impliquées), soit changer
la combinaison des variables constituant le modèle. La seconde
possibilité est la procédure d'Alfred Marshall pour montrer
l'ajustement de l'offre d'un produit particulier. Il fait la distinction
entre un équilibre instantané du marché, un
équilibre du marché à court terme et un équilibre
du marché à long terme, non pas en fonction du temps
nécessaire pour que les ajustements se produisent, mais en augmentant
la liste des variables dépendantes : pour le premier
équilibre, la production est fixée ; pour le
deuxième, la production peut varier mais la capacité de
production est fixée : pour le troisième, la
capacité de production peut varier et seules les ressources
productives potentiellement disponibles pour l'industrie sont fixées.
Le temps lui-même n'est pas une variable du modèle ;
à la place, il y a trois modèles (ou sous-modèles) avec
des équilibres séparés ; chaque équilibre est
"final" selon ses propres termes, mais "temporaire" selon
les termes du modèle qui comprend davantage de variables. [6]
Il serait
erroné de penser qu'une extension de la liste des variables est
toujours équivalente à un ajustement à "long
terme." Le contraire pourrait bien être vrai : l'ajout de
variables peut raccourcir la période d'ajustement. Prenez, par
exemple, le simple équilibre entre épargne et investissement
dans un modèle périodique démontrant le principe du
multiplicateur. Si la consommation est reliée au revenu reçu
lors de la période précédente, et que la propension
marginale à consommer est élevée, le nombre de
périodes requises pour porter le revenu à un niveau proche de
la valeur d'équilibre final serait énorme. Ce modèle
suppose implicitement des stocks illimités de ressources non
employées et d'encaisses inutilisées ou nouvellement
créées. Si le modèle est étendu pour inclure des
variables comme le chômage (limité), les salaires, le stock
(limité) de monnaie et les taux d'intérêt, le mouvement
vers l'équilibre de cet ensemble plus vaste de variables se produira
en un nombre bien plus réduit de périodes (et, bien sûr,
la valeur d'équilibre du revenu sera plus faible). [7]
Tout comme
l'équilibre peut, par construction, ne pas prendre en
considération les ajustements qui vont au-delà d'un certain
ensemble de variables ou au-delà d'un certain temps,
l'équilibre peut aussi, par construction, ne pas prendre en compte
certaines oscillations ou fluctuations à court terme. Par exemple, les
changements de la demande ou de la production qui peuvent être
interprétés comme des fluctuations régulières -
associées aux différentes heures du jour, aux différents
jours de la semaine, aux différentes saisons de l'année -
peuvent être acceptés comme faisant partie de l'équilibre
stationnaire (ou simplement mis de côté si les fluctuations sont
hors de propos du problème étudié), pourvu que les
"conditions sous-jacentes" demeurent stables au cours du processus.[8] Mais les oscillations et les
fluctuations ne doivent pas être admises comme faisant partie d'une
"situation d'équilibre" sans que l'on soit en mesure de
supposer qu'elles puissent, avec les lois du modèle, continuer avec un
caractère parfaitement périodique, sans aucun changement
d'amplitude ou de rythme.
Définition de l'équilibre
Nous n'avons
jusqu'ici pas essayé d'énoncer une définition de
l'équilibre, bien que la signification du terme est probablement
devenue assez claire. A la lumière de la discussion
précédente, nous pouvons définir un équilibre, dans
l'analyse économique, commune constellation de variables
corrélées et sélectionnées qui sont
ajustées entre elles de telle sorte qu'aucune tendance au changement
ne se manifeste dans le modèle qu'elles constituent. Le modèle,
tout comme ses équilibres, ne sont, bien entendu, que des
constructions mentales (basé sur l'abstraction et l'invention).
On m'a
suggéré que l'expression "balance des forces" devrait
faire partie de toute définition de l'équilibre. Je ne peux pas
accepter cette suggestion : "équilibre des forces"
n'est tout bonnement qu'une autre métaphore, peut-être un
synonyme mais pas une explication de "l'équilibre," et elle
est malencontreusement encombrée de la référence
à des "forces," ce qui constitue un concept plutôt
mystique nécessitant un travail de nettoyage séparé qui
prendrait du temps. Mais si l'on croit que des métaphores
supplémentaires peuvent être utiles pour définir ou
expliquer l'équilibre, je proposerais alors l'expression de
"coexistence pacifique" entre des variables
sélectionnées de valeurs données. Lorsqu'une telle
"coexistence pacifique" n'est pas possible, lorsque les variables
sélectionnées ne sont pas
compatibles entre elles
pour les valeurs données, une ou plusieurs d'entre elles devront changer,
et continueront à changer jusqu'à ce qu'elles atteignent des
valeurs qui leur permettent de vivre ensemble telles quelles.
Ainsi, nous
pouvons proposer comme définition alternative de l'équilibre la compatibilité mutuelle
d'un ensemble sélectionné de variables corrélées
ayant certaines valeurs. Supposons que l'ensemble consiste en les
variables A, B, C et D,
et qu'on fait l'hypothèse de certaines relations entre elles (sous la
forme d'équations du comportement, de relations techniques,
psychologiques ou institutionnelles, ainsi que de simples
définitions). Si ces variables sont compatibles pour leurs valeurs
«actuelles," alors "toutes les choses peuvent continuer comme
elles sont." Puis "quelque chose se passe" qui diminue la
valeur de la variable C.
Cette nouvelle valeur n'est plus compatible avec celles de A, B et D,
et "les choses doivent s'ajuster entre elles." Laquelle des
variables bougera et de combien dépendra des règles du jeu,
exprimées par les relations supposées entre les variables. A la
fin, les nouvelles valeurs des quatre variables pourront être telles
qu'elles soient à nouveau compatibles entre elles, et "la
situation n'a plus besoin de nouveaux ajustements".
Le cœur
du problème est que l'addition d'une autre variable, reliée d’une
manière ou d'une autre aux autres, changerait le tableau. Les valeurs
pour lesquelles A, B, C et D sont mutuellement compatibles quand
elles sont seules en jeu peuvent présenter une sérieuse
incompatibilité quand on leur ajoute une autre variable, disons E, d'une certaine grandeur.
Mais un autre ajout, disons de F,
peut neutraliser l'effet "perturbateur" de E, et les valeurs
"actuelles" de A, B, C et D peuvent à nouveau être
compatibles et "toutes les choses peuvent continuer comme elles
sont." On n'insistera jamais assez sur cette relativité de la compatibilité et de
l'incompatibilité en ce qui concerne les variables
supplémentaires incluses ou exclues de l'ensemble
sélectionné. Seule une énumération
complète des variables sélectionnées et des relations
supposées entre elles peut donner un sens aux affirmations quant
à leur compatibilité ou incompatibilité mutuelle,
c'est-à-dire à l'équilibre ou au déséquilibre
de l'ensemble choisi. Et, alors qu'une spécification
des variables sélectionnées et des relations supposées
entre elle est requise pour tout modèle et tout problème, la définition d'un équilibre ou d'un
déséquilibre ne doit pas restreindre la liberté de
choix.
III. Réalité hors de propos et politique
déguisée
Bien que je
reconnaisse l'existence d'autres concepts d'équilibre en
économie, je n'ai présenté que celui destiné
à l'analyse théorique. Je soupçonne sérieusement
que ceux qui utilisent les concepts d'équilibre pour d'autres buts,
par exemple pour décrire ou pour évaluer des situations
historiques, croient qu'un seul et même concept peut remplir un double
ou triple fonction. C'est ce que je conteste. Mon travail dans cette partie
ne peut pas être utilisé pour d'autres buts sans perdre beaucoup
de son utilité dans l'analyse.
Un concept non opérationnel
L'équilibre
comme outil pour l'analyse théorique n'est pas un concept
opérationnel ; et les tentatives de développer des
contreparties opérationnelles à cette construction ont connu
l'échec. [9] Certaines variables d'un
modèle ont habituellement des contreparties statistiquement
opérationnelles ; dans de rares cas toutes en ont. Mais
même dans cette configuration, la compatibilité entre les variables est toujours
fonction des relations supposées entre elles et de la limitation du
modèle à ces variables choisies. Le "monde
réel" a sûrement infiniment plus de variables que n'importe
quel modèle économique abstrait, et leur relations
"réelles" ne sont ni connues ni, je le crains, connaissables
(en partie parce qu'elles changent vraisemblablement de façon
imprévisible au cours du temps). Il s'ensuit que l'équilibre
entre les variables sélectionnées ne pourrait pas être observé
même si chacune des variables avait une contrepartie dans le monde
réel.
Certaines des
variables d'un modèle qui ont une contrepartie observable et mesurable
peuvent parfois être arrangées dans des sous-ensembles sous la
forme de pages de balances comptables, de relevés de comptes ou
financiers, ce qui nous permet de trouver une balance entre deux parties et
de parler (de manière confuse) d'un "équilibre" ou de
"déséquilibre" pour ce sous-ensemble. Par exemple,
les exportations et les importations peuvent être arrangées dans
une balance commerciale, ou certains articles du commerce international, une
partie du capital ainsi que d'autres transferts peuvent être
arrangés dans une balance comptable des paiements. [10] Ce qu'on appelle équilibre
pour ces points signifie simplement une égalité entre les
sommes correspondant à chaque membre de l'équation et ce qu'on
appelle déséquilibre veut dire inégalité des
sommes. Mais ce n'est que lorsque ce sous-ensemble est relié à
d'autres variables - le revenu, la consommation, l'investissement, les prix,
l'emploi, les salaires, les taux de change, les taux d'intérêt,
les réserves étrangères, les réserves bancaires,
les prêts bancaires, etc. - qu'il devient un facteur de l'analyse
économique. Et ce n'est qu'après avoir
sélectionné les variables et fait des hypothèses sur
leurs relations que nous pouvons parler d'équilibre ou de
déséquilibre. Malgré ce sous-ensemble
opérationnel, le modèle dans son ensemble et son
équilibre ne sont pas observables, pas opérationnels : ils
restent des constructions mentales.
Des
considérations peut-être semblables, peut-être très
différentes, ont un jour conduit Per Jacobsson à faire
l'observation suivante à ce sujet : "Vous ne pouvez pas plus
définir d'équilibre dans le commerce international que vous ne
pouvez définir une jolie fille, mais vous savez les reconnaître
quand vous en rencontrez." [11] J'aime cette remarque pour son
charme et son esprit, mais je me demande si elle atteint son but. Je pense
que je suis assez compétent pour reconnaître une jolie fille,
bien que mes goûts puissent ne pas être les mêmes que ceux
d'un autre observateur expert. Mais je ne sais pas reconnaître un
équilibre du commerce international, aussi consciencieusement que je
regarde. Je peux le définir, au moins pour ma propre
satisfaction ; mais je ne sais rien reconnaître dans la
réalité - dans les chiffres statistiques représentent
les "faits" d'une "situation réelle" - de tel
qu'un équilibre du commerce international dans le sens dont nous avons
parlé, c'est-à-dire comme situation où "toutes les
choses peuvent continuer comme elles sont" et où "la
situation n'a plus besoin de nouveaux ajustements" par rapport à
tout ce qui a pu se passer.
Caractériser
une situation concrète "observée" dans la
réalité comme étant celle d'un
"équilibre" revient à commettre l'erreur d'une
réalité hors de propos. Au mieux, l'observateur peut vouloir
dire qu'à son avis la situation observée et dûment
identifiée correspond à un modèle dans sa tête,
où un ensemble de variables sélectionnées
détermine un certain résultat, et qu'il ne trouve aucune cause
inhérente de changement - c'est-à-dire qu'il croit que seule
une perturbation extérieure, dont il n'y a pas de traces en ce moment,
pourrait conduire à un changement de ces variables. Ceci, bien
sûr, est un jugement personnel, ne signifiant quelque chose que si les
variables sont totalement énumérées et si les
hypothèses sur leurs relations sont clairement énoncées.
Vu l'état actuel des choses, toute situation économique réelle
peut correspondre au même instant à un équilibre dans un
modèle et à un déséquilibre dans un autre.
L'usage du
concept analytique d'équilibre pour qualifier une situation historique
concrète est considérée comme une
"réalité hors de propos," tout d'abord en raison de
l'erreur générale consistant à franchir la distance
entre une fiction utile et des données particulières d'une
observation et, ensuite, en raison de l'erreur consistant à oublier la
relativité de l'équilibre par rapport aux variables et aux
relations retenues. Un nombre illimité de modèles peut se trouver
"correspondre" à une situation réelle d'une
façon ou d'une autre, et le choix n'est dicté par aucune
prétendue réalité de la vie, ni par aucune convention
des analystes. [12]
L'expression
"relativité de l'équilibre" exprime que pour des
faits, n'importe quel nombre et combinaison de variables peuvent être
choisis pour un modèle, selon les habitudes, talents ou buts
analytiques ou didactiques de l'économiste ; que les mêmes
valeurs de variables peuvent rendre compte à la fois d'un
équilibre et d'un déséquilibre, selon les autres
variables qui les accompagnent et selon les relations qu'elles sont
supposées suivre ; et que différents problèmes
(concernant peut-être la même situation réelle) peuvent
faire appel à des modèles très différents dans
l'analyse.
L'équilibre n'est pas la stabilité
La
stabilité au sens d'invariance au cours du temps a quelques liens avec
la notion d'équilibre, ce qui peut facilement conduire à les
confondre. Comme l'équilibre est la situation où toute chose
est si bien ajustée aux autres choses - du modèle - que tout
peut continuer sans changement, il s'ensuit certainement une stabilité
au cours du temps (au moins jusqu'à la prochaine perturbation). Et
comme un changement perturbateur doit être isolé - dans le
modèle - de toute autre chose réclamant des changements
d'ajustement, ceci implique que "toutes les autres choses restent en
l'état" - en particulier les relations supposées dans le
modèle entre les variables ; en fin de compte, nous
présupposons la stabilité de beaucoup de choses pendant la
durée du processus appelé "retour vers un
équilibre" dans le modèle. Puisqu'il y stabilité de
toutes les choses au début et à la fin du processus
imaginé, et stabilité de beaucoup de choses entre le
début et la fin, le lien logique entre stabilité et
équilibre est certainement très grand.
En outre, il y
a la signification spéciale de "la stabilité de
l'équilibre" selon laquelle un "équilibre
stable" se distingue d'un équilibre "instable" en
fonction de la présence ou de l'absence d'un mécanisme
"d'autocorrection" des variations aléatoires des valeurs
d'équilibre des variables impliquées.
Cependant,
aucune de ces notions de stabilité n'a grand chose à voir avec
la stabilité d'un prix ou d'une quantité observé dans la
vie réelle. Un prix réel peut être stable pendant
longtemps sans nous obliger à le considérer comme un prix
d'équilibre dans le modèle que nous choisissons pour
l'expliquer. Un prix réel peut être très instable,
montant et tombant comme un fou, alors que nous trouvons plus pratique
d'expliquer ces changements grâce à des modèles montrant
une rapide succession d'équilibres parfaitement stables, les
différents prix d'équilibre étant dus à une
rapide succession de changements déséquilibrants
exogènes.
Nous pouvons
conclure que "stabilité observée" et
"instabilité observée" ne doivent pas être
confondues avec, ni attribuées à, respectivement, un
équilibre et un déséquilibre dans les modèles
analytiques.
L'équilibre n'est pas un jugement de valeur
L'équilibre
tel qu'employé dans l'analyse économique positive - à
distinguer de l'économie du bien-être - ne devrait pas
être pris comme un jugement de valeur, ni comme une
référence à un "état désirable des
choses." L'équilibre n'est une Bonne Chose, ni le
déséquilibre une Mauvaise Chose. Le contraire n'est pas non
plus justifié : l'équilibre ne veut pas dire le status quo, ni le laissez-faire, comme certains
économistes dissidents ont été amenés à le
penser.
Si l'analyse
d'un équilibre est employée pour expliquer une triste situation
comme résultat d'équilibre de certaines conditions et de
certains événements, il serait idiot de transférer notre
aversion pour la situation vers le concept d'équilibre utilisé
lors de l'explication. Et si une situation déplorable n'est pas
appréciée et est considérée comme
intolérable, l'appeler déséquilibre pour cette raison
n'aide ni à analyser, ni à développer la meilleure
politique pour l'améliorer.
Bien
sûr, il est parfaitement légitime de permettre à nos
jugements de valeur de nous suggérer les problèmes à
analyser. Si nous trouvons souhaitable d'assurer le plein emploi à des
salaires élevés, nous pouvons construire des modèles
pour nous dire quelles conditions (relations entre les variables)
conduiraient à un plein emploi et à de hauts salaires
compatibles avec les valeurs données des autres variables de
l'ensemble ; ou qu’elles devraient être les valeurs de ces
autres variables afin d'être compatibles avec le plein emploi et les
hauts salaires, les relations étant données. Si nous, ou
d'autres, défendons une certaine politique de plein emploi; nous
pouvons construire des modèles pour montrer quels effets peuvent
être attendus, en plusieurs circonstances, si diverses relations institutionnelles
étaient établies pour faire dépendre les taux
d'intérêt, les prêts bancaires, les dépenses
gouvernementales (ou d'autres variables ayant un effet sur l'emploi) de
changements dans les données du chômage (absolu ou relatif).
Mais aucun de ces exercices, aussi valables et importants soient-ils, ne
serait aidé par l'incorporation de nos valeurs morales ou de nos buts
politiques dans la définition de l'équilibre, tel que l'ont
proposé certains économistes. Certaines de ces propositions,
comme nous le verrons dans la partie IV, réclament que le plein emploi
avec des salaires donnés et d'autres objectifs souhaitables fassent
partie de la définition de l'équilibre, de telle sorte que
toute situation pour laquelle ces objectifs ne sont pas atteints soit
appelée "déséquilibre."
En injectant
un jugement de valeur, une philosophie ou un programme politique, ou le rejet
d'un programme ou d'une politique, dans le concept d'équilibre
destiné à l'analyse économique, l'analyste commet
l'erreur d'une évaluation implicite ou de politique
déguisée. C'est une chose que de choisir les variables et les
relations propices à une analyse d'équilibre des
problèmes dictés par les valeurs de jugement et les objectifs
politiques. C'est une chose très différente que d'insister pour incorporer ces
évaluations dans la définition de l'équilibre. En fait,
l'analyse des possibilités de leur mise en œuvre peut être
empêchée par une telle définition restrictive.
IV. L'équilibre dans la théorie du commerce
international
La
littérature sur le commerce international fait un usage plus
fréquent des concepts d'équilibre que les autres domaines de
l'économie. Les pages sont généreusement
parsemées d'équilibres et de déséquilibres, et
les auteurs s'adonnent plus souvent qu'à leur tour à des
applications concrètes, ainsi qu'à des conseils politiques
basés sur une hiérarchie implicite des valeurs. Même
certains des commentateurs les plus clairs semblent avoir une grande peine
à se souvenir de leurs propres définitions, et plus d'un auteur
ne se gêne pas pour changer d'equos au milieu du courant et de concepts
d'équilibre au milieu de son libri (si un jeu de mots latin est
accepté).
Une conscience cohérente de la relativité :
Joan Robinson
Il existe
quelques auteurs exceptionnellement cohérents et méthodiques.
Parmi eux, pleinement consciente de la relativité de
l'équilibre et attentive à celle-ci, se trouve Joan
Robinson :
Il est
désormais évident qu'il n'y a pas un taux de change qui soit le
taux d'équilibre correspondant à un état donné de
la demande et des techniques mondiales. Dans toute situation donnée,
il existe un taux d'équilibre correspondant à chaque taux
d'intérêt et niveau de la demande effective, et tout taux de
change, dans des limites très larges, peut être
transformé en taux d'équilibre en modifiant de manière
appropriée le taux d'intérêt. De plus, tout taux de
change peut être rendu compatible avec tout taux d'intérêt,
à condition que les salaires nominaux soient suffisamment
modifiés. La notion d'un taux de change correspondant à l'équilibre est une
chimère. Le taux de change, le taux d'intérêt, le niveau
de demande effective et le celui des salaires nominaux réagissent
entre eux, et aucun n'est déterminé si tout le reste n'est pas
donné. [13]
Politique incorporée et stabilité
simulée : Nurkse
Ragnar Nurske
savait sans aucun doute tout cela mais, dans son essai désormais
classique sur l'équilibre international, il a choisi de l'oublier. [14] Il avait peut-être la forte
impression d'être moins concerné par les précisions de
l'analyse abstraite que par la formulation de politiques monétaires
pratiques (p. 4) servant à atteindre plusieurs objectifs
sociaux : le "plein emploi" ou "un bon niveau d'emploi
étant donné la structure des salaires" (p. 16),
l'élimination de l'inflation (p. 12), "une stabilité
raisonnable des taux de change" (p. 21), "la liberté
hors des sévères restrictions de change" (p. 21). Il
croyait apparemment qu'un programme destiné à prévenir
des "écarts prolongés" de "cet heureux
état de faits" (p. 34) pouvait plus facilement être
développé avec l'aide d'un concept d'équilibre
intégrant des jugements de valeur.
Ainsi, loin de
considérer la notion du taux de change d'équilibre
comme une "chimère," Nurske considérait qu'il
"devrait exister une notion plus ou moins généralement
acceptée de ce qui constitue un 'équilibre' et un
'déséquilibre' en ce qui concerne les taux de change
internationaux." [15] Comme il trouvait indésirable
les fréquents changements des taux de change, il nous fit nous
"détourner du système imaginaire de taux de change
fluctuant librement, dans lequel la balance [des paiements] reste en
équilibre chaque heure de chaque jour." Il proposa que "la
période que nous considérons dans la définition de
l'équilibre du taux de change... ne devrait certainement pas durer
moins d'un an" et de préférence " assez longtemps
pour éliminer les fluctuations 'cycliques'," c'est-à-dire
"entre cinq et dix ans." La balance sur une telle période
serait "l'indication d'un équilibre ou d'un
déséquilibre". En bref, le "taux
d'équilibre" est le taux auquel "il n'y aurait pas de
changement net des réserves des moyens internationaux de paiement d'un
pays" pendant une période de cinq ou dix ans (pp. 6-7). Mais
ce n'est un "véritable taux
de change d'équilibre" que si la balance des paiements (excluant
tout mouvement de capital à court terme) est "maintenu en
équilibre" sans "restrictions supplémentaires du
commerce" ni "dépression et chômage à
l'intérieur du pays" (pp. 9-11).
Comme Nurske
ne cachait pas ses jugements de valeur, on ne peut l'accuser de politique
déguisée ; mais je doute de l'utilité analytique de
son concept d'équilibre avec évaluation incorporée, et
je soumets l'idée qu'il aurait pu éviter la confusion en
choisissant un autre terme. Par exemple, il aurait pu parler de "taux de
change optimal," de "taux de change le plus souhaitable" ou de
"taux de change de plein-emploi," au lieu d'invoquer la
Vérité et l'Équilibre en parlant de "véritable
taux de change d'équilibre."
En outre,
parler d'un équilibre sur une période "assez longue pour
permettre aux changements cycliques de s'éliminer" (p. 15)
est analytiquement très discutable. Cela revient en pratique à
confondre équilibre et stabilité des prix. Si l'on accepte - et
Nurske l'accepte - que le taux de change d'équilibre serait
différent "pour des niveaux différents du revenu
national" (p. 11) ou "avec un flux différent
d'investissements étrangers," est-il dès lors permis de
supposer que le revenu national (voire le revenu national de plein emploi) et
le flux d'investissements étrangers resteront constants pendant la
durée d'un cycle, pendant cinq ou dix ans ? Il est certain qu'on
peut toujours "moyenner" sur plusieurs années les valeurs
fluctuantes du revenu ou de l'investissement, mais quel droit avons-nous de
transformer les moyennes statistiques ex
post en normes ou
données ex ante pour lesquelles le taux de change
devraient être équilibrés ? Si nous restons au
niveau ex ante, comme
nous le devrions pour des modèles théoriques ou pour des
conseils de politique pratique, nous n'avons aucune raison légitime
pour supposer que les revenus nationaux des pays concernés et les flux
d'investissements entre eux puissent rester, même approximativement,
inchangés sur plusieurs années. Nous avons encore moins de
raisons pour supposer que toutes les autres conditions dont dépendent
les "taux de change d'équilibre" restent figées. Les
changements concernant les techniques, le stock de capital, la force de
travail, l'organisation industrielle, les goûts du consommateur, les
prix des facteurs, ceux des produits, les taux d'intérêt, les
prêts bancaires, les dépenses gouvernementales, les stocks
monétaires, etc., conduiraient certainement à modifier
fréquemment et de manière importante les taux de change d'équilibre.[16] C'est une chose que de supposer que
les choses restent inchangées pendant la durée d'un processus
particulier d'un modèle abstrait. C'est est une autre que de simuler
une telle stabilité pour des buts pratiques ou pour qu'elle fasse
partie intégrante d'un concept destiné à l'analyse
appliquée.
Un soutien aux critères politiques : Ellsworth et
Kindleberger
La notion de
Nurkse quant à l'équilibre pour les transactions
internationales et les taux de change a été largement
acceptée et développée. P. T. Ellsworth et
Charles P. Kindleberger, dans leurs excellents manuels, adoptent tous les
deux la "balance sur plusieurs années" comme critère
d'équilibre concret. Et ils considèrent comme critères
d'un équilibre véritable (politiquement acceptable) les buts
sociaux d'un niveau d'emploi satisfaisant à des salaires
satisfaisants, avec des restrictions modérées du commerce et des
prix raisonnablement stables. Ils offrent des justifications
supplémentaires. Par exemple, Ellsworth écrit :
Notre concept
de ce qui est souhaitable a modifié notre concept de ce qui est
normal ; il est désormais généralement admis que
nous devons avoir une vision plus large de l'équilibre. Le plein emploi,
ou pour le moins l'absence de chômage de masse, est
considéré de nos jours comme une condition même de
l'équilibre. Ainsi, une balance des paiements qui ne peut être
équilibrée qu'au moyen d'une baisse importante du revenu et de
l'emploi, ou par une montée du revenu à des niveaux
inflationnistes, ne peut être considéré comme
étant en équilibre. [17]
La notion
keynésienne d'un "équilibre de sous-emploi" semble
être ici rejetée, non en raison de répercussions
économiques obligeant (dans un modèle analytique) à
restaurer un équilibre de plein emploi, mais simplement parce que le
chômage est indésirable. Kindleberger, d'un autre côté,
cherche une explication moins normative. Il est d'accord pour dire qu'un
"chômage important... est compatible avec un équilibre du
marché," mais, dans une vision plus large, dit que
"chômage signifie déséquilibre, car une action du
gouvernement pour le contrecarrer est probable et perturbera la situation de
la balance des paiements." [18] Les répercussions politiques
sont introduites ici dans l'analyse économique, non pas au travers de
l'hypothèse de relations institutionnelles données (comme des
taux d'imposition), mais par une prédiction, prévoyant que le
gouvernement, sous la pression politique ou par conviction politique,
décidera de faire quelque
chose pour augmenter la
demande effective de travail et de produits. "Nous suggérons que,
dans une vision plus large des sciences sociales, l'équilibre de la
balance des paiements devrait être combiné avec la
stabilité politique dans un équilibre plus
généralisé" (p. 412).
L'équilibre
devient, pour Kindleberger, un concept politique, en partie à cause
des répercussions politiques qu'il prédit (sans les
spécifier), et en partie (et c'est une toute autre histoire) parce
qu'il s'agit pour lui d'un état de choses
"désiré" et parfois "obtenu." Pourtant,
"l'obtention de l'équilibre économique" est
opposé à celui "d'autres buts sociaux, tel que
l'équilibre national, politique et social ou la paix
internationale." L'équilibre économique "est au mieux
un objectif limité" (p. 519). Les économistes
devront-ils désormais se mettre d'accord sur une philosophie politique
et sur des valeurs éthiques avant de pouvoir parler
d'équilibre ?
Relativité et neutralité par rapport aux
valeurs : Meade I
J. E. Meade,
dans son traité sur La
balance des paiements, qui est l'analyse la plus minutieuse dans ce
domaine, se montre lui-même le maître d'une maison
divisée. C'est un chaud partisan et un utilisateur talentueux du
concept d'équilibre en tant qu'outil méthodologique abstrait,
dégagé des valeurs. Mais c'est également un avocat convaincant
du concept d'équilibre comme critère de performance et comme
symbole d'un programme complet de politique économique se battant pour
le Bien et évitant le Mal. De plus il trouve nécessaire, au
cours de son analyse, de réduire la globalité politique de ce
concept d'équilibre, et de le décomposer en équilibres
séparés de bien plus faible portée. Une confrontation de
ces trois Meade sera facilitée en les appelant Meade I, Meade II et
Meade III, coauteurs du premier volume de The
Theory of International Economic Policy. [19]
Meade I
commence le livre par une déclaration résolue figurant dans la
préface :
La
méthode employée dans ce volume est de considérer
d'abord un nombre de pays dans un équilibre au moins partiel ou
temporaire, sur le plan intérieur ou sur le plan international. Puis
d'introduire un certain facteur perturbateur (qui est souvent un acte de
politique gouvernemental) dans cet équilibre ; puis encore de
considérer le nouvel équilibre partiel ou temporaire que les
économies atteindront lorsque les effets directs et indirects du
facteur perturbateur seront totalement terminés. Et finalement de
comparer la nouvelle situation d'équilibre avec l'ancienne. [p. viii]
Le
système de Meade du modèle d'équilibre,
présenté aux chapitres IV et V, correspond sur presque tous les
points à celui proposé dans le présent article. Il y a
la division en quatre étapes - "ancienne situation d'équilibre" ;
"perturbation spontanée" ;
"répercussions" avec "effets ultimes" ;
nouvelle situation d'équilibre." [20] Il reconnaît aussi la
relativité de l'équilibre prenant en compte des variables
sélectionnées, mais pas les variables non retenues par le
modèle. Par exemple, Meade I permet au chômage d'exister pour
une situation d'équilibre [21] initial ou final ; il accepte
qu'un "nouvel équilibre" soit atteint qui "implique un
déficit de la balance des paiements [d'un pays]" (p. 60) et
qui serait ainsi un déséquilibre si des réserves
étrangères, etc., étaient inclues parmi les variables sélectionnées.
Et tous ces équilibres et déséquilibres sont
"neutre vis-à-vis des valeurs", ce qui veut dire exempts de
tout jugement de valeur politique, exempts de toute connotation de bien ou de
mal, de désirable ou d'indésirable, de politiquement acceptable
ou inacceptable.
Une alliance avec les jugements de valeur politiques :
Meade II
Tel n'est pas
le cas de Meade II, qui a écrit le premier chapitre du livre. Il
commence avec un pays "souffrant" d'un déséquilibre
(p. 3) et il identifie clairement les "difficultés de la
balance des paiements" à un "déséquilibre de
la balance des paiements" (p. 14). Après avoir montré
que le déficit d'un pays quant aux articles commerciaux et aux
transferts sans retour "ne représente pas nécessairement
un déséquilibre de sa situation internationale"
(p. 8), il estime que son "véritable déficit de la
balance des paiements" est la "balance des transferts et du
commerce autonome," qui doit "être harmonisée par ce
que nous avons appelé la finance d'adaptation." [22] Mais même un tel
déficit "véritable" "représenterait un
critère de définition trop étroit pour un
déséquilibre de la balance des paiements"
(p. 13) ; pour Meade, un critère suffisant est celui d'un
déficit seulement "potentiel". Car ce n'est pas la balance
réelle mais plutôt un déficit ou un excédent
"potentiel" "qui constitue la mesure appropriée du
déséquilibre de la balance des paiements" (p. 15). Un
tel déséquilibre sans déficit effectif se produit quand
le déficit est évité par le biais de restrictions
commerciales, par la déflation du revenu intérieur et le
chômage ou par un ajustement du taux de change.
Meade II a
ainsi adopté le concept d'équilibre politique proposé
par Nurske. [23] Mais Meade II continue et fait une
autre distinction quant au fait "qu'un déséquilibre de ce
type peut être soit temporaire soit plus ou moins permanent"
(p. 15). Comme "c'est le deuxième cas, bien entendu, qui
pose vraiment un sérieux problème" (p. 15), il
décide que "peut-être la mesure la plus fondamentale du
déséquilibre de la balance des paiements est celle du
déficit ou de l'excédent des paiements potentiels et continuels
correspondant aux transferts et au commerce autonome." Il déclare
que ce sera le sens du terme dans la suite du livre (p. 16).
Meade I
pourrait alors se lever et dire à Meade II qu'un théoricien est
certes très familier de l'équilibre temporaire, mais ne sait pas ce que
pourrait vouloir dire un déséquilibre
permanent ou durable - sauf peut-être dans un cas de contrôle
direct interférant avec "l'équilibre du
marché." En effet, un déséquilibre, dans le
modèle du théoricien, est une constellation de variables qui ne
peut pas persister si elle est laissée à elle-même, qui
doit conduire à un autre changement, et qui est donc temporaire par hypothèse. Meade
II devrait répondre qu'il ne parlait pas de déséquilibre
au sens de l'économiste théoricien mais se
référait à la place à une situation assez
déplaisante qui pouvait malheureusement continuer pendant
longtemps : une situation dans laquelle un niveau d'emploi
désiré pour des salaires désirés ne pourrait
être maintenue, pour des taux de change donnés et sans
restrictions commerciales spéciales, qu'à l'aide d'une
adaptation des importations de capital (prêts de l'étranger,
liquidation forcée des avoirs étrangers et perte de l'or et des
réserves de change). Si la finance d'adaptation ne peut pas être
obtenue, la balance effective devra inévitablement être atteinte, par plus de
chômage, par des baisses de salaires, par la dépréciation
de la monnaie ou par des contrôles commerciaux plus stricts. Mais comme
chacun de tous ces facteurs de retour à l'équilibre est
"indésirable," Meade II préférerait refuser le
nom et le titre "d'équilibre" à la balance obtenue.
Un retour à la neutralité par rapport aux
valeurs : Meade III
Le sentiment
et la résolution de Meade II ne servaient pas à grand-chose, vu
que Meade III a écrit la plupart du restant de l'ouvrage. Il a
rapidement trouvé pratique de distinguer "balance
intérieure" et "balance extérieure"
(pp. 104 et suivantes), la première s'occupant de l'emploi
domestique (et de ce qui lui est associé, comme l'inflation des prix
et les comme les salaires), la seconde de la balance des paiements (et de ce
qui lui est associé, comme les contrôles du commerce et les taux
de change). Le critère de plein emploi n'est plus alors partie
prenante de l'équilibre de la balance des paiements. Par exemple,
l'ouvrage discute de cas où "une inflation de la dépense
domestique est nécessaire" à la fois pour augmenter
l'emploi "et pour restaurer l'équilibre de la balance des
paiements" (p. 115). Ou, dans la discussion des "conflits
entre balances interne et externe," le texte poursuit
régulièrement la discussion entre un
"déséquilibre" de la balance des paiements et, d'un
autre côté, un déséquilibre "de chacun des
revenus nationaux" des pays concernés (chapitre X). En fait, la
distinction est très subtile, particulièrement lorsque Meade
III distingue des situations hypothétiques dans lesquelles "le
plus petit élément de déséquilibre," ou
"l'élément de déséquilibre le moins
marqué," ne peut être trouvé ni dans la balance
intérieure ni dans la balance extérieure (p. 122).
Meade III
élimine aussi de la signification de l'équilibre
extérieur le critère de taux de change fixes et d'absence de
restrictions commerciales. Ainsi, à un moment il considère la
possibilité que les autorités des pays "laissent le taux
de change entre leurs monnaies fluctuer afin de rétablir la balance
extérieure sans sacrifier la balance intérieure," et la
possibilité alternative qu'elles imposent "des contrôles
directs sur les transactions internationales pour restaurer
l'équilibre de leurs balances des paiements sans perturber leur
balance intérieure" (p. 24). Et il discute d'un cas
où "un déséquilibre de la balance des paiements est
éliminé au moyen d'une dépréciation de la devise
du pays déficitaire," et d'un autre cas où "la
balance des paiements est remise en équilibre" par ajustements
des prix dans un système de taux de change fluctuants
(pp. 328-329). Il est fort probable que Meade III avait trouvé
que les définitions développées par Meade II, reflétant
un regret généralement partagé des écarts par
rapport à des circonstances socialement idéales,
n'étaient pas des outils efficaces pour son analyse économique.
Il y a encore
une différence à établir entre Meade I et Meade III,
mais elle n'est pas grande. En fait, c'est purement une affaire de
terminologie. Meade I voulait que "l'équilibre" soit le
moyen pour réfléchir, tel que décrit dans le
présent article, alors que Meade III l'a souvent employé pour
se référer à une balance des paiements dans laquelle les
transactions d'adaptation sont nulles. Si Meade III avait parlé de
balance des paiements déficitaires, excédentaires ou nulles,
sans utiliser le mot "équilibre," il aurait
évité jusqu'à l'apparition d'une différence
conceptuelle. Mais c'est peut-être trop demander. Après tout, on
peut s'habituer à des mots possédants de multiples
significations, et on devrait être capable de se souvenir que ce qui
est appelé "déséquilibre de la balance des
paiements" veut tout simplement dire excédent ou déficit,
ce qui dans l'analyse économique peut dépeindre un
équilibre initial, un changement d'ajustement ou un équilibre
final, selon le problème en question. [24]
Une attaque des définitions persuasives : Streeten
Les
philosophes des sciences ont récemment montré que certaines
définitions, supposées énoncer ce qu'une chose est ou
veut dire, sont en fait destinées à persuader les gens de faire
certaines choses ou de les faire d'une certaine façon. On appelle
"définitions persuasives" de telles définitions. [25]
Paul Streeten,
dans un article intéressant, a montré que certaines
définitions de l'équilibre de la balance des paiements tombent
dans la catégorie des définitions persuasives. Nous avons vu
comment les taux de change stables, le plein emploi pour des salaires
donnés, des niveaux de prix stables et un commerce sans restriction
avaient été inclus dans certaines définitions de l'équilibre
de la balance des paiements. Cette expansion du critère revient, selon
Streeten, à "présumer la question
résolue" ; "cache derrière une définition
persuasive des jugements de valeur non habituellement partagés." [26]
Streeten se
met à illustrer les dangers de la définition persuasive :
Inclure, par
exemple, la présence de restrictions à l'importation dans la
définition du "déséquilibre" produit le
résultat commode que la suppression de ces restrictions, avec
dévaluation ou déflation, devient une nécessité, bien
que l'on espère, probablement, que la différence entre
nécessité logique (qui est la conséquence de la
définition) et la nécessité morale ou politique (ce qui
devrait être fait) se sera pas découverte. [p. 87]
Il est
implicitement supposé, je le comprends, que ceux qui font usage d'une
définition persuasive de l'équilibre s'appuient sur
l'association populaire de l'équilibre avec le Bien, et du
déséquilibre avec le Mal. Ainsi, ils espèrent vendre au public
la suppression des restrictions à l'importation (ou l'adoption de
politiques de plein emploi, etc.) dans le même paquetage appelé
"équilibre."
Ceci ne veut
pas dire que l'absence de restrictions à l'importation et la poursuite
de politiques fiscales et monétaires afin de créer une demande
de plein emploi pour les biens et les services ne sont pas des
hypothèses importantes, peut-être indispensables, à
l'analyse de certains problèmes. [27] La position méthodologique de
ces deux hypothèses, cependant, n'est pas la même si, par
restrictions à l'importation, nous entendons l'usage de
contrôles d'allocation discrétionnaires plutôt que l'usage
de tarifs douaniers et autres règles générales ayant un
impact "prédictible." Des contrôles
discrétionnaires doivent être exclus de nombreux modèles
analytiques, non parce que nous ne les aimons pas, mais parce que nous ne pouvons
pas prédire le résultat : nous devrions connaître
les "équations du comportement" des autorités de
contrôle afin de savoir comment elles réagissent à
certains changements des variables du modèle. Dès que ces
fonctions de comportement sont "données," reliant certaines
variables à d'autres d'une façon définie, les
contrôles ne sont plus "discrétionnaires," et nous
pouvons les utiliser dans notre théorie de l'équilibre.
L'hypothèse
d'une "absence de contrôles discrétionnaires
(théoriquement imprévisibles)" est, par conséquent,
une partie nécessaire d'un modèle incluant le concept
d'équilibre du marché. Dans un tel modèle, nous
supposons régulièrement certaines relations entre les prix, les
revenus et les quantités offertes et demandées sur le
marché. Si certaines réactions déduites des relations
supposées ne se produisent qu'à la condition d'obtention d'une
licence et ne peuvent se matérialiser sans permission spéciale
d'une autorité imprévisible, le modèle devient
inexploitable. Ce n'est que pour cette raison que "l'équilibre du
marché" doit postuler qu'il existe des "prix de
marché libre," et donc l'absence de contrôles directs. Les
barrières commerciales ayant une influence prévisible sur les
changements d'ajustement sont parfaitement compatibles avec l'équilibre
du marché, et également avec un autre équilibre. Et, au
passage, cette incompatibilité de l'hypothèse des restrictions
commerciales discrétionnaires avec un équilibre analytiquement
exploitable n'est pas un bon argument contre l'usage de telles restrictions
dans le monde réel. Une politique ne peut pas être
rejetée uniquement pour la raison qu'elle n'entre pas dans un
schéma conceptuel qui s'est révélé utile dans
l'analyse.
Le problème d'une politique incorporée
Les objections
envers les définitions persuasive de l'équilibre ne se basent
pas sur la peur que des gens crédules puissent effectivement
être persuadés de défendre des mesures ou des politiques
"déduites" des arguments où un tel concept
d'équilibre est employé ; la véritable raison de
l'objection est qu'un concept d'équilibre aussi drastiquement
limité par des critères politiques incorporés devient
moins utile, si ce n'est inutile, pour l'analyse de la plupart des
problèmes. La plupart des problèmes qui requièrent une
analyse sont tels qu'on ne peut pas "atteindre" toutes les
conditions idéales qui sont devenues "critères
honoraires" de l'équilibre. Leur analyse réclame un grand
nombre de variables politiques et de fonctions de comportement institutionnel
(politique), combinées avec un concept moins circonscrit de
l'équilibre pouvant être utilisé pour tout ensemble de variables et toutes les relations entre elles. Cet
énoncé se réfère principalement au type d'analyse
dans laquelle l'équilibre est pensé comme situations initiale
et finale d'un processus imaginé de changement impliquant un ensemble
choisi de variables corrélées. Mais il convient aussi pour une
analyse dans laquelle l'équilibre est pensé comme une simple
égalité de certaines sommes (effectives ou potentielles) de
deux côtés d'une comptabilité appelée
"balance des paiement."
Prenez
n'importe quel changement qui créerait une augmentation de la demande
de change, ou à une diminution de son offre. Qu'il s'agisse d'un
changement des goûts nationaux ou étrangers, un changement
global des possibilités techniques de production, un changement de
politique fiscale ou monétaire (par exemple, pour
accélérer le développement économique), un
changement de la structure des salaires (donnant, par exemple, des salaires
plus élevés aux travailleurs de l'industrie), un changement des
flux d'investissement (peut-être une plus grande demande
d'investissement étranger), une réduction du désir de
détenir des espèces, ou tout autre "changement déséquilibrant"
- les changements d'ajustement impliqueront d'abord un flux de
réserves étrangères permettant l'adaptation et
éventuellement certains mouvements "interdits,"
c'est-à-dire quelques écarts par rapport aux exigences
intégrant les principes politiques de "l'équilibre"
au sens persuasif. Par exemple, les salaires réels peuvent être
réduits par des prix plus élevés des biens ; les
taux d'intérêts peuvent augmenter, ou les prêts bancaires
diminués, conduisant à une réduction de l'emploi ;
les taux de changes peuvent s'ajuster, etc., et l'équilibre final - le
nouvel équilibre au sens analytique - sera un
"déséquilibre" de la balance des paiements au sens
persuasif (ou plutôt dissuasif). Comme aucun des résultats d'un
de ces ajustements possibles ne pourrait postuler au titre honorifique
"d'équilibre," le "déséquilibre" (au
sens dissuasif) ne pourrait être guéri que par un deus ex machina : par un
autre changement déséquilibrant qui arriverait à
neutraliser la première perturbation et rendre inutiles les
ajustements déplaisants. Un véritable sabotage de l'analyse économique !
Notes
[1] Je remercie ma
collègue le Dr. Edith Penrose pour la critique impitoyable à
laquelle elle a soumis une version préliminaire de cet article.
Grâce à ses conseils, j'ai pu éliminer plusieurs
défauts de l'exposé et plusieurs offenses dues à une
trop grande agressivité.
[2] Fritz
Machlup, The Economics of Seller's
Competition (Baltimore : John Hopkins
Press, 1952), p. 5. Il était fait allusion à
certaines idées du présent article dans ce livre.
[3] Fritz
Machlup, "The Problem of Verification in Economics," Southern Economic Journal, Vol. XXII (Juillet 1955), pp. 1-21.
[4] Fritz
Machlup, International Trade and the
National Income Multiplier (Philadelphia :
Blakiston, 1943), pp. 85-87, 172-173, 208.
[5] Certains équilibres en
physique et en chimie sont du même type. Prenez l'exemple d'une simple
balance (libra, en latin) avec deux plateaux de formes différentes
mais de poids et de volume égaux, contenant des quantités
identiques d'eau. L'équilibre ne sera que temporaire, car
l'évaporation de l'eau sera plus rapide pour le plateau ayant une plus
grande surface libre ; il y aura équilibre instantané
(avant l'évaporation de l'eau) et équilibre à long terme
(après évaporation complète de l'eau pour les deux
plateaux). De même, il peut y avoir des équilibres chimiques
après un bref intervalle de temps mais par pour des périodes
plus longues, selon que l'on prenne en compte uniquement les réactions
rapides ou également les réactions lentes.
[6] Au passage, aucun
étudiant comprenant ces conceptions ne commettra l'erreur d'identifier
une situation réelle, impliquant les prix payés et les
quantités produites d'un pays donné à un temps
donné, comme situation d'équilibre à long terme. Tous
ces équilibres sont purement hypothétiques. Jamais personne ne
pourrait "savoir" si tous les ajustements aux
événements passés sont terminés - ou seront
terminés un jour. Si le temps du calendrier devait remplacer le
"long terme" de Marshall, l'ajustement de long terme diminuant la
demande pour un produit pourrait prendre trente ans ou plus, avec l'usure
graduelle normale et l'érosion progressive de la capacité
productive. Quelqu'un pourrait-il supposer dans le monde réel - qui doit être
supposé pour pouvoir examiner les choses en détail - que la
demande, la technique et toutes les autres choses resteront inchangés
pendant une période aussi longue ? Certainement, l'appareil
conceptuel et son équilibre final n'ont pas été
construits pour fournir une description de la situation réelle,
mais plutôt pour garantir que toute l'attention soit donnée
à tous les processus de
changement qui pourraient être
interprétés comme les effets de l'événement ou du
changement considéré comme la donnée
déséquilibrante.
[7] Il y a eu des économistes
pour ronchonner en se demandant "comment quelqu'un peut parler d'un équilibre en
ne prenant pas en compte tant de variables cruciales." De tels
ronchonnements seraient justifiés s'ils étaient dirigés
contre le choix des variables et des relations, contre l'utilité du
modèle et, tout particulièrement, contre les recommandations de
politique qui se basent sur elles. Mais si les ronchonnements sont
dirigés contre le fait de "parler d'un équilibre"
dans un tel cas, ils ne sont méthodologiquement pas valables.
Équilibre et déséquilibre se réfèrent
à tout modèle que vous pouvez avoir en tête.
[8] La technique consistant
à "éliminer" les oscillations de certaines
quantités (demandées, offertes, produites) est soit de les
réduire à une moyenne, soit de les exprimer comme des taux par
unité de temps, avec une unité de temps comprenant le
"cycle" dans son entier.
[9] Schumpeter a proposé
un jour un "voisinage d'équilibre" statistiquement
discernable, par référence aux fluctuations cycliques de
l'activité des affaires. Mais il a toujours insisté sur le
caractère purement fictif et instrumental de ce concept même
d'équilibre. Joseph A. Schumpeter, Business Cycles (New
York : McGraw-Hill, 1939), pp. 68-71.
[10] Pour un exposé des
différences entre "la balance des paiements comptable",
"la balance des paiements du marché" et la "balance des
paiements du programme", voir Fritz Machlup, "Three Concepts of the
Balance of Payments and the So-called Dollar Shortage," Economic Journal, Vol. LX (1950), pp. 46-68.
[11] Per Jacobsson, dans un
discours de 1949.
[12] Certes, il existe des
situations "observées" qui invitent à une
caractérisation de "déséquilibre" sans grand
danger de confusion. Par exemple, il y aura peu de doute quant à
savoir à quel modèle et à quelles variables on se
réfère lorsqu'on caractérise comme
"déséquilibre du marché" quelques cas
manifestes de contrôle des prix, avec des stocks d'invendus non
disponibles au prix minimum officiel ou avec des queues d'acheteurs
potentiels attendant que leur demande soit satisfaite au prix plafond.
L'insinuation, apparemment, est que la situation ne pourrait pas persister
sans "l'interférence." D'un autre côté, un
modèle incluant le contrôle des prix gouvernemental, des pénalités
pour violations, des stocks d'invendus, une demande insatisfaite, etc., parmi
ses variables désignerait les stocks excédentaires ou la
demande insatisfaite comme "l'équilibre final" -
quoiqu'uniquement "temporaire" si quelques fonctions de
comportement décalé de marché noir étaient
ajoutées à la liste des hypothèses.
[13] Joan
Robinson, "The Foreign Exchanges," Essays in the Theory of Employment (Oxford : Blackwell,
2ème edition, 1947). Repris dans Readings in the Theory of
International Trade (Philadelphie :
Blackiston, 1949), p. 103.
[14] Ragnar
Nurske, "Conditions of International Monetary Equilibrium," Essays in International Finance (Princeton : International
Finance Section, Princeton University, 1945). Repris dans Readings in the Theory of International Trade (Philadelphie : Blackiston,
1949), pp. 3-34.
[15] Ibid., p. 4.
[16] Dans un régime
d'étalon-or, on peut considérer les taux d'équilibres
théoriques comme fluctuants, parfois avec une grande amplitude, autour
de la valeur moyenne d'échange de l'or, parce que des expansions et
des contractions des dépôts et des réserves bancaires,
rendues obligatoire par le mécanisme des flux d'or et par les
règles du jeu, feraient monter ou baisser les taux d'équilibre
au niveau de la valeur moyenne d'échange de l'or en cas
d'écart. Je ne connais aucune raison
valable pour laquelle les taux de changes d'équilibre devraient rester
stables, à moins que des institutions et des politiques
monétaires ne les y forcent.
[17] P. T. Ellsworth, The International Economy (New York : MacMillan, 1950),
p. 607.
[18] Charles P.
Kindleberger, International Economics (Homewood, Ill. : Richard D.
Irwin, Inc., 1953), p. 412 ; voir aussi, p. 464.
[19] J. E. Meade, The Theory of International Economic Policy, Volume
One : The Balance of Payments (Londres :
Oxford University Press, 1951).
[20] "Nous nous limiterons
à une comparaison entre la nouvelle situation d'équilibre, qui
se produit quand quelque perturbation spontanée s'est produite et a eu
le temps de faire aboutir toutes ses répercussions, et l'ancienne
situation d'équilibre qui existait avant l'apparition de la
perturbation" (ibid., p. 58). Ce procédé est
jugé nécessaire afin d'assurer les "effets ultimes"
de la perturbation (p. 52). La seule différence entre le
procédé de Meade et le mien réside dans le fait qu'il
inclut les 'changements de politique,' en plus des 'changements induits,'
parmi les changements d'ajustements (pp. 42 et suivantes). Je traiterais
plutôt les réactions du gouvernement à un changement
déséquilibrant soit comme faisant partie des changements
induits (mais seulement s'ils résultent des équations du
comportement institutionnel supposé) ou comme une donnée supplémentaire
(s'ils ne sont pas suffisamment "réguliers" pour être
subsumés parmi les relations données entre les variables
retenues du système).
[21] Meade suppose "qu'il y a
un volume appréciable de chômage... au départ" (ibid., p. 53).
Cette hypothèse est nécessaire pour une analyse de
"l'effet revenu" dans un modèle du multiplicateur.
[22] Ibid. p. 13. Pour une formulation
antérieure du problème de la balance des paiements en termes
d'adaptation des mouvements de capitaux, voir Fritz Machlup, International Trade and the national Income Multiplier,
pp. 134-135.
[23] Il est à noter,
cependant, que ce que Nurske appelle la balance "véritable"
correspond à ce que Meade appelle la balance potentielle, considérée comme la mesure
"appropriée" ; la balance "véritable"
est pour Meade la balance effective, bien que
réarrangée avec les facteurs autonomes et d'adaptation.
[24] Un lecteur qui a appris avec
succès de Meade I que le déséquilibre était
simplement une étape pour expliquer le changement peut rester perplexe
quand Meade III lui parle d'un type de "déséquilibre qui
est le plus insoluble" (p. 122). Cependant, tout s'éclaircit
vite quand il se rappelle que le chapitre est supposé examiner des
politiques budgétaires alternatives et leur efficacité pour
restaurer l'équilibre de la balance des paiements sans avoir recours
à une dépréciation ou à des limitations
commerciales. Traduite dans les termes utilisés par Meade I, la
question est de savoir si, en partant de la "situation
d'équilibre initiale" avec un déficit des paiements
financés par des transferts adaptés, des mesures de politique
fiscale ou monétaire peuvent être trouvées, qui agiront
comme une "perturbation" conduisant à des
"répercussions" telles qu'un "nouvel
équilibre" avec balance des paiements nulle soit atteint, tandis
que les taux de change restent constants et que le commerce n'est pas
directement contrôlé. Si l'équilibre final d'un tel
modèle continue à montrer des déficits quel que soit le
"changement perturbateur" choisi par les autorités budgétaires,
alors Meade III, ainsi que de nombreux autres praticiens du domaine, dit que
la situation est un déséquilibre "insoluble" de la
balance des paiements, c'est-à-dire que la politique budgétaire
ne peut pas traiter.
[25] Cf. C. L. Stevenson, "Persuasive
Definitions," Mind, Vol. 47 (1938),
p. 331 ; Max Black, "The Definition of Scientific
Method," Science and Civilization (Madison : University of
Wisconsin Press, 1949), p. 69.
[26] Paul
Streeten, "Elasticity Optimism and Pessimism in International
Trade," Economica Internazionale, Vol. VII
(1954), p. 87.
[27] Streeten suppose
lui-même un certain type de politique de plein emploi, non seulement
explicitement, mais aussi quand il définit le
déséquilibre comme "signifiant une tendance permanente
à générer un déficit de la balance des
paiements" (p. 87). Il devrait être clair qu'une telle
"tendance" ne pourrait pas continuer sans une politique continue
compensant par une expansion du crédit les effets automatiquement
déflationnistes des ventes des réserves de change.
Traduction : Hervé de Quengo
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