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Cours Or & Argent

Équilibre et déséquilibre

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Fritz Machlup
Extrait des Archives : publié le 18 juillet 2012
12032 mots - Temps de lecture : 30 - 48 minutes
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Initialement publié dans The Economic Journal, Vol. LXVIII, Mars 1958 et repris dans le recueil Essays in Economic Semantics, Prentice Hall, 1963.

 

[Voir aussi sur ce site, à ce sujet, le texte de Rothbard sur Schumpeter. NdT]

 

Quand un terme possède tant de significations que nous ne savons jamais ce que veulent dire ceux qui l'emploient, il faudrait soit le supprimer du vocabulaire du spécialiste, soit le "purifier" des connotations qui nous embrouillent. Comme je crois qu'il est impossible d'exclure les mots "équilibre" et "déséquilibre" du discours économique, je propose de les soumettre à un travail de nettoyage approfondi [1]. En essayant d'accomplir cette tâche, je ne prendrai pas en compte les significations de ces expressions dans d'autres disciplines.

 

I. Un bref compte rendu de l'usage des concepts d'équilibre en économie

 

Les économistes ont utilisé la notion d'équilibre dans de nombreux contextes et pour poursuivre de nombreux buts ; en passant d'un sujet à un autre, certains n'ont pas réussi à observer la transformation de l'usage qui en était fait et des significations associées au terme. Plusieurs de ceux qui ont senti les incongruités, les erreurs ou l'usage complètement impropre se sont opposés à toute "économie de l'équilibre," accablant d'injures tout type d'analyse employant cette notion.

 

Les usages majeurs des concepts d'équilibre en économie

 

L'usage le plus littéral de l'équilibre et du déséquilibre, au sens de poids égaux ou inégaux placés sur les deux plateaux d'une balance, sans aucune explication analytique ni aucune connotation de prédiction ou d'évaluation, se rencontre uniquement pour des quantités mesurables en pratique, comme le revenu et les dépenses d'un budget, les importations et les exportations dans une balance commerciale, les articles commerciaux et les transferts de capital à long terme dans une balance des paiements. Pourtant, même dans ces contextes, les économistes se sont rarement contentés de simplement mettre en balance les points des deux côtés : ils ont habituellement cherché à les relier à d'autres variables économiques qu'ils considéraient comme pertinentes pour un équilibre ou un déséquilibre plus "global" de la balance en question.

 

L'usage le plus courant du concept d'équilibre en économie est probablement celui de procédé méthodologique pour la théorie abstraite. "Équilibre" est alors employé en liaison avec des "modèles" contenant plusieurs variables interconnectées ; en tant que "fiction utile," il est utilisé au sein d'une expérience mentale destinée à analyser les liens de cause à effet entre des "événements" ou des "changements de variables."

 

On emploie un usage différent de l'idée d'équilibre quand on se réfère à des situations économiques réelles : on l'utilise dans ce cas pour caractériser une situation historique qui a duré ou qui durera relativement longtemps sans changements importants. L'application directe du concept aux situations observées le rend "opérationnel," pour ainsi dire. C'est faire un grand saut que de passer de l'équilibre en tant que procédé méthodologique (fiction utile, construction purement mentale) à l'équilibre en tant que représentation d'une situation historique réelle (concept opérationnel). Je soutiendrai que le fait que nombreux sont ceux qui l'effectuent, sans y voir la moindre tension et sans observer la différence, peut être attribué à leur incapacité de reconnaître la fonction du concept analytique et que ceci conduit à une énorme confusion.

 

Un saut dans une autre direction a été entrepris à partir du concept analytique d'équilibre vers un concept de jugement de valeur. Il est aisé de voir comme cela se produit : la notion d'équilibre en tant que balance entre deux forces acquiert une connotation de "chose juste" quand cette balance se produit entre des "forces naturelles" ; ou même de "chose bonne" quand il est envisagé comme "harmonie." Une fois que l'usage d'équilibre comme jugement de valeur est oublié, remplacer les forces mystiques "naturelles" par des forces politiques "progressistes" apparaît indiqué, et de nombreux objectifs sociaux sont incorporés dans le concept d'équilibre. En fin de compte, l'équilibre en vient à vouloir dire conformité avec certains objectifs qu'on demande à une société organisée de poursuivre. Je soutiendrai qu'un tel équilibre, intégrant un aspect politique, porte souvent atteinte à l'utilité de l'équilibre comme outil analytique dénué de jugement de valeur.

 

Un autre concept d'équilibre comme jugement de valeur est utilisé dans l'économie du bien-être. Dans les modèles théoriques du ménage et de la firme, on suppose que "l'équilibre" est recherché entre les différents aspects des plans et des dispositions de l'individu prenant la décision, de telle sorte que cet individu ne trouverait aucune raison pour ajouter d'autres changements. Les anciens économistes du bien-être ont promu cet équilibre obtenu à partir d'un procédé méthodologique (pour l'explication du changement) afin d'en faire un critère d'évaluation (dénotant les meilleures situations atteignables) ; et tous ces équilibres devinrent "optimaux" et partie intégrante de la situation de bien-être maximale de la communauté dans son ensemble. Les économistes modernes du bien-être s'occupent des jugements de valeur qui restaient implicites dans une telle procédure et essaient de les mettre en avant. On énonce et modifie alors avec soin des propositions concernant les conditions dans lesquelles certains "équilibres d'allocation et de distribution" de l'économie prise dans son ensemble coïncideraient avec tout ce qui est considéré comme la "fonction de bien-être social la plus élevée."

 

Cet article ne s'intéressera pas à l'économie du bien-être. Mais il s'intéressera, dans une certaine mesure, à l'usage en économie positive (explicative) d'un concept d'équilibre chargé de valeurs. Le but principal de l'article est de montrer les dangers menaçant une analyse claire, dangers qui pourraient provenir de l'incapacité de distinguer les différences entre les concepts d'équilibre : analytique, descriptif ou destiné à une évaluation. Comme préalable, nous allons porter une attention plus grande que celle habituellement rencontrée à la fonction du concept purement analytique d'équilibre dans la théorie économique.

 

L'idée de base : perturbation et ajustement

 

Dans l'analyse économique, certains événements (ou changement des variables économiques) sont interprétés comme "l'ajustement" du système à une "perturbation" provenant de certains événements (ou changement des variables économiques) précédents. On utilise plusieurs expressions alternatives pour exprimer cette idée d'ajustement à une perturbation ; par exemple, des réponses à une impulsion ; des réactions ou des répercussions suite à un changement important ; des effets ou des conséquences d'une cause ; des changements induits suite à un changement autonome ou spontané ; un retour vers l'équilibre suite à un événement déséquilibrant. On construit un procédé conceptuel pour établir un lien causal entre deux changements, ou deux ensembles de changements ; cette relation de cause à effet est expliquée, pour des raisons que nous allons montrer, comme mouvement de déséquilibre plus mouvement d'équilibre, ou comme le fait de quitter une situation d'équilibre suivi d'un mouvement vers une autre situation d'équilibre.

 

L'idée d'équilibre est employée dans ce cas comme outil mental, comme procédé méthodologique ; elle aide à établir, pour notre satisfaction, un lien causal entre différents événements ou changements. Les événements ou les changements peuvent être imaginés tout comme ils peuvent être observés ; un lien causal entre eux ne peut qu'être imaginé, et l'idée d'équilibre a pour fonction, comme nous allons le voir, de rendre ce lien plausible.

 

II. Le rôle de l'équilibre dans l'analyse économique

 

Après une brève discussion du contenu et du fonctionnement des "modèles" de l'analyse économique, nous présenterons un schéma à quatre étapes du raisonnement causal, exposant l'usage stratégique de l'équilibre. Nous entreprendrons ensuite une discussion de la relativité de l'équilibre par rapport aux variables sélectionnées, aux interconnections supposées et à la durée d'ajustement autorisée. Et nous essaierons de donner une définition de l'équilibre.

 

Le contenu et le fonctionnement d'un modèle

 

En économie, un modèle analytique n'a pas besoin d'être "composé de fonctions algébriques ou de courbes géométriques, ni d'aucun autre matériau fantaisiste de construction." [2] Il peut être entièrement décrit avec des mots, à moins que ceci ne devienne trop lourd. Mais peu importe comment c'est fait, il faut fournir à celui qui contrôle le modèle une totale spécification de son contenu.

 

Le modèle contient d'habitude un certain nombre de variables (par exemple, les prix, les productions, les revenus, les exportations, etc.) et un certain nombre de relations stipulées entre les variables (par exemple, la quantité demandée variera d'une certaine façon avec le prix ; les importations totales seront une certaine fonction du revenu disponible, etc.). A côté des relations d'identité (par exemple, le revenu est la somme de la consommation et de l'investissement), il peut y avoir des relations techniques (par exemple, entre les entrées et les sorties), des relations institutionnelles (par exemple, entre les impôts et le revenu) et des relations portant sur le comportement économique (par exemple, entre les encaisses monétaires et les dépenses). On fait marcher le modèle quand un expérimentateur mental manipule un changement d'une variable "indépendante" et "observe" comme ceci affecte les variables dépendantes en agissant sur elles d'après les relations supposées.

 

Les quatre étapes

 

Le schéma suivant illustre le fonctionnement pas à pas d'un modèle ; chaque étape est décrite à la fois avec les termes techniques habituels et à l'aide de phrases slogans du langage de tous les jours :

 

Étape 1. Situation initiale : "équilibre," c.-à-d., "Toutes les choses peuvent continuer comme elles sont."

 

Étape 2. Changement déséquilibrant : "nouvelle donnée," c.-à-d., "Quelque chose se passe."

 

Étape 3. Changement d'ajustement : "réactions," c.-à-d., "Les choses doivent s'ajuster entre elles."

 

Étape 4. Situation finale : "nouvel équilibre," c.-à-d., "La situation n'a plus besoin de nouveaux ajustements."

 

Les étapes 2 et 3 peuvent correspondre à des changements observables ; parfois seule l'une d'elles est en réalité "observée" et on s'attend seulement à ce que l'autre se produise comme conséquence, ou se soit produite comme antécédent, respectivement. Si les deux sont observées conjointement ou successivement, le théoricien le considérera comme une "vérification" de la théorie qui les relie de la manière décrite, et aura une plus grande confiance dans cette théorie. [3] Mais si le changement correspondant à l'étape 2 est appelé "déséquilibrant" et "nouvelle donnée," et si le changement correspondant à l'étape 3 est appelé "d'ajustement" et "réactions" (vis-à-vis du changement considéré comme "déséquilibrant"), ce n'est pas dû à l'observation : ce n'est qu'une interprétation. Pour être plausible, cette interprétation nécessite deux autres étapes.

 

Afin d'établir que les changements de l'étape 3 sont les effets de ceux de l'étape 2 et de rien d'autre, nous devons nous assurer qu'il n'y a rien d'autre dans le tableau qui puisse être responsable des changements de l'étape 3. Il n'y a qu'une façon de la faire : nous devons isoler l'étape 2 comme cause possible des changements de l'étape 3 en excluant du modèle toutes les autres causes possibles. Cette exclusion des causes alternatives est accomplie par l'étape 1, la situation initiale de l'équilibre, la situation dans laquelle "Toutes les choses peuvent continuer comme elles sont," sans tendance inhérente au changement. Si nous n'étions pas sûrs de "l'équilibre" initial nous ne pourrions pas être certains que l'étape 3 ne puisse se produire sans l'étape 2, par suite du résultat de quelque chose existant déjà dans la situation initiale. L'hypothèse d'un équilibre initial sert à garantir à la "nouvelle donnée" de l'étape 2 le statut de changement perturbateur unique, de cause unique de tout ce qui suit dans le modèle (c'est-à-dire des changements interprétés comme "ajustement" au, ou effet dû, changement "déséquilibrant").

 

Afin de s'assurer que les changements de l'étape 3 constituent tous les effets que le changement de l'étape 2 peut avoir dans le modèle et que nous avons donc la liste complète des changements d'ajustement, nous devons être sûrs qu'aucun "ajustement supplémentaire" n'est requis par la situation. Il n'y a qu'un façon pour cela : nous devons nous occuper de la suite des changements d'ajustement jusqu'à obtenir une situation où, sans autre perturbation extérieure, toutes les choses peuvent continuer comme elles sont. En d'autres termes, nous devons continuer jusqu'à l'obtention d'un "nouvel équilibre," situation considérée comme finale parce qu'aucun autre changement ne semble requis par les circonstances. Le postulat de l'équilibre final sert à garantir que la liste des "changements d'ajustement" de l'étape 3 est complète.

 

Bref, nous avons ici une expérience mentale dans laquelle la première et la dernière étape, l'hypothèse d'équilibres initial et final, sont des procédés méthodologiques pour garantir que l'étape 2 est la seule cause et que l'étape 3 contient la liste complète des effets. La fonction de l'équilibre initial est d'assurer que "rien en dehors de 2" ne cause les changements de l'étape 3 ; la fonction de l'équilibre final est d'assurer qu'on attend "rien en dehors de 3" comme effet des changements de l'étape 2 (bien que le caractère "complet" de la liste des effets sera toujours relatif à l'ensemble des variables incluses dans l'équilibre).

 

Il existe quelques analogies simples entre le modèle des expériences mentales et celui des expériences de laboratoire. L'étape 1, l'hypothèse d'un équilibre initial, correspond à l'exigence d'une expérience contrôlée qui veut que les conditions soit conservées constantes et que le changement effectué de la variable sélectionnée soit ainsi isolé des changements d'autres variables indépendantes. L'étape 4, l'hypothèse d'un équilibre final, correspond à l'exigence d'une expérience complète qui veut que tous les changements soient observés et notés jusqu'à ce qu'aucun autre changement des variables dépendantes ne se produise.

 

Le large choix de l'ensemble des variables à l'équilibre

 

Le théoricien de l'économie jouit d'une grande liberté de choix quant à la construction de ses modèles et quant à la sélection des variables incluses. Les contraintes sont peu nombreuses et pas très restrictives : cohérence logique du modèle dans son ensemble, pertinence des variables retenues pour le problème analysé, "compréhension" des relations supposées entre les variables devant rester plausible et possibilité d'appliquer le modèle au sens que les événements ou changements supposés et déduits (comme étapes 2 et 3, respectivement) "correspondent" plus ou moins avec les événements ou les changements observés ou connus comme se produisant dans la réalité. Ceci laisse grand ouvert le choix de ce qu'il faut introduire dans "l'équilibre." Le système peut contenir peu ou beaucoup de variables ; il peut postuler des relations internes de nombreux types différents ; il peut délibérément exclure des interactions de variables prenant longtemps à s'estomper ou, au contraire, oublier les oscillations régulières de certaines variables pendant de courts intervalles temporels. (C'est principalement cette liberté de choix qui rend souvent presque sans signification le fait de déclarer qu'une situation économique concrète du monde réel, identifiée par une date historique et un espace géographique mais non spécifiée quant aux variables sélectionnées, est une situation d'équilibre ou de déséquilibre.)

 

Pour prendre conscience de l'étendue de la liberté de sélection des variables qui sont supposées exister à l'équilibre, il suffit de penser aux modèles simples "d'équilibre global" et à leur extension progressive via l'inclusion de variables ou de relations additionnelles. On peut se rappeler d'abord l'équilibre standard entre trois agrégats stratégiques, le revenu national, la consommation et l'investissement, reliés par une simple fonction de consommation, l'investissement étant supposé donné. On se rappellera ensuite l'équilibre global plus compliqué comprenant une ou plusieurs variables ou relations suivantes : une fonction d'investissement faisant dépendre l'investissement du revenu ou de la consommation, ou des changements absolus ou relatifs du revenu ou de la consommation ; des variations des rentrées provenant des exportations et des paiements des importations, les premières affectant le revenu et les secondes dépendant du revenu ; des variations des dépenses du gouvernement et des rentrées fiscales, dépendant du revenu et affectant la consommation (et peut-être aussi l'investissement) ; une fonction de consommation reliant cette dernière à diverses valeurs passées du revenu, aux valeurs réelles des avoirs, aux valeurs nominales des avoirs ; et ainsi de suite. Les combinaisons possibles même de ce petit nombre de variables et de relations globales permettent une énorme variété de situations d'équilibre. Pourtant, tous ces équilibres mettent encore de côté des variables comme les prix, les salaires horaires, les taux d'intérêts, les taux de conversion monétaire, qui sont toutes des candidates possibles à l'inclusion dans le système.

 

La "relativité" d'un "équilibre du commerce international," en ce qui concerne les relations et les variables prises ou non en compte, mérite un commentaire séparé. Pour certains problèmes on choisira de commencer à partir d'une situation de commerce équilibré ; pour d'autres problèmes on choisira de partir d'une situation avec un volume donné d'investissements étrangers, et donc d'un "excédent d'exportations d'équilibre," excédent compatible avec un équilibre du marché des changes ; et pour d'autres problèmes encore on choisira de partir d'un équilibre du revenu, de la consommation, de l'épargne et de l'investissement, avec un excédent ou un déficit du marché des changes comme faisant partie du volume d'investissements compatible avec les valeurs d'autres agrégats. Si le système comprend seulement ces agrégats, mais ne tient compte ni de la situation des réserves étrangères ni des liquidités bancaires, on peut dire que l'équilibre final est obtenu avec un déficit commercial, ce dernier étant égal à l'excédent de l'investissement intérieur par rapport à l'épargne totale. Cet équilibre final - où aucun ajustement supplémentaire n'est requis pour les variables sélectionnées - peut impliquer des changements continuels des variables négligées : par exemple, les réserves étrangères peuvent continuer à baisser vers zéro et les portefeuilles de prêts des banques à s'accroître sans limite. [4]

 

L'équilibre sera fréquemment associé à un ensemble de variables qui n'arrive pas à en inclure certaines qui sont à la fois pertinentes et importantes pour les problèmes pratiques ; un tel équilibre est parfois dénoncé comme un outil d'analyse sans valeur et dangereux. Il est certain que si un économiste devait baser des recommandations politiques sur une analyse se restreignant à de tels modèles d'équilibre trop simplifiés, il serait coupable d'un grand manque de jugement. Pourtant, de tels modèles peuvent avoir une valeur heuristique considérable. Cette valeur n'est pas diminuée si un important facteur est mis de côté, pourvu que cette omission ne soit pas commise par inadvertance. En fait, l'importance d'un tel facteur ne peut être démontrée qu'en le laissant de côté et en montrant alors la différence que cela fait lorsqu'il est réintroduit en tant que variable du système à l'équilibre.

 

Temps et équilibre

 

Plus souvent qu'à son tour, le temps est écarté de la construction et du fonctionnement des modèles d'équilibre. Si le temps est pris en compte, ceci est fait de diverses façons, implicitement ou explicitement.

 

Dans ce qu'on appelle une analyse périodique, le temps joue deux rôles : il apparaît en tant que variable indépendante et comme indice des autres variables. Dans le second rôle, il "date" les quantités qui sont reliées par des relations mutuelles stipulées et décalées dans le temps - où la valeur d'une variable à une période est reliée aux valeurs de la même et/ou d'autres variables à d'autres périodes. Et, en tant que variable indépendante séparée, le temps détermine les valeurs que les autres variables atteignent en certains points de leur chemin vers les valeurs d'équilibre. Et, de plus, le temps sert à identifier l'équilibre final comme la situation où un autre incrément de t laisse les autres grandeurs inchangées.

 

Dans une analyse périodique, tout comme dans certains autres types d'analyse séquentielle, les situations successives sont parfois des "équilibres temporaires," que le modèle puisse ou non jamais atteindre un équilibre final ; dans d'autres cas, cependant, les situations successives, bien que déterminées, ne sont pas précisément caractérisées comme des équilibres temporaires. Comme exemple de ce second type, nous pouvons penser au modèle décrivant le théorème de la toile d'araignée. Si la courbe de demande (non dépendante du temps) est plus pentue que la courbe d'offre (décalée dans le temps), le modèle ne produira pas d'équilibre final, alors que les intersections des "courbes d'offre instantanées" avec la courbe de demande détermineront chacune un point d'équilibre temporaire. Chacun de ces équilibres est stable (au sens que des déviations aléatoires sont auto correctrices) ; chacun est également "final" vis-à-vis de la courbe d'offre instantanée particulière - bien qu'il soit "temporaire" si la courbe d'offre évoluant dans le temps est prise en compte. Ainsi, la même et unique situation, définie par un ensemble fini de variables de valeurs données, sera à la fois un équilibre et un déséquilibre, selon la longueur de la durée prise en considération. [5]

 

En traitant cette question, le théoricien a le choix entre deux procédures équivalentes : il peut soit faire varier l'intervalle maximal de temps autorisé pour le processus d'ajustement (avec des coefficients temporels donnés pour les relations impliquées), soit changer la combinaison des variables constituant le modèle. La seconde possibilité est la procédure d'Alfred Marshall pour montrer l'ajustement de l'offre d'un produit particulier. Il fait la distinction entre un équilibre instantané du marché, un équilibre du marché à court terme et un équilibre du marché à long terme, non pas en fonction du temps nécessaire pour que les ajustements se produisent, mais en augmentant la liste des variables dépendantes : pour le premier équilibre, la production est fixée ; pour le deuxième, la production peut varier mais la capacité de production est fixée : pour le troisième, la capacité de production peut varier et seules les ressources productives potentiellement disponibles pour l'industrie sont fixées. Le temps lui-même n'est pas une variable du modèle ; à la place, il y a trois modèles (ou sous-modèles) avec des équilibres séparés ; chaque équilibre est "final" selon ses propres termes, mais "temporaire" selon les termes du modèle qui comprend davantage de variables. [6]

 

Il serait erroné de penser qu'une extension de la liste des variables est toujours équivalente à un ajustement à "long terme." Le contraire pourrait bien être vrai : l'ajout de variables peut raccourcir la période d'ajustement. Prenez, par exemple, le simple équilibre entre épargne et investissement dans un modèle périodique démontrant le principe du multiplicateur. Si la consommation est reliée au revenu reçu lors de la période précédente, et que la propension marginale à consommer est élevée, le nombre de périodes requises pour porter le revenu à un niveau proche de la valeur d'équilibre final serait énorme. Ce modèle suppose implicitement des stocks illimités de ressources non employées et d'encaisses inutilisées ou nouvellement créées. Si le modèle est étendu pour inclure des variables comme le chômage (limité), les salaires, le stock (limité) de monnaie et les taux d'intérêt, le mouvement vers l'équilibre de cet ensemble plus vaste de variables se produira en un nombre bien plus réduit de périodes (et, bien sûr, la valeur d'équilibre du revenu sera plus faible). [7]

 

Tout comme l'équilibre peut, par construction, ne pas prendre en considération les ajustements qui vont au-delà d'un certain ensemble de variables ou au-delà d'un certain temps, l'équilibre peut aussi, par construction, ne pas prendre en compte certaines oscillations ou fluctuations à court terme. Par exemple, les changements de la demande ou de la production qui peuvent être interprétés comme des fluctuations régulières - associées aux différentes heures du jour, aux différents jours de la semaine, aux différentes saisons de l'année - peuvent être acceptés comme faisant partie de l'équilibre stationnaire (ou simplement mis de côté si les fluctuations sont hors de propos du problème étudié), pourvu que les "conditions sous-jacentes" demeurent stables au cours du processus.[8] Mais les oscillations et les fluctuations ne doivent pas être admises comme faisant partie d'une "situation d'équilibre" sans que l'on soit en mesure de supposer qu'elles puissent, avec les lois du modèle, continuer avec un caractère parfaitement périodique, sans aucun changement d'amplitude ou de rythme.

 

Définition de l'équilibre

 

Nous n'avons jusqu'ici pas essayé d'énoncer une définition de l'équilibre, bien que la signification du terme est probablement devenue assez claire. A la lumière de la discussion précédente, nous pouvons définir un équilibre, dans l'analyse économique, commune constellation de variables corrélées et sélectionnées qui sont ajustées entre elles de telle sorte qu'aucune tendance au changement ne se manifeste dans le modèle qu'elles constituent. Le modèle, tout comme ses équilibres, ne sont, bien entendu, que des constructions mentales (basé sur l'abstraction et l'invention).

 

On m'a suggéré que l'expression "balance des forces" devrait faire partie de toute définition de l'équilibre. Je ne peux pas accepter cette suggestion : "équilibre des forces" n'est tout bonnement qu'une autre métaphore, peut-être un synonyme mais pas une explication de "l'équilibre," et elle est malencontreusement encombrée de la référence à des "forces," ce qui constitue un concept plutôt mystique nécessitant un travail de nettoyage séparé qui prendrait du temps. Mais si l'on croit que des métaphores supplémentaires peuvent être utiles pour définir ou expliquer l'équilibre, je proposerais alors l'expression de "coexistence pacifique" entre des variables sélectionnées de valeurs données. Lorsqu'une telle "coexistence pacifique" n'est pas possible, lorsque les variables sélectionnées ne sont pas compatibles entre elles pour les valeurs données, une ou plusieurs d'entre elles devront changer, et continueront à changer jusqu'à ce qu'elles atteignent des valeurs qui leur permettent de vivre ensemble telles quelles.

 

Ainsi, nous pouvons proposer comme définition alternative de l'équilibre la compatibilité mutuelle d'un ensemble sélectionné de variables corrélées ayant certaines valeurs. Supposons que l'ensemble consiste en les variables A, B, C et D, et qu'on fait l'hypothèse de certaines relations entre elles (sous la forme d'équations du comportement, de relations techniques, psychologiques ou institutionnelles, ainsi que de simples définitions). Si ces variables sont compatibles pour leurs valeurs «actuelles," alors "toutes les choses peuvent continuer comme elles sont." Puis "quelque chose se passe" qui diminue la valeur de la variable C. Cette nouvelle valeur n'est plus compatible avec celles de A, B et D, et "les choses doivent s'ajuster entre elles." Laquelle des variables bougera et de combien dépendra des règles du jeu, exprimées par les relations supposées entre les variables. A la fin, les nouvelles valeurs des quatre variables pourront être telles qu'elles soient à nouveau compatibles entre elles, et "la situation n'a plus besoin de nouveaux ajustements".

 

Le cœur du problème est que l'addition d'une autre variable, reliée d’une manière ou d'une autre aux autres, changerait le tableau. Les valeurs pour lesquelles A, B, C et D sont mutuellement compatibles quand elles sont seules en jeu peuvent présenter une sérieuse incompatibilité quand on leur ajoute une autre variable, disons E, d'une certaine grandeur. Mais un autre ajout, disons de F, peut neutraliser l'effet "perturbateur" de E, et les valeurs "actuelles" de A, B, C et D peuvent à nouveau être compatibles et "toutes les choses peuvent continuer comme elles sont." On n'insistera jamais assez sur cette relativité de la compatibilité et de l'incompatibilité en ce qui concerne les variables supplémentaires incluses ou exclues de l'ensemble sélectionné. Seule une énumération complète des variables sélectionnées et des relations supposées entre elles peut donner un sens aux affirmations quant à leur compatibilité ou incompatibilité mutuelle, c'est-à-dire à l'équilibre ou au déséquilibre de l'ensemble choisi. Et, alors qu'une spécification des variables sélectionnées et des relations supposées entre elle est requise pour tout modèle et tout problème, la définition d'un équilibre ou d'un déséquilibre ne doit pas restreindre la liberté de choix.

 

III. Réalité hors de propos et politique déguisée

 

Bien que je reconnaisse l'existence d'autres concepts d'équilibre en économie, je n'ai présenté que celui destiné à l'analyse théorique. Je soupçonne sérieusement que ceux qui utilisent les concepts d'équilibre pour d'autres buts, par exemple pour décrire ou pour évaluer des situations historiques, croient qu'un seul et même concept peut remplir un double ou triple fonction. C'est ce que je conteste. Mon travail dans cette partie ne peut pas être utilisé pour d'autres buts sans perdre beaucoup de son utilité dans l'analyse.

 

Un concept non opérationnel

 

L'équilibre comme outil pour l'analyse théorique n'est pas un concept opérationnel ; et les tentatives de développer des contreparties opérationnelles à cette construction ont connu l'échec. [9] Certaines variables d'un modèle ont habituellement des contreparties statistiquement opérationnelles ; dans de rares cas toutes en ont. Mais même dans cette configuration, la compatibilité entre les variables est toujours fonction des relations supposées entre elles et de la limitation du modèle à ces variables choisies. Le "monde réel" a sûrement infiniment plus de variables que n'importe quel modèle économique abstrait, et leur relations "réelles" ne sont ni connues ni, je le crains, connaissables (en partie parce qu'elles changent vraisemblablement de façon imprévisible au cours du temps). Il s'ensuit que l'équilibre entre les variables sélectionnées ne pourrait pas être observé même si chacune des variables avait une contrepartie dans le monde réel.

 

Certaines des variables d'un modèle qui ont une contrepartie observable et mesurable peuvent parfois être arrangées dans des sous-ensembles sous la forme de pages de balances comptables, de relevés de comptes ou financiers, ce qui nous permet de trouver une balance entre deux parties et de parler (de manière confuse) d'un "équilibre" ou de "déséquilibre" pour ce sous-ensemble. Par exemple, les exportations et les importations peuvent être arrangées dans une balance commerciale, ou certains articles du commerce international, une partie du capital ainsi que d'autres transferts peuvent être arrangés dans une balance comptable des paiements. [10] Ce qu'on appelle équilibre pour ces points signifie simplement une égalité entre les sommes correspondant à chaque membre de l'équation et ce qu'on appelle déséquilibre veut dire inégalité des sommes. Mais ce n'est que lorsque ce sous-ensemble est relié à d'autres variables - le revenu, la consommation, l'investissement, les prix, l'emploi, les salaires, les taux de change, les taux d'intérêt, les réserves étrangères, les réserves bancaires, les prêts bancaires, etc. - qu'il devient un facteur de l'analyse économique. Et ce n'est qu'après avoir sélectionné les variables et fait des hypothèses sur leurs relations que nous pouvons parler d'équilibre ou de déséquilibre. Malgré ce sous-ensemble opérationnel, le modèle dans son ensemble et son équilibre ne sont pas observables, pas opérationnels : ils restent des constructions mentales.

 

Des considérations peut-être semblables, peut-être très différentes, ont un jour conduit Per Jacobsson à faire l'observation suivante à ce sujet : "Vous ne pouvez pas plus définir d'équilibre dans le commerce international que vous ne pouvez définir une jolie fille, mais vous savez les reconnaître quand vous en rencontrez." [11] J'aime cette remarque pour son charme et son esprit, mais je me demande si elle atteint son but. Je pense que je suis assez compétent pour reconnaître une jolie fille, bien que mes goûts puissent ne pas être les mêmes que ceux d'un autre observateur expert. Mais je ne sais pas reconnaître un équilibre du commerce international, aussi consciencieusement que je regarde. Je peux le définir, au moins pour ma propre satisfaction ; mais je ne sais rien reconnaître dans la réalité - dans les chiffres statistiques représentent les "faits" d'une "situation réelle" - de tel qu'un équilibre du commerce international dans le sens dont nous avons parlé, c'est-à-dire comme situation où "toutes les choses peuvent continuer comme elles sont" et où "la situation n'a plus besoin de nouveaux ajustements" par rapport à tout ce qui a pu se passer.

 

Caractériser une situation concrète "observée" dans la réalité comme étant celle d'un "équilibre" revient à commettre l'erreur d'une réalité hors de propos. Au mieux, l'observateur peut vouloir dire qu'à son avis la situation observée et dûment identifiée correspond à un modèle dans sa tête, où un ensemble de variables sélectionnées détermine un certain résultat, et qu'il ne trouve aucune cause inhérente de changement - c'est-à-dire qu'il croit que seule une perturbation extérieure, dont il n'y a pas de traces en ce moment, pourrait conduire à un changement de ces variables. Ceci, bien sûr, est un jugement personnel, ne signifiant quelque chose que si les variables sont totalement énumérées et si les hypothèses sur leurs relations sont clairement énoncées. Vu l'état actuel des choses, toute situation économique réelle peut correspondre au même instant à un équilibre dans un modèle et à un déséquilibre dans un autre.

 

L'usage du concept analytique d'équilibre pour qualifier une situation historique concrète est considérée comme une "réalité hors de propos," tout d'abord en raison de l'erreur générale consistant à franchir la distance entre une fiction utile et des données particulières d'une observation et, ensuite, en raison de l'erreur consistant à oublier la relativité de l'équilibre par rapport aux variables et aux relations retenues. Un nombre illimité de modèles peut se trouver "correspondre" à une situation réelle d'une façon ou d'une autre, et le choix n'est dicté par aucune prétendue réalité de la vie, ni par aucune convention des analystes. [12]

 

L'expression "relativité de l'équilibre" exprime que pour des faits, n'importe quel nombre et combinaison de variables peuvent être choisis pour un modèle, selon les habitudes, talents ou buts analytiques ou didactiques de l'économiste ; que les mêmes valeurs de variables peuvent rendre compte à la fois d'un équilibre et d'un déséquilibre, selon les autres variables qui les accompagnent et selon les relations qu'elles sont supposées suivre ; et que différents problèmes (concernant peut-être la même situation réelle) peuvent faire appel à des modèles très différents dans l'analyse.

 

L'équilibre n'est pas la stabilité

 

La stabilité au sens d'invariance au cours du temps a quelques liens avec la notion d'équilibre, ce qui peut facilement conduire à les confondre. Comme l'équilibre est la situation où toute chose est si bien ajustée aux autres choses - du modèle - que tout peut continuer sans changement, il s'ensuit certainement une stabilité au cours du temps (au moins jusqu'à la prochaine perturbation). Et comme un changement perturbateur doit être isolé - dans le modèle - de toute autre chose réclamant des changements d'ajustement, ceci implique que "toutes les autres choses restent en l'état" - en particulier les relations supposées dans le modèle entre les variables ; en fin de compte, nous présupposons la stabilité de beaucoup de choses pendant la durée du processus appelé "retour vers un équilibre" dans le modèle. Puisqu'il y stabilité de toutes les choses au début et à la fin du processus imaginé, et stabilité de beaucoup de choses entre le début et la fin, le lien logique entre stabilité et équilibre est certainement très grand.

 

En outre, il y a la signification spéciale de "la stabilité de l'équilibre" selon laquelle un "équilibre stable" se distingue d'un équilibre "instable" en fonction de la présence ou de l'absence d'un mécanisme "d'autocorrection" des variations aléatoires des valeurs d'équilibre des variables impliquées.

 

Cependant, aucune de ces notions de stabilité n'a grand chose à voir avec la stabilité d'un prix ou d'une quantité observé dans la vie réelle. Un prix réel peut être stable pendant longtemps sans nous obliger à le considérer comme un prix d'équilibre dans le modèle que nous choisissons pour l'expliquer. Un prix réel peut être très instable, montant et tombant comme un fou, alors que nous trouvons plus pratique d'expliquer ces changements grâce à des modèles montrant une rapide succession d'équilibres parfaitement stables, les différents prix d'équilibre étant dus à une rapide succession de changements déséquilibrants exogènes.

 

Nous pouvons conclure que "stabilité observée" et "instabilité observée" ne doivent pas être confondues avec, ni attribuées à, respectivement, un équilibre et un déséquilibre dans les modèles analytiques.

 

L'équilibre n'est pas un jugement de valeur

 

L'équilibre tel qu'employé dans l'analyse économique positive - à distinguer de l'économie du bien-être - ne devrait pas être pris comme un jugement de valeur, ni comme une référence à un "état désirable des choses." L'équilibre n'est une Bonne Chose, ni le déséquilibre une Mauvaise Chose. Le contraire n'est pas non plus justifié : l'équilibre ne veut pas dire le status quo, ni le laissez-faire, comme certains économistes dissidents ont été amenés à le penser.

 

Si l'analyse d'un équilibre est employée pour expliquer une triste situation comme résultat d'équilibre de certaines conditions et de certains événements, il serait idiot de transférer notre aversion pour la situation vers le concept d'équilibre utilisé lors de l'explication. Et si une situation déplorable n'est pas appréciée et est considérée comme intolérable, l'appeler déséquilibre pour cette raison n'aide ni à analyser, ni à développer la meilleure politique pour l'améliorer.

 

Bien sûr, il est parfaitement légitime de permettre à nos jugements de valeur de nous suggérer les problèmes à analyser. Si nous trouvons souhaitable d'assurer le plein emploi à des salaires élevés, nous pouvons construire des modèles pour nous dire quelles conditions (relations entre les variables) conduiraient à un plein emploi et à de hauts salaires compatibles avec les valeurs données des autres variables de l'ensemble ; ou qu’elles devraient être les valeurs de ces autres variables afin d'être compatibles avec le plein emploi et les hauts salaires, les relations étant données. Si nous, ou d'autres, défendons une certaine politique de plein emploi; nous pouvons construire des modèles pour montrer quels effets peuvent être attendus, en plusieurs circonstances, si diverses relations institutionnelles étaient établies pour faire dépendre les taux d'intérêt, les prêts bancaires, les dépenses gouvernementales (ou d'autres variables ayant un effet sur l'emploi) de changements dans les données du chômage (absolu ou relatif). Mais aucun de ces exercices, aussi valables et importants soient-ils, ne serait aidé par l'incorporation de nos valeurs morales ou de nos buts politiques dans la définition de l'équilibre, tel que l'ont proposé certains économistes. Certaines de ces propositions, comme nous le verrons dans la partie IV, réclament que le plein emploi avec des salaires donnés et d'autres objectifs souhaitables fassent partie de la définition de l'équilibre, de telle sorte que toute situation pour laquelle ces objectifs ne sont pas atteints soit appelée "déséquilibre."

 

En injectant un jugement de valeur, une philosophie ou un programme politique, ou le rejet d'un programme ou d'une politique, dans le concept d'équilibre destiné à l'analyse économique, l'analyste commet l'erreur d'une évaluation implicite ou de politique déguisée. C'est une chose que de choisir les variables et les relations propices à une analyse d'équilibre des problèmes dictés par les valeurs de jugement et les objectifs politiques. C'est une chose très différente que d'insister pour incorporer ces évaluations dans la définition de l'équilibre. En fait, l'analyse des possibilités de leur mise en œuvre peut être empêchée par une telle définition restrictive.

 

IV. L'équilibre dans la théorie du commerce international

 

La littérature sur le commerce international fait un usage plus fréquent des concepts d'équilibre que les autres domaines de l'économie. Les pages sont généreusement parsemées d'équilibres et de déséquilibres, et les auteurs s'adonnent plus souvent qu'à leur tour à des applications concrètes, ainsi qu'à des conseils politiques basés sur une hiérarchie implicite des valeurs. Même certains des commentateurs les plus clairs semblent avoir une grande peine à se souvenir de leurs propres définitions, et plus d'un auteur ne se gêne pas pour changer d'equos au milieu du courant et de concepts d'équilibre au milieu de son libri (si un jeu de mots latin est accepté).

 

Une conscience cohérente de la relativité : Joan Robinson

 

Il existe quelques auteurs exceptionnellement cohérents et méthodiques. Parmi eux, pleinement consciente de la relativité de l'équilibre et attentive à celle-ci, se trouve Joan Robinson :

 

Il est désormais évident qu'il n'y a pas un taux de change qui soit le taux d'équilibre correspondant à un état donné de la demande et des techniques mondiales. Dans toute situation donnée, il existe un taux d'équilibre correspondant à chaque taux d'intérêt et niveau de la demande effective, et tout taux de change, dans des limites très larges, peut être transformé en taux d'équilibre en modifiant de manière appropriée le taux d'intérêt. De plus, tout taux de change peut être rendu compatible avec tout taux d'intérêt, à condition que les salaires nominaux soient suffisamment modifiés. La notion d'un taux de change correspondant à l'équilibre est une chimère. Le taux de change, le taux d'intérêt, le niveau de demande effective et le celui des salaires nominaux réagissent entre eux, et aucun n'est déterminé si tout le reste n'est pas donné. [13]

 

Politique incorporée et stabilité simulée : Nurkse

 

Ragnar Nurske savait sans aucun doute tout cela mais, dans son essai désormais classique sur l'équilibre international, il a choisi de l'oublier. [14] Il avait peut-être la forte impression d'être moins concerné par les précisions de l'analyse abstraite que par la formulation de politiques monétaires pratiques (p. 4) servant à atteindre plusieurs objectifs sociaux : le "plein emploi" ou "un bon niveau d'emploi étant donné la structure des salaires" (p. 16), l'élimination de l'inflation (p. 12), "une stabilité raisonnable des taux de change" (p. 21), "la liberté hors des sévères restrictions de change" (p. 21). Il croyait apparemment qu'un programme destiné à prévenir des "écarts prolongés" de "cet heureux état de faits" (p. 34) pouvait plus facilement être développé avec l'aide d'un concept d'équilibre intégrant des jugements de valeur.

 

Ainsi, loin de considérer la notion du taux de change d'équilibre comme une "chimère," Nurske considérait qu'il "devrait exister une notion plus ou moins généralement acceptée de ce qui constitue un 'équilibre' et un 'déséquilibre' en ce qui concerne les taux de change internationaux." [15] Comme il trouvait indésirable les fréquents changements des taux de change, il nous fit nous "détourner du système imaginaire de taux de change fluctuant librement, dans lequel la balance [des paiements] reste en équilibre chaque heure de chaque jour." Il proposa que "la période que nous considérons dans la définition de l'équilibre du taux de change... ne devrait certainement pas durer moins d'un an" et de préférence " assez longtemps pour éliminer les fluctuations 'cycliques'," c'est-à-dire "entre cinq et dix ans." La balance sur une telle période serait "l'indication d'un équilibre ou d'un déséquilibre". En bref, le "taux d'équilibre" est le taux auquel "il n'y aurait pas de changement net des réserves des moyens internationaux de paiement d'un pays" pendant une période de cinq ou dix ans (pp. 6-7). Mais ce n'est un "véritable taux de change d'équilibre" que si la balance des paiements (excluant tout mouvement de capital à court terme) est "maintenu en équilibre" sans "restrictions supplémentaires du commerce" ni "dépression et chômage à l'intérieur du pays" (pp. 9-11).

 

Comme Nurske ne cachait pas ses jugements de valeur, on ne peut l'accuser de politique déguisée ; mais je doute de l'utilité analytique de son concept d'équilibre avec évaluation incorporée, et je soumets l'idée qu'il aurait pu éviter la confusion en choisissant un autre terme. Par exemple, il aurait pu parler de "taux de change optimal," de "taux de change le plus souhaitable" ou de "taux de change de plein-emploi," au lieu d'invoquer la Vérité et l'Équilibre en parlant de "véritable taux de change d'équilibre."

 

En outre, parler d'un équilibre sur une période "assez longue pour permettre aux changements cycliques de s'éliminer" (p. 15) est analytiquement très discutable. Cela revient en pratique à confondre équilibre et stabilité des prix. Si l'on accepte - et Nurske l'accepte - que le taux de change d'équilibre serait différent "pour des niveaux différents du revenu national" (p. 11) ou "avec un flux différent d'investissements étrangers," est-il dès lors permis de supposer que le revenu national (voire le revenu national de plein emploi) et le flux d'investissements étrangers resteront constants pendant la durée d'un cycle, pendant cinq ou dix ans ? Il est certain qu'on peut toujours "moyenner" sur plusieurs années les valeurs fluctuantes du revenu ou de l'investissement, mais quel droit avons-nous de transformer les moyennes statistiques ex post en normes ou données ex ante pour lesquelles le taux de change devraient être équilibrés ? Si nous restons au niveau ex ante, comme nous le devrions pour des modèles théoriques ou pour des conseils de politique pratique, nous n'avons aucune raison légitime pour supposer que les revenus nationaux des pays concernés et les flux d'investissements entre eux puissent rester, même approximativement, inchangés sur plusieurs années. Nous avons encore moins de raisons pour supposer que toutes les autres conditions dont dépendent les "taux de change d'équilibre" restent figées. Les changements concernant les techniques, le stock de capital, la force de travail, l'organisation industrielle, les goûts du consommateur, les prix des facteurs, ceux des produits, les taux d'intérêt, les prêts bancaires, les dépenses gouvernementales, les stocks monétaires, etc., conduiraient certainement à modifier fréquemment et de manière importante les taux de change d'équilibre.[16] C'est une chose que de supposer que les choses restent inchangées pendant la durée d'un processus particulier d'un modèle abstrait. C'est est une autre que de simuler une telle stabilité pour des buts pratiques ou pour qu'elle fasse partie intégrante d'un concept destiné à l'analyse appliquée.

 

Un soutien aux critères politiques : Ellsworth et Kindleberger

 

La notion de Nurkse quant à l'équilibre pour les transactions internationales et les taux de change a été largement acceptée et développée. P. T. Ellsworth et Charles P. Kindleberger, dans leurs excellents manuels, adoptent tous les deux la "balance sur plusieurs années" comme critère d'équilibre concret. Et ils considèrent comme critères d'un équilibre véritable (politiquement acceptable) les buts sociaux d'un niveau d'emploi satisfaisant à des salaires satisfaisants, avec des restrictions modérées du commerce et des prix raisonnablement stables. Ils offrent des justifications supplémentaires. Par exemple, Ellsworth écrit :

 

Notre concept de ce qui est souhaitable a modifié notre concept de ce qui est normal ; il est désormais généralement admis que nous devons avoir une vision plus large de l'équilibre. Le plein emploi, ou pour le moins l'absence de chômage de masse, est considéré de nos jours comme une condition même de l'équilibre. Ainsi, une balance des paiements qui ne peut être équilibrée qu'au moyen d'une baisse importante du revenu et de l'emploi, ou par une montée du revenu à des niveaux inflationnistes, ne peut être considéré comme étant en équilibre. [17]

 

La notion keynésienne d'un "équilibre de sous-emploi" semble être ici rejetée, non en raison de répercussions économiques obligeant (dans un modèle analytique) à restaurer un équilibre de plein emploi, mais simplement parce que le chômage est indésirable. Kindleberger, d'un autre côté, cherche une explication moins normative. Il est d'accord pour dire qu'un "chômage important... est compatible avec un équilibre du marché," mais, dans une vision plus large, dit que "chômage signifie déséquilibre, car une action du gouvernement pour le contrecarrer est probable et perturbera la situation de la balance des paiements." [18] Les répercussions politiques sont introduites ici dans l'analyse économique, non pas au travers de l'hypothèse de relations institutionnelles données (comme des taux d'imposition), mais par une prédiction, prévoyant que le gouvernement, sous la pression politique ou par conviction politique, décidera de faire quelque chose pour augmenter la demande effective de travail et de produits. "Nous suggérons que, dans une vision plus large des sciences sociales, l'équilibre de la balance des paiements devrait être combiné avec la stabilité politique dans un équilibre plus généralisé" (p. 412).

 

L'équilibre devient, pour Kindleberger, un concept politique, en partie à cause des répercussions politiques qu'il prédit (sans les spécifier), et en partie (et c'est une toute autre histoire) parce qu'il s'agit pour lui d'un état de choses "désiré" et parfois "obtenu." Pourtant, "l'obtention de l'équilibre économique" est opposé à celui "d'autres buts sociaux, tel que l'équilibre national, politique et social ou la paix internationale." L'équilibre économique "est au mieux un objectif limité" (p. 519). Les économistes devront-ils désormais se mettre d'accord sur une philosophie politique et sur des valeurs éthiques avant de pouvoir parler d'équilibre ?

 

Relativité et neutralité par rapport aux valeurs : Meade I

 

J. E. Meade, dans son traité sur La balance des paiements, qui est l'analyse la plus minutieuse dans ce domaine, se montre lui-même le maître d'une maison divisée. C'est un chaud partisan et un utilisateur talentueux du concept d'équilibre en tant qu'outil méthodologique abstrait, dégagé des valeurs. Mais c'est également un avocat convaincant du concept d'équilibre comme critère de performance et comme symbole d'un programme complet de politique économique se battant pour le Bien et évitant le Mal. De plus il trouve nécessaire, au cours de son analyse, de réduire la globalité politique de ce concept d'équilibre, et de le décomposer en équilibres séparés de bien plus faible portée. Une confrontation de ces trois Meade sera facilitée en les appelant Meade I, Meade II et Meade III, coauteurs du premier volume de The Theory of International Economic Policy. [19]

 

Meade I commence le livre par une déclaration résolue figurant dans la préface :

 

La méthode employée dans ce volume est de considérer d'abord un nombre de pays dans un équilibre au moins partiel ou temporaire, sur le plan intérieur ou sur le plan international. Puis d'introduire un certain facteur perturbateur (qui est souvent un acte de politique gouvernemental) dans cet équilibre ; puis encore de considérer le nouvel équilibre partiel ou temporaire que les économies atteindront lorsque les effets directs et indirects du facteur perturbateur seront totalement terminés. Et finalement de comparer la nouvelle situation d'équilibre avec l'ancienne. [p. viii]

 

Le système de Meade du modèle d'équilibre, présenté aux chapitres IV et V, correspond sur presque tous les points à celui proposé dans le présent article. Il y a la division en quatre étapes - "ancienne situation d'équilibre" ; "perturbation spontanée" ; "répercussions" avec "effets ultimes" ; nouvelle situation d'équilibre." [20] Il reconnaît aussi la relativité de l'équilibre prenant en compte des variables sélectionnées, mais pas les variables non retenues par le modèle. Par exemple, Meade I permet au chômage d'exister pour une situation d'équilibre [21] initial ou final ; il accepte qu'un "nouvel équilibre" soit atteint qui "implique un déficit de la balance des paiements [d'un pays]" (p. 60) et qui serait ainsi un déséquilibre si des réserves étrangères, etc., étaient inclues parmi les variables sélectionnées. Et tous ces équilibres et déséquilibres sont "neutre vis-à-vis des valeurs", ce qui veut dire exempts de tout jugement de valeur politique, exempts de toute connotation de bien ou de mal, de désirable ou d'indésirable, de politiquement acceptable ou inacceptable.

 

Une alliance avec les jugements de valeur politiques : Meade II

 

Tel n'est pas le cas de Meade II, qui a écrit le premier chapitre du livre. Il commence avec un pays "souffrant" d'un déséquilibre (p. 3) et il identifie clairement les "difficultés de la balance des paiements" à un "déséquilibre de la balance des paiements" (p. 14). Après avoir montré que le déficit d'un pays quant aux articles commerciaux et aux transferts sans retour "ne représente pas nécessairement un déséquilibre de sa situation internationale" (p. 8), il estime que son "véritable déficit de la balance des paiements" est la "balance des transferts et du commerce autonome," qui doit "être harmonisée par ce que nous avons appelé la finance d'adaptation." [22] Mais même un tel déficit "véritable" "représenterait un critère de définition trop étroit pour un déséquilibre de la balance des paiements" (p. 13) ; pour Meade, un critère suffisant est celui d'un déficit seulement "potentiel". Car ce n'est pas la balance réelle mais plutôt un déficit ou un excédent "potentiel" "qui constitue la mesure appropriée du déséquilibre de la balance des paiements" (p. 15). Un tel déséquilibre sans déficit effectif se produit quand le déficit est évité par le biais de restrictions commerciales, par la déflation du revenu intérieur et le chômage ou par un ajustement du taux de change.

 

Meade II a ainsi adopté le concept d'équilibre politique proposé par Nurske. [23] Mais Meade II continue et fait une autre distinction quant au fait "qu'un déséquilibre de ce type peut être soit temporaire soit plus ou moins permanent" (p. 15). Comme "c'est le deuxième cas, bien entendu, qui pose vraiment un sérieux problème" (p. 15), il décide que "peut-être la mesure la plus fondamentale du déséquilibre de la balance des paiements est celle du déficit ou de l'excédent des paiements potentiels et continuels correspondant aux transferts et au commerce autonome." Il déclare que ce sera le sens du terme dans la suite du livre (p. 16).

 

Meade I pourrait alors se lever et dire à Meade II qu'un théoricien est certes très familier de l'équilibre temporaire, mais ne sait pas ce que pourrait vouloir dire un déséquilibre permanent ou durable - sauf peut-être dans un cas de contrôle direct interférant avec "l'équilibre du marché." En effet, un déséquilibre, dans le modèle du théoricien, est une constellation de variables qui ne peut pas persister si elle est laissée à elle-même, qui doit conduire à un autre changement, et qui est donc temporaire par hypothèse. Meade II devrait répondre qu'il ne parlait pas de déséquilibre au sens de l'économiste théoricien mais se référait à la place à une situation assez déplaisante qui pouvait malheureusement continuer pendant longtemps : une situation dans laquelle un niveau d'emploi désiré pour des salaires désirés ne pourrait être maintenue, pour des taux de change donnés et sans restrictions commerciales spéciales, qu'à l'aide d'une adaptation des importations de capital (prêts de l'étranger, liquidation forcée des avoirs étrangers et perte de l'or et des réserves de change). Si la finance d'adaptation ne peut pas être obtenue, la balance effective devra inévitablement être atteinte, par plus de chômage, par des baisses de salaires, par la dépréciation de la monnaie ou par des contrôles commerciaux plus stricts. Mais comme chacun de tous ces facteurs de retour à l'équilibre est "indésirable," Meade II préférerait refuser le nom et le titre "d'équilibre" à la balance obtenue.

 

Un retour à la neutralité par rapport aux valeurs : Meade III

 

Le sentiment et la résolution de Meade II ne servaient pas à grand-chose, vu que Meade III a écrit la plupart du restant de l'ouvrage. Il a rapidement trouvé pratique de distinguer "balance intérieure" et "balance extérieure" (pp. 104 et suivantes), la première s'occupant de l'emploi domestique (et de ce qui lui est associé, comme l'inflation des prix et les comme les salaires), la seconde de la balance des paiements (et de ce qui lui est associé, comme les contrôles du commerce et les taux de change). Le critère de plein emploi n'est plus alors partie prenante de l'équilibre de la balance des paiements. Par exemple, l'ouvrage discute de cas où "une inflation de la dépense domestique est nécessaire" à la fois pour augmenter l'emploi "et pour restaurer l'équilibre de la balance des paiements" (p. 115). Ou, dans la discussion des "conflits entre balances interne et externe," le texte poursuit régulièrement la discussion entre un "déséquilibre" de la balance des paiements et, d'un autre côté, un déséquilibre "de chacun des revenus nationaux" des pays concernés (chapitre X). En fait, la distinction est très subtile, particulièrement lorsque Meade III distingue des situations hypothétiques dans lesquelles "le plus petit élément de déséquilibre," ou "l'élément de déséquilibre le moins marqué," ne peut être trouvé ni dans la balance intérieure ni dans la balance extérieure (p. 122).

 

Meade III élimine aussi de la signification de l'équilibre extérieur le critère de taux de change fixes et d'absence de restrictions commerciales. Ainsi, à un moment il considère la possibilité que les autorités des pays "laissent le taux de change entre leurs monnaies fluctuer afin de rétablir la balance extérieure sans sacrifier la balance intérieure," et la possibilité alternative qu'elles imposent "des contrôles directs sur les transactions internationales pour restaurer l'équilibre de leurs balances des paiements sans perturber leur balance intérieure" (p. 24). Et il discute d'un cas où "un déséquilibre de la balance des paiements est éliminé au moyen d'une dépréciation de la devise du pays déficitaire," et d'un autre cas où "la balance des paiements est remise en équilibre" par ajustements des prix dans un système de taux de change fluctuants (pp. 328-329). Il est fort probable que Meade III avait trouvé que les définitions développées par Meade II, reflétant un regret généralement partagé des écarts par rapport à des circonstances socialement idéales, n'étaient pas des outils efficaces pour son analyse économique.

 

Il y a encore une différence à établir entre Meade I et Meade III, mais elle n'est pas grande. En fait, c'est purement une affaire de terminologie. Meade I voulait que "l'équilibre" soit le moyen pour réfléchir, tel que décrit dans le présent article, alors que Meade III l'a souvent employé pour se référer à une balance des paiements dans laquelle les transactions d'adaptation sont nulles. Si Meade III avait parlé de balance des paiements déficitaires, excédentaires ou nulles, sans utiliser le mot "équilibre," il aurait évité jusqu'à l'apparition d'une différence conceptuelle. Mais c'est peut-être trop demander. Après tout, on peut s'habituer à des mots possédants de multiples significations, et on devrait être capable de se souvenir que ce qui est appelé "déséquilibre de la balance des paiements" veut tout simplement dire excédent ou déficit, ce qui dans l'analyse économique peut dépeindre un équilibre initial, un changement d'ajustement ou un équilibre final, selon le problème en question. [24]

 

Une attaque des définitions persuasives : Streeten

 

Les philosophes des sciences ont récemment montré que certaines définitions, supposées énoncer ce qu'une chose est ou veut dire, sont en fait destinées à persuader les gens de faire certaines choses ou de les faire d'une certaine façon. On appelle "définitions persuasives" de telles définitions. [25]

 

Paul Streeten, dans un article intéressant, a montré que certaines définitions de l'équilibre de la balance des paiements tombent dans la catégorie des définitions persuasives. Nous avons vu comment les taux de change stables, le plein emploi pour des salaires donnés, des niveaux de prix stables et un commerce sans restriction avaient été inclus dans certaines définitions de l'équilibre de la balance des paiements. Cette expansion du critère revient, selon Streeten, à "présumer la question résolue" ; "cache derrière une définition persuasive des jugements de valeur non habituellement partagés." [26]

 

Streeten se met à illustrer les dangers de la définition persuasive :

 

Inclure, par exemple, la présence de restrictions à l'importation dans la définition du "déséquilibre" produit le résultat commode que la suppression de ces restrictions, avec dévaluation ou déflation, devient une nécessité, bien que l'on espère, probablement, que la différence entre nécessité logique (qui est la conséquence de la définition) et la nécessité morale ou politique (ce qui devrait être fait) se sera pas découverte. [p. 87]

 

Il est implicitement supposé, je le comprends, que ceux qui font usage d'une définition persuasive de l'équilibre s'appuient sur l'association populaire de l'équilibre avec le Bien, et du déséquilibre avec le Mal. Ainsi, ils espèrent vendre au public la suppression des restrictions à l'importation (ou l'adoption de politiques de plein emploi, etc.) dans le même paquetage appelé "équilibre."

 

Ceci ne veut pas dire que l'absence de restrictions à l'importation et la poursuite de politiques fiscales et monétaires afin de créer une demande de plein emploi pour les biens et les services ne sont pas des hypothèses importantes, peut-être indispensables, à l'analyse de certains problèmes. [27] La position méthodologique de ces deux hypothèses, cependant, n'est pas la même si, par restrictions à l'importation, nous entendons l'usage de contrôles d'allocation discrétionnaires plutôt que l'usage de tarifs douaniers et autres règles générales ayant un impact "prédictible." Des contrôles discrétionnaires doivent être exclus de nombreux modèles analytiques, non parce que nous ne les aimons pas, mais parce que nous ne pouvons pas prédire le résultat : nous devrions connaître les "équations du comportement" des autorités de contrôle afin de savoir comment elles réagissent à certains changements des variables du modèle. Dès que ces fonctions de comportement sont "données," reliant certaines variables à d'autres d'une façon définie, les contrôles ne sont plus "discrétionnaires," et nous pouvons les utiliser dans notre théorie de l'équilibre.

 

L'hypothèse d'une "absence de contrôles discrétionnaires (théoriquement imprévisibles)" est, par conséquent, une partie nécessaire d'un modèle incluant le concept d'équilibre du marché. Dans un tel modèle, nous supposons régulièrement certaines relations entre les prix, les revenus et les quantités offertes et demandées sur le marché. Si certaines réactions déduites des relations supposées ne se produisent qu'à la condition d'obtention d'une licence et ne peuvent se matérialiser sans permission spéciale d'une autorité imprévisible, le modèle devient inexploitable. Ce n'est que pour cette raison que "l'équilibre du marché" doit postuler qu'il existe des "prix de marché libre," et donc l'absence de contrôles directs. Les barrières commerciales ayant une influence prévisible sur les changements d'ajustement sont parfaitement compatibles avec l'équilibre du marché, et également avec un autre équilibre. Et, au passage, cette incompatibilité de l'hypothèse des restrictions commerciales discrétionnaires avec un équilibre analytiquement exploitable n'est pas un bon argument contre l'usage de telles restrictions dans le monde réel. Une politique ne peut pas être rejetée uniquement pour la raison qu'elle n'entre pas dans un schéma conceptuel qui s'est révélé utile dans l'analyse.

 

Le problème d'une politique incorporée

 

Les objections envers les définitions persuasive de l'équilibre ne se basent pas sur la peur que des gens crédules puissent effectivement être persuadés de défendre des mesures ou des politiques "déduites" des arguments où un tel concept d'équilibre est employé ; la véritable raison de l'objection est qu'un concept d'équilibre aussi drastiquement limité par des critères politiques incorporés devient moins utile, si ce n'est inutile, pour l'analyse de la plupart des problèmes. La plupart des problèmes qui requièrent une analyse sont tels qu'on ne peut pas "atteindre" toutes les conditions idéales qui sont devenues "critères honoraires" de l'équilibre. Leur analyse réclame un grand nombre de variables politiques et de fonctions de comportement institutionnel (politique), combinées avec un concept moins circonscrit de l'équilibre pouvant être utilisé pour tout ensemble de variables et toutes les relations entre elles. Cet énoncé se réfère principalement au type d'analyse dans laquelle l'équilibre est pensé comme situations initiale et finale d'un processus imaginé de changement impliquant un ensemble choisi de variables corrélées. Mais il convient aussi pour une analyse dans laquelle l'équilibre est pensé comme une simple égalité de certaines sommes (effectives ou potentielles) de deux côtés d'une comptabilité appelée "balance des paiement."

 

Prenez n'importe quel changement qui créerait une augmentation de la demande de change, ou à une diminution de son offre. Qu'il s'agisse d'un changement des goûts nationaux ou étrangers, un changement global des possibilités techniques de production, un changement de politique fiscale ou monétaire (par exemple, pour accélérer le développement économique), un changement de la structure des salaires (donnant, par exemple, des salaires plus élevés aux travailleurs de l'industrie), un changement des flux d'investissement (peut-être une plus grande demande d'investissement étranger), une réduction du désir de détenir des espèces, ou tout autre "changement déséquilibrant" - les changements d'ajustement impliqueront d'abord un flux de réserves étrangères permettant l'adaptation et éventuellement certains mouvements "interdits," c'est-à-dire quelques écarts par rapport aux exigences intégrant les principes politiques de "l'équilibre" au sens persuasif. Par exemple, les salaires réels peuvent être réduits par des prix plus élevés des biens ; les taux d'intérêts peuvent augmenter, ou les prêts bancaires diminués, conduisant à une réduction de l'emploi ; les taux de changes peuvent s'ajuster, etc., et l'équilibre final - le nouvel équilibre au sens analytique - sera un "déséquilibre" de la balance des paiements au sens persuasif (ou plutôt dissuasif). Comme aucun des résultats d'un de ces ajustements possibles ne pourrait postuler au titre honorifique "d'équilibre," le "déséquilibre" (au sens dissuasif) ne pourrait être guéri que par un deus ex machina : par un autre changement déséquilibrant qui arriverait à neutraliser la première perturbation et rendre inutiles les ajustements déplaisants. Un véritable sabotage de l'analyse économique !

 

Notes

 

[1] Je remercie ma collègue le Dr. Edith Penrose pour la critique impitoyable à laquelle elle a soumis une version préliminaire de cet article. Grâce à ses conseils, j'ai pu éliminer plusieurs défauts de l'exposé et plusieurs offenses dues à une trop grande agressivité.

 

[2] Fritz Machlup, The Economics of Seller's Competition (Baltimore : John Hopkins Press, 1952), p. 5. Il était fait allusion à certaines idées du présent article dans ce livre.

 

[3] Fritz Machlup, "The Problem of Verification in Economics," Southern Economic Journal, Vol. XXII (Juillet 1955), pp. 1-21.

 

[4] Fritz Machlup, International Trade and the National Income Multiplier (Philadelphia : Blakiston, 1943), pp. 85-87, 172-173, 208.

 

[5] Certains équilibres en physique et en chimie sont du même type. Prenez l'exemple d'une simple balance (libra, en latin) avec deux plateaux de formes différentes mais de poids et de volume égaux, contenant des quantités identiques d'eau. L'équilibre ne sera que temporaire, car l'évaporation de l'eau sera plus rapide pour le plateau ayant une plus grande surface libre ; il y aura équilibre instantané (avant l'évaporation de l'eau) et équilibre à long terme (après évaporation complète de l'eau pour les deux plateaux). De même, il peut y avoir des équilibres chimiques après un bref intervalle de temps mais par pour des périodes plus longues, selon que l'on prenne en compte uniquement les réactions rapides ou également les réactions lentes.

 

[6] Au passage, aucun étudiant comprenant ces conceptions ne commettra l'erreur d'identifier une situation réelle, impliquant les prix payés et les quantités produites d'un pays donné à un temps donné, comme situation d'équilibre à long terme. Tous ces équilibres sont purement hypothétiques. Jamais personne ne pourrait "savoir" si tous les ajustements aux événements passés sont terminés - ou seront terminés un jour. Si le temps du calendrier devait remplacer le "long terme" de Marshall, l'ajustement de long terme diminuant la demande pour un produit pourrait prendre trente ans ou plus, avec l'usure graduelle normale et l'érosion progressive de la capacité productive. Quelqu'un pourrait-il supposer dans le monde réel - qui doit être supposé pour pouvoir examiner les choses en détail - que la demande, la technique et toutes les autres choses resteront inchangés pendant une période aussi longue ? Certainement, l'appareil conceptuel et son équilibre final n'ont pas été construits pour fournir une description de la situation réelle, mais plutôt pour garantir que toute l'attention soit donnée à tous les processus de changement qui pourraient être interprétés comme les effets de l'événement ou du changement considéré comme la donnée déséquilibrante.

 

[7] Il y a eu des économistes pour ronchonner en se demandant "comment quelqu'un peut parler d'un équilibre en ne prenant pas en compte tant de variables cruciales." De tels ronchonnements seraient justifiés s'ils étaient dirigés contre le choix des variables et des relations, contre l'utilité du modèle et, tout particulièrement, contre les recommandations de politique qui se basent sur elles. Mais si les ronchonnements sont dirigés contre le fait de "parler d'un équilibre" dans un tel cas, ils ne sont méthodologiquement pas valables. Équilibre et déséquilibre se réfèrent à tout modèle que vous pouvez avoir en tête.

 

[8] La technique consistant à "éliminer" les oscillations de certaines quantités (demandées, offertes, produites) est soit de les réduire à une moyenne, soit de les exprimer comme des taux par unité de temps, avec une unité de temps comprenant le "cycle" dans son entier.

 

[9] Schumpeter a proposé un jour un "voisinage d'équilibre" statistiquement discernable, par référence aux fluctuations cycliques de l'activité des affaires. Mais il a toujours insisté sur le caractère purement fictif et instrumental de ce concept même d'équilibre. Joseph A. Schumpeter, Business Cycles (New York : McGraw-Hill, 1939), pp. 68-71.

 

[10] Pour un exposé des différences entre "la balance des paiements comptable", "la balance des paiements du marché" et la "balance des paiements du programme", voir Fritz Machlup, "Three Concepts of the Balance of Payments and the So-called Dollar Shortage," Economic Journal, Vol. LX (1950), pp. 46-68.

 

[11] Per Jacobsson, dans un discours de 1949.

 

[12] Certes, il existe des situations "observées" qui invitent à une caractérisation de "déséquilibre" sans grand danger de confusion. Par exemple, il y aura peu de doute quant à savoir à quel modèle et à quelles variables on se réfère lorsqu'on caractérise comme "déséquilibre du marché" quelques cas manifestes de contrôle des prix, avec des stocks d'invendus non disponibles au prix minimum officiel ou avec des queues d'acheteurs potentiels attendant que leur demande soit satisfaite au prix plafond. L'insinuation, apparemment, est que la situation ne pourrait pas persister sans "l'interférence." D'un autre côté, un modèle incluant le contrôle des prix gouvernemental, des pénalités pour violations, des stocks d'invendus, une demande insatisfaite, etc., parmi ses variables désignerait les stocks excédentaires ou la demande insatisfaite comme "l'équilibre final" - quoiqu'uniquement "temporaire" si quelques fonctions de comportement décalé de marché noir étaient ajoutées à la liste des hypothèses.

 

[13] Joan Robinson, "The Foreign Exchanges," Essays in the Theory of Employment (Oxford : Blackwell, 2ème edition, 1947). Repris dans Readings in the Theory of International Trade (Philadelphie : Blackiston, 1949), p. 103.

 

[14] Ragnar Nurske, "Conditions of International Monetary Equilibrium," Essays in International Finance (Princeton : International Finance Section, Princeton University, 1945). Repris dans Readings in the Theory of International Trade (Philadelphie : Blackiston, 1949), pp. 3-34.

 

[15] Ibid., p. 4.

 

[16] Dans un régime d'étalon-or, on peut considérer les taux d'équilibres théoriques comme fluctuants, parfois avec une grande amplitude, autour de la valeur moyenne d'échange de l'or, parce que des expansions et des contractions des dépôts et des réserves bancaires, rendues obligatoire par le mécanisme des flux d'or et par les règles du jeu, feraient monter ou baisser les taux d'équilibre au niveau de la valeur moyenne d'échange de l'or en cas d'écart. Je ne connais aucune raison valable pour laquelle les taux de changes d'équilibre devraient rester stables, à moins que des institutions et des politiques monétaires ne les y forcent.

 

[17] P. T. Ellsworth, The International Economy (New York : MacMillan, 1950), p. 607.

 

[18] Charles P. Kindleberger, International Economics (Homewood, Ill. : Richard D. Irwin, Inc., 1953), p. 412 ; voir aussi, p. 464.

 

[19] J. E. Meade, The Theory of International Economic Policy, Volume One : The Balance of Payments (Londres : Oxford University Press, 1951).

 

[20] "Nous nous limiterons à une comparaison entre la nouvelle situation d'équilibre, qui se produit quand quelque perturbation spontanée s'est produite et a eu le temps de faire aboutir toutes ses répercussions, et l'ancienne situation d'équilibre qui existait avant l'apparition de la perturbation" (ibid., p. 58). Ce procédé est jugé nécessaire afin d'assurer les "effets ultimes" de la perturbation (p. 52). La seule différence entre le procédé de Meade et le mien réside dans le fait qu'il inclut les 'changements de politique,' en plus des 'changements induits,' parmi les changements d'ajustements (pp. 42 et suivantes). Je traiterais plutôt les réactions du gouvernement à un changement déséquilibrant soit comme faisant partie des changements induits (mais seulement s'ils résultent des équations du comportement institutionnel supposé) ou comme une donnée supplémentaire (s'ils ne sont pas suffisamment "réguliers" pour être subsumés parmi les relations données entre les variables retenues du système).

 

[21] Meade suppose "qu'il y a un volume appréciable de chômage... au départ" (ibid., p. 53). Cette hypothèse est nécessaire pour une analyse de "l'effet revenu" dans un modèle du multiplicateur.

 

[22] Ibid. p. 13. Pour une formulation antérieure du problème de la balance des paiements en termes d'adaptation des mouvements de capitaux, voir Fritz Machlup, International Trade and the national Income Multiplier, pp. 134-135.

 

[23] Il est à noter, cependant, que ce que Nurske appelle la balance "véritable" correspond à ce que Meade appelle la balance potentielle, considérée comme la mesure "appropriée" ; la balance "véritable" est pour Meade la balance effective, bien que réarrangée avec les facteurs autonomes et d'adaptation.

 

[24] Un lecteur qui a appris avec succès de Meade I que le déséquilibre était simplement une étape pour expliquer le changement peut rester perplexe quand Meade III lui parle d'un type de "déséquilibre qui est le plus insoluble" (p. 122). Cependant, tout s'éclaircit vite quand il se rappelle que le chapitre est supposé examiner des politiques budgétaires alternatives et leur efficacité pour restaurer l'équilibre de la balance des paiements sans avoir recours à une dépréciation ou à des limitations commerciales. Traduite dans les termes utilisés par Meade I, la question est de savoir si, en partant de la "situation d'équilibre initiale" avec un déficit des paiements financés par des transferts adaptés, des mesures de politique fiscale ou monétaire peuvent être trouvées, qui agiront comme une "perturbation" conduisant à des "répercussions" telles qu'un "nouvel équilibre" avec balance des paiements nulle soit atteint, tandis que les taux de change restent constants et que le commerce n'est pas directement contrôlé. Si l'équilibre final d'un tel modèle continue à montrer des déficits quel que soit le "changement perturbateur" choisi par les autorités budgétaires, alors Meade III, ainsi que de nombreux autres praticiens du domaine, dit que la situation est un déséquilibre "insoluble" de la balance des paiements, c'est-à-dire que la politique budgétaire ne peut pas traiter.

 

[25] Cf. C. L. Stevenson, "Persuasive Definitions," Mind, Vol. 47 (1938), p. 331 ; Max Black, "The Definition of Scientific Method," Science and Civilization (Madison : University of Wisconsin Press, 1949), p. 69.

 

[26] Paul Streeten, "Elasticity Optimism and Pessimism in International Trade," Economica Internazionale, Vol. VII (1954), p. 87.

 

[27] Streeten suppose lui-même un certain type de politique de plein emploi, non seulement explicitement, mais aussi quand il définit le déséquilibre comme "signifiant une tendance permanente à générer un déficit de la balance des paiements" (p. 87). Il devrait être clair qu'une telle "tendance" ne pourrait pas continuer sans une politique continue compensant par une expansion du crédit les effets automatiquement déflationnistes des ventes des réserves de change.

 

Traduction :  Hervé de Quengo

 

 

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Fritz Machlup (1902 - 1983), économiste autrichien, fut très influent dans le développement des sciences économiques en contribuant à presque tous ses domaines et en apportant d'importantes clarifications en méthodologie, théorie, et politique. Le comité d'attribution des Prix Nobel a cité plusieurs fois son nom bien qu'il ne l'ait jamais reçu.
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