Cela fait maintenant trois semaines que notre nouveau président rebondissant est en poste. Sans aucun doute possible, le style n’est décidément ni celui d’un Sarkozy effervescent et brouillon, ni l’indécision confuse d’un Hollande empoté. Tout montre que le nouveau locataire de l’Elysée s’emploie déjà à imprimer une marque différente dans la politique française. Reste à savoir laquelle.
Il faut dire que ce n’est guère aisé. Certes, depuis l’extérieur, il est toujours assez simple de lancer des projets et d’imaginer que l’intendance suivra. Après tout, c’est toujours ainsi que cela se passe : le programme électoral est pondu, les grandes orientations décidées, les décisions fermes sont prises et pouf, la caravane s’avance dans la direction souhaitée. Ou à peu près et tant qu’on n’est pas en contact avec la réalité.
Dans le monde réel, ce qui semblait aller de soi il y a encore un mois ressemble déjà à un petit casse-tête sur lequel doit se greffer des considérations politiques et diplomatiques parfois complexes.
C’est ainsi que la politique, ce n’est jamais simple : Richard Ferrand, l’actuel ministre de la Cohésion des Territoires (allez savoir ce que c’est), se retrouve subrepticement emberlificoté dans une affaire délicate alors même qu’il vient tout juste d’arriver dans ses bureaux. Le Canard Enchaîné révèle aujourd’hui que la mutuelle dont Richard Ferrand était le directeur a loué ses bureaux à une société civile immobilière dont la gestionnaire n’était autre que la compagne du député du Finistère.
À cette révélation (que tout le monde, dans l’entourage de Ferrand, feint de ne pas du tout découvrir) doit s’ajouter celle qui voudrait que notre nouveau ministre ait employé son fils comme assistant parlementaire en 2014 durant plusieurs mois pour un montant total brut d’un peu moins de 9000 euros. Certains candidats à la présidentielle ne s’en sont pas remis.
À présent, il s’agira pour Macron de savoir si son ministre en vaut tout de même la chandelle (ce qui prouvera que, finalement, la politique en France n’a pas tant changé que ça) ou si au contraire, ce genre de passé (de passif ?) est maintenant trop lourd à porter pour n’importe quel gouvernement.
En somme, Macron va devoir improviser quelque peu. Et s’il le fera évidemment pour Ferrand, il va devoir le faire pour à peu près tout le reste aussi, depuis l’état d’urgence qu’il va devoir prolonger, comme l’autre président avant lui, pour les mêmes raisons futiles, jusqu’à la fameuse réforme du Code du Travail dont tout indique qu’elle ne pourra pas se passer exactement comme le nouveau président l’avait prévu.
Pour commencer, il semble bien que la réforme ne pourra pas entièrement se faire à coups d’ordonnances. En réalité, elles filent même plutôt de l’urticaire aux partenaires sociaux, qui ont logiquement poussé le chef de l’Etat à mettre de l’eau dans son vin : outre que le président explique « difficile de connaître exactement à l’avance le temps parlementaire » ce qui lui permet de justifier quelques aménagements, l’ampleur de la réforme qui sera portée par ces ordonnances risque fort de nettement diminuer d’assise.
Bien sûr, pour le moment, la volonté ne manque pas et pour Macron, l’affaire est entendue : d’ici 12 mois, les réformes du travail, du chômage et de la retraite seront achevées. Mais chacune des réunions avec les différents syndicats, chacun des points d’étapes qui parsème le trajet semblent à chaque fois alimenter de nouveaux petits renoncements, et ce d’autant plus que la presse se fait fort de rappeler au jeune président que les Français restent particulièrement circonspects sur le sujet : selon une enquête réalisée pour Franceinfo, ils se montrent très partagés sur l’opportunité d’ « aller plus loin que la loi El Khomri » pour réformer le Code du travail puisque 48% y sont favorables alors que 51% y sont opposés. En outre, ces mêmes Français souhaitent, à 63% d’entre eux, que le président « tienne le plus compte possible des objections des syndicats, quitte à revoir les réformes qu’il veut proposer »…
Autrement dit, si Macron décide effectivement d’appliquer ces ordonnances (qu’au demeurant, rien ne permet d’affirmer qu’elles sont prêtes), il va tout de même lui falloir composer avec des syndicats et des Français qui ne sont manifestement pas prêts à lui laisser les coudées franches.
Eh oui : Macron n’a pas été élu suite à un élan populaire. Il n’est pas le résultat d’une liesse, d’une envie de réforme ou de changement profond de politique française. Non, il est le résultat d’une décomposition de la droite et de la gauche, ce centre un peu mou et attrape-tout qui se satisfait très bien, d’habitude, de demi-mesures molles et de réformettes timides. Dans ce cadre, Macron n’a pas derrière lui la ferveur nationale apte à rebattre les cartes et, surtout, à réformer le pays de fond en combles. Tout juste a-t-il un assentiment tiède d’une partie de la population qui trouve en lui un pis-aller passable, et le froid calcul de ces paquets de politiciens qui ont compris qu’il valait mieux adapter leurs convictions plutôt que se retrouver sans emploi dans un mois.
Compte-tenu de l’état du pays (dont certains départements commencent à ne plus pouvoir verser le RSA), compte-tenu de l’état des relations entre les différents partenaires sociaux qui n’attendent qu’une occasion pour sortir dans la rue, compte-tenu de l’état des administrations, Macron va devoir déployer des trésors d’imagination pour parvenir à faire avancer ses réformes. Selon toute vraisemblance, l’épreuve de force ne pourra être évitée : d’un côté, les syndicats (et l’habituelle salade de rouges plus ou moins correctement azimutés) qui n’entendront certainement pas se laisser marcher dessus, quand bien même ils ne représentent à peu près plus rien ; de l’autre, un gouvernement qui n’aura aucune latitude puisque s’il abandonne, le quinquennat ne sera plus qu’une nouvelle parenthèse hollandiste.
L’été promet d’être agité.
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