Selon les dires de
l’OPEP, 10 trillions de dollars devront être investis sur l’industrie du
pétrole et du gaz avant 2040 afin que puisse être satisfaite la demande du
monde en énergie.
L’OPEP a publié son World
Oil Outlook 2015 (WOO) à la fin du mois de décembre, qui dépeint une
situation bien plus pessimiste que par le passé sur les marchés pétroliers.
Tout d’abord, l’OPEP ne s’attend pas à voir le pétrole repasser au-dessus des
100 dollars le baril avant 25 ans, une conclusion remarquablement baissière.
Le groupe s’attend à voir le prix du pétrole grimper d’environ 5 dollars par
an jusqu’à la fin de la décennie, pour atteindre 80 dollars en 2020. A partir
de cette date, il s’attend à le voir grimper plus lentement encore, pour
atteindre 95 dollars par baril en 2040.
Les prévisions de long
terme sont connues pour être peu précises, et le prix du pétrole à plusieurs
années est particulièrement difficile à prévoir. Plus encore à plusieurs
décennies. Les estimations de prix impliquent une série de variables, et de
petites erreurs d’estimation – comme par exemple sur le PIB global ou le taux
de croissance de la population mondiale – peuvent radicalement transformer
les conclusions apportées. Une telle estimation ne devrait donc être prise
que comme point de référence et non comme une tentative de prédiction exacte
du prix du brut sous 25 ans. Il n’en est pas moins que la conclusion du
rapport suggère que l’OPEP soit d’avis que nous disposerons de suffisamment
de pétrole pendant encore assez longtemps, suffisamment pour ne pas assister
à des pics de prix tels que ceux que nous avons traversés ces dernières
années.
C’est en partie lié à ce
que l’OPEP perçoit comme un développement graduel en faveur d’une meilleure
efficacité de production et d’alternatives au pétrole. Le rapport publié
présente une estimation de la demande par tranches de cinq ans, une demande
qu’il pense voir décélérer graduellement. Pour vous donner un exemple, le
monde devrait consommer 6,1 millions de barils supplémentaires par jour jusqu’en
2020. Mais après cette date, elle devrait ralentir avec 3,5 millions de
barils supplémentaires par jour entre 2020 et 2025, 3,3 millions de barils
entre 2025 et 2030, 3 millions de barils entre 2030 et 2035, et finalement
2,5 millions de barils entre 2035 et 2040. Les raisons en sont
diverses : ralentissement de la croissance économique, baisse du taux de
croissance de la population et, crucialement, amélioration des efforts de
lutte contre les changements climatiques. Depuis le WOO publié en 2014,
l’OPEP a réduit son estimation de la demande pétrolière pour 2040 de 1,3
million de barils par jour, parce qu’il perçoit l’arrivée de nouvelles
régulations favorables au climat ces prochaines années.
Bien évidemment, nous
pourrions dire que même cette estimation de 110 millions de barils par jour
en 2040 est potentiellement optimiste. Ce ne serait pas surprenant compte
tenu du fait qu’il soit publié par un groupe de pays exportateurs de pétrole.
Les transitions énergétiques sont difficiles à prévoir au fil du temps, mais
lorsqu’elles se présentent, elles ont tendance à laisser place à de rapides
changements. Toute tentative de parvenir aux objectifs climatiques établis
nécessitera des efforts plus ambitieux. Bien que les gouvernements aient
hésité des années durant, des efforts semblent aujourd’hui être faits. Le
coût des voitures électriques baissera au fil du temps en termes de dollars
réels, et leur adoption devrait continuer de se répandre de manière
non-linéaire, et représenter une menace significative pour les ventes de
pétrole sur le long terme.
L’OPEP a cependant aussi
émis un avertissement dans son rapport. Bien que les marchés énergétiques
fassent l’expérience d’une surabondance sur le court à moyen terme, des
investissements massifs sont toujours nécessaires en termes d’exploration et
de production pour pouvoir satisfaire la demande sur le long terme. Selon
l’OPEP, 10 trillions de dollars seront nécessaires au cours de ces 25
prochaines années pour que la demande puisse être satisfaite. « Si les
bons signaux ne se présentent pas, il est possible que le marché se rende
compte que les capacités et infrastructures en place sont insuffisantes pour
répondre à la demande future, ce qui aurait un impact baissier sur les
prix », a-t-il conclu. Environ 250 milliards de dollars devront chaque
année provenir des pays extérieurs à l’OPEP.
Autre conclusion
similaire mais tout aussi déconcertante, Rystad Energy, basée à Oslo, a
récemment déterminé
que l’état actuel de surabondance pourrait se trouver « renversé sous
quelques années ». La raison en est la réduction actuelle des coûts, qui
devrait déboucher sur une pénurie d’ici quelques années. Pour donner de la
perspective à tout cela, Rystad a annoncé que l’industrie pétrolière
« aurait besoin de remplacer 34 millions de barils de pétrole chaque
année – pour une consommation égale à ce qu’elle est actuellement ». Mais
en conséquence de l’effondrement de prix, l’industrie a réduit ses dépenses
et une « décision d’investissement a été prise concernant 8 millions de
barils par an en 2015 ». Cela représente moins de 25% de ce qui sera
nécessaire sur le long terme. En 2015, l’industrie a réduit ses
investissements en amont de 250 milliards de dollars, et pourrait les réduire
de 70 milliards de dollars supplémentaires en 2016. Ce dernier chiffre ne
prend pas en compte la récente décision de l’OPEP d’abandonner
ses objectifs de production actuels, qui a fait davantage
plonger les prix.
Que pouvons-nous dire de
tout cela ? Il pourrait exister une surabondance pétrolière dans le
futur, mais à l’heure actuelle, l’industrie est en sous-investissement. Voilà
qui illustre les tensions troublantes auxquelles elle fait face. Le prix du
pétrole sera déterminé par son coût marginal de production, et sans prendre
en compte les améliorations en termes d’efficacité, les coûts marginaux ont
grimpé au fil du temps. La production peu chère diminue et l’industrie repose
de plus en plus sur le pétrole de fonds marins, de schiste ou des cercles
polaires, dont l’extraction demande des dépenses plus importantes. Dans de
nombreux cas, ces projets ne sont pas profitables aux coûts actuels. La
hausse de prix survenue entre 2011 et 2014 n’a fait que semer les graines de
la baisse de prix actuelle. Le retrait d’aujourd’hui pourrait donner lieu à
un rebond dans le futur. L’OPEP est peut-être un peu trop pessimiste avec ses
prévisions à 95 dollars le baril pour 2040.
Mais dans le même temps,
les hausses de prix futures rendront possible une destruction plus importante
encore de la demande, notamment à mesure que des alternatives deviendront
viables. C’est là le jeu d’équilibriste auquel devra participer l’industrie
pétrolière au cours de ces prochaines décennies.