Les
évènements se précipitent.
La
crise financière des banques grecques a pris à Athènes
le relais de l’impasse politique. Un retrait massif des
dépôts estimé à 1,2 milliards d’euros est intervenu
lundi et mardi dernier. Il s’est poursuivi mercredi, à un rythme
semble-t-il moindre, s’inscrivant dans le contexte d’une
recapitalisation inaccomplie des banques, en raison d’un
désaccord entre celles-ci et le gouvernement. Celui-ci porte sur le
contrôle qu’il est appelé à exercer en
échange : les grandes familles propriétaires grecs
résistent ! Car le Fonds de stabilité européen a bien
versé le 19 avril dernier les 25 milliards d’euros prévus
à cet effet, qui sont pour l’instant sur un compte bloqué
par le gouvernement grec… Les élections sont entre-temps
intervenues.
C’est
dans ce contexte que l’on a appris la décision de la BCE de
cesser de prêter au moins provisoirement des fonds à quatre
banques grecques non identifiées, car il semblerait que leurs fonds
propres soient devenus négatifs. Celles-ci n’ont
désormais plus d’autre ressource que de puiser dans l’
»assistance d’urgence en liquidité » (ELA) que la
Banque de Grèce peut leur procurer avec l’autorisation de la
BCE. Faute de celle-ci, l’ensemble du système bancaire grec
s’effondrera. Ce mécanisme représente un grand moyen de
pression dans les mains de la BCE, qui peut à tout instant fermer le
robinet.
Depuis
Dublin où il prononçait une conférence, Charles Dallara de l’Institute of International Finance
(IFF) a mis en garde contre les conséquences d’un effondrement
du système bancaire grec, ce qui a fait l’effet d’une
douche froide sur des esprits européens un peu trop vite
échauffés et se prenant à leur propre jeu. Quand
l’IFF parle, les dirigeants écoutent.
David
Cameron, depuis Londres, a évoqué « des territoires
inexplorés comportant d’immenses risques pour tout le monde
», tandis que Mervyn King, le gouverneur de la Banque
d’Angleterre, a estimé que la zone euro « se
déchire sans aucune solution évidente », menaçant
une économie britannique déjà en péril ainsi que
le système bancaire.
En
mettant en avant ces dangers, David Cameron entend bien exonérer sa
propre politique de toute responsabilité dans l’aggravation de
la situation britannique. Mariano Rajoy met de son
côté en garde les Espagnols devant le risque d’être
coupés des marchés financiers (ce qui est déjà
largement le cas pour les banques) ou de devoir se financer à un
coût très élevé (ce qui est le cas ce matin), si
le déficit public n’est pas réduit grâce aux
mesures qu’il propose. Les dirigeants européens utilisent la
crise qu’ils ont contribué à approfondir pour justifier
la poursuite de ce qu’ils ont si bien entamé.
En
attendant, le marché obligataire continue à se tendre fortement,
suivant un scénario bien établi. Le taux espagnol à dix
ans montait ce matin à 6,33 % et l’italien à 5,84 %. Il
ne va pas être possible de longtemps continuer à repousser les
échéances en gardant les bras croisés.
De
son côté, la BCE est prise dans un dilemme. Elle joue un
rôle essentiel de temporisation de la crise, tout en craignant ainsi de
conforter l’attentisme de ceux qu’elle maintient la tête
hors de l’eau. Mais comment éviter que la crise ne se propage
à l’Espagne et à l’Italie si elle décidait
de stopper ou de ne pas renouveler ses mesures exceptionnelles ? Avec pour
seul et ultime rempart un Fonds de stabilité aux ressources
limitées, un Mécanisme européen encore dans les limbes
et un FMI dont l’intervention ne serait pas sans conséquences,
puisqu’il préconise une politique « à
l’américaine » ?
Il
est généralement considéré que la BCE
renouvellera si nécessaire son opération en deux temps
d’injection massive de liquidité dans le système
bancaire, afin d’agir en prêteur de dernier ressort
(indirectement en direction des États). Mais cette
éventualité se heurte à la question des
collatéraux que les banques devront alors lui fournir en garantie, le
talon d’Achille de cette stratégie.
La
BCE rencontre à ce sujet l’opposition des banques centrales
nationales, qui sont dépositaires de ce collatéral et qui ne
veulent pas baisser encore leur seuil de qualité pour à nouveau
en accepter. Avec derrière elles leurs actionnaires, représentés
par des gouvernements pas prêts à en assumer le risque. Comme le
souligne un article du Financial Times, cela reviendrait à faire
entrer par la porte de derrière la mutualisation que
représentent des eurobonds qui attendent
devant celle de devant.
En
refusant d’assumer ce risque elle-même, la BCE récolte ce
qu’elle a semé. Même si elle a incité les banques
centrales nationales à pratiquer une importante décote de 53 %
sur les actifs qu’elles prennent en garantie. Mais on retombe alors sur
un problème de pénurie. Car plus la décote est grande,
plus les banques doivent fournir d’actifs pour emprunter un montant
donné, alors qu’elles continuent d’avoir terriblement
besoin de fonds et que le contexte actuel est très tendu.
Comme
déjà constaté, la BCE est au mieux en mesure de rendre
chronique une crise qui sans elle serait aigüe. Mais cela a un prix,
qu’il faut payer. Il consiste à déplacer le risque de la
périphérie au centre du système financier
européen, et aux États si la BCE se soustrait.
La
suite, très brièvement. Une vidéo-conférence
entre dirigeants européens est annoncée pour cet
après-midi. Le « G8″ se réunit à Camp David
vendredi et samedi.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son
livre, Les CHRONIQUES
DE LA GRANDE PERDITION vient de paraître.
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