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Une
vraie réussite ! c’est le monde développé
tout entier qu’ils vont finir par mettre en faillite ! Après
celui des Etats, le tour des banques zombies est redevenu
d’actualité. La dette des uns est aussi pesante que les engagements
des autres. Trop lourd, l’échafaudage repose sur la pointe
écrasée de l’économie réelle, le
condamnant à perdre l’équilibre.
« L’irrationnel
prend le pas sur la réalité » croit pouvoir finement
déceler le quotidien Le Monde, en mal d’explication, dans son
dernier éditorial titré « Les banques à
l’heure de la défiance ». La réalité,
si l’on veut la solliciter, est que le monde qu’ils ont construit
n’est plus solvable et que les créditeurs, pris à leur
propre jeu, ne vont avoir d’autre issue que de l’admettre. Ne
sachant pas l’éviter, ils paniquent.
Si
l’on va au fond des choses, c’est la rançon de la
concentration de la richesse. Du fonctionnement intensif de la machine
à produire de la dette (et des intérêts en
conséquence), afin de distribuer du crédit de pouvoir
d’achat à défaut de revenu.
Les
banques prêtent aux entreprises comme aux particuliers, aux Etats comme
aux autres banques, et l’inquiétude est de retour quant aux
remboursements. L’insolvabilité impose sa loi quand la dette
devient difficile à être roulée, à
défaut d’être amortie, la perspective d’une
récession aggravant le tableau.
Comme
des détonateurs, les fonds monétaires américains portent
une responsabilité particulière dans le renouveau de la
défiance envers les banques européennes. Celles-ci sont plus
dépendantes de leur financement à court terme, notamment en
dollar, que leurs consoeurs américaines; et
sont plus touchées dès lors que leurs pourvoyeurs
outre-Atlantique font des façons, comme c’est actuellement le
cas. Certaines banques en sont actuellement réduites à se
financer overnight (la nuit, pendant que les
marchés sont fermés), faute d’autres opportunités.
Ce roulement au jour le jour de la dette la rend encore plus onéreuse
pour les banques, les fragilisant davantage.
Pour
les financements à plus long terme, une étude de Morgan Stanley
conclut que les banques européennes auraient couvert 90% de leurs
besoins pour l’année en cours, mais quid de la suite des
opérations, une fois constaté que les marchés des
obligations seniors et sécurisées, après avoir
chuté en juillet, sont quasiment à l’arrêt en
août ? 80 milliards d’euros doivent encore être
levés d’ici à la fin de l’année et les
besoins des banques en 2012 sont reconnus comme étant très
élevés.
Les
pronostics économiques sombres s’accumulent, le pire
étant celui d’un décrochage et du danger de la japonisation
de l’économie occidentale, qui serait en marche
d’après un article alarmiste du Financial Times. Faisant
référence au déclin que le Japon connaît depuis
vingt ans, tombé dans une trappe à liquidité,
condamné depuis à une relance introuvable, sans que rien
n’y contribue.
A
examiner l’économie occidentale, on retrouve partout les
mêmes traits plus ou moins affirmés. Combinant à des
degrés divers la chute du marché des actions et de la valeur de
l’immobilier, la déflation et des intérêts proches
de zéro, un ratio de dette par rapport au PIB élevé,
pour y associer un monde politique dans l’impasse et des banques
zombies. Avec cette circonstance aggravante qu’il ne s’agit plus,
comme il y a vingt ans, d’un seul pays atteint dans un monde respirant
la santé, mais du monde développé dans son
ensemble.
Quand
on vient aux remèdes, la circonspection règne. Après
avoir été l’alpha et l’oméga de la
réflexion stratégique, la consolidation fiscale ne
bénéficie plus systématiquement des mêmes faveurs.
Appliquée sans discernement à tous les pays, elle serait
porteuse d’une récession généralisée
s’alarment certains, dont la nouvelle patronne du FMI.
A
y regarder de plus près, cette inflexion stratégique
reviendrait à exempter de ce traitement de choc les biens portants
– qui pourraient mieux le supporter – pour l’imposer aux
malades… Une autre version de la même approche consisterait
à appliquer des mesures de stimulation fiscale dans l’immédiat,
combinées avec d’autres destinées dans le plus long terme
à combattre la dette. Sur le papier, ces gymnastiques retombent
merveilleusement sur leurs pieds, mais dans la pratique ?
L’administration
Obama cherche à favoriser une relance et une reprise de
l’emploi, tandis que les Européens s’acharnent à
les contrecarrer, emmenés par la BCE et la coalition allemande au
pouvoir. Ce n’est pas ce qui s’appelle conjuguer les efforts.
En
fouillant dans la trousse à outils, que trouve-t-on
d’autre ? Les taux des banques centrales sont déjà
très bas et n’offrent plus que de faibles marges de manoeuvre, quand c’est le cas. Relancer des
programmes de création monétaire – ou finalement
s’y résoudre, s’agissant des Européens –
n’est pas garantie d’efficacité, à considérer
le résultat des deux programmes américains successifs. Mais
cela serait porteur d’un danger inflationniste redouté par les
investisseurs, qui n’en veulent pas. Conclusion : les banques centrales
n’ont que des pansements à disposition, et leur boîte est
presque vide.
Sur
ce chapitre de l’inflation, une précision s’impose. Si les
investisseurs la redoutent, ce n’est pas en défense des petits
épargnants, comme on peut s’en douter, mais parce qu’ils
craignent l’érosion de leur patrimoine, autrement plus imposant.
La concomitance, il y a plusieurs décennies, entre la lutte contre
l’inflation érigée comme vertu cardinale et l’essor
de la financiarisation, aboutissant à la croissance
phénoménale du volume des actifs financiers, n’est pas
tout à fait le fruit du hasard. Chef économiste du FMI, Olivier
Blanchard avait en janvier 2010 suscité l’ire des banquiers
centraux en suggérant d’accepter 4% comme limite
supérieure au taux d’inflation, au lieu des 2% rituels. Mais il
n’admet pas ainsi raboter la dette, ce qui reviendrait selon lui
à une véritable « expropriation ». Dieu
reconnaît les siens !
Pour
la même raison, toute perspective de restructuration de la dette
publique est inenvisageable et, dans la cas de la
Grèce, n’a été acceptée a minima que du
bout des lèvres, afin d’éviter le pire, étant
entendu qu’il ne faut pas y revenir. Il ne reste alors de disponible en
magasin que toutes les formes de mutualisation de la dette, en
espérant que l’échafaudage tiendra le coup.
C’est
pourquoi on enregistre un tel vent de ferveur pour les euro-obligations dans
les milieux financiers et qu’il en émane, sous la plume de
Barclays Capital (BarCap), une proposition de
création d’une « agence européenne
d’emprunt de la zone euro », qui permettrait de rehausser le
crédit des Etats emprunteurs et contournerait la difficulté
politique que représente la création d’euro-obligations.
Si
l’on s’aventure hors des enceintes de la finance, enfin, on peut
lire dans le Sunday Times un David Cameron, premier
ministre britannique, et ne pas en croire ses yeux. Deux semaines
après les émeutes qui ont déferlé dans plusieurs
villes britanniques, alors que les tribunaux fabriquent à la
chaîne de nouveaux Jean Valjean, celui-ci
chevauche le thème de l’ »effondrement
moral » et appelle à « restaurer la politesse,
la discipline et le sens du devoir qui font de bons citoyens »,
condamnant « l’Etat providence qui ne récompense pas
le travail » et la « conception erronée des
droits de l’Homme ».
Le
pire est que, selon les sondages, le premier ministre conservateur
s’appuie sur une majorité de l’opinion.
Décidément, cette bataille-là sera remportée
s’il est montré qu’il y a plus à gagner
qu’à perdre à remettre en cause le désordre
établi.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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