Il semblerait que le gouvernement
se dirige vers la promulgation d'une innovation sociale majeure, que le monde
entier ne manquera pas de ne pas nous envier: le droit au
crédit opposable. J'exagère ? A peine.
En effet, quelle ne fut pas ma
consternation lundi dernier, en entendant sur l'antenne de BFM le porte
parole de l'UMP, je devrais dire le porte-flingues, le député Frédéric Lefebvre,
réitérer sous une forme on ne peut plus directe les menaces du
gouvernement aux banques: "si vous ne
prêtez pas aux entreprises, nous entrerons de force dans votre capital".
Et l'expert comptable René Ricol, nommé "médiateur
du crédit" par le président de la république,
de prévenir qu'il dénoncera sans pitié les
"mauvaises" banques au gouvernement. C'est sans doute ce que l'on
appelle une "médiation" aujourd'hui. Il aurait reçu
jusqu'à 4000 plaintes d'entreprises dont le crédit aurait
été refusé, en quelques jours ! Les
déclarations tapageuses du président Sarkozy il y a
une semaine ont assurément aiguisé les appétits. Pour
ceux qui pensaient que ces déclarations étaient faites pour
épater la galerie, MM. Lefebvre et Ricol viennent de faire comprendre
qu'il n'en était rien: les menaces vis à vis des banques sont
réelles.
Un inadmissible chantage
Il s'agit d'un chantage pur et simple:
une telle dénonciation, pour peu qu'elle soit rendue publique,
annonçant une entrée future de l'état au capital en
période économiquement troublée, ne peut que dégrader
le cours de l'établissement touché par la disgrâce,
rendant moins couteuse l'entrée au capital de l'état. Autrement
dit, les banques font face à un problème cornélien:
obtempérer et prêter à des entreprises à haut
risque compte-tenu des conditions actuelles de marché, ou
résister, et risquer une spoliation des actionnaires par l'état
prédateur à l'affut, tout en accueillant au conseil
d'administration un membre peu connu pour sa saine gestion antérieure
du monde bancaire, quand bien même le secteur privé ne s'est
guère montré plus inspiré ces derniers temps.
La "justification" des
politiciens est la suivante: "quand les
choses allaient bien, vous n'étiez pas là pour prêter aux
entreprises, messieurs les banquiers, vous préfériez investir
dans des produits de titrisation ! Alors prêtez maintenant, ou
l'état vous obligera d'une façon ou d'une autre à le
faire."
Quelles que soient les bêtises
faites par les banques dans un passé récent, elles ont
été faites, et se traduisent par une diminution de leurs fonds propres.
Les banques ont en effet du passer par pertes et profits un certain nombre de
placement désormais "toxiques" (des obligations
émises par des fonds de crédits subprimes, entre autres). Elles
ont donc du déprécier de nombreux actifs (*).
Par conséquent, leur Leverage
Ratio (total du bilan / fonds propres) a bondi, les
forçant à une réduction d'urgence du total de leurs
engagements au bilan, sous peine d'être mises en grande
difficulté par la tourmente économique qui s'annonce. Le
premier devoir d'une entreprise est de survivre, oublier ce principe de
prudence élémentaire est s'exposer à de graves ennuis, comme
la crise américaine l'a montré.
En outre, les dirigeants de certaines
banques semblent anticiper de nouvelles dépréciations d'actifs
pour la fin de l'année, lors de la clôture des comptes annuels
(*). Ils ont donc peu de temps pour assainir leur situation.
Le problème des banques,
aujourd'hui, est donc de reconstituer graduellement un niveau de fonds
propres correct sans arrêter de prêter, car cela les fait vivre.
Elles doivent par conséquent très finement calculer comment
réduire petit à petit le niveau de leurs crédits
ouverts, en tenant compte du contexte plus risqué d'une
économie en période troublée: augmenter les taux
consentis aux emprunteurs les moins solvables, et augmenter leurs marges de
sécurité. Ce qui signifie exclure du crédit les moins
bons dossiers.
De fait, elles continuent de
prêter, mais elles
exigent des dossiers plus solides. Selon une enquête de la
banque de France, 77 % des banques affirment avoir resserré leurs
critères d'octroi. Nul doute que les 4000 plaintes déjà
reçues par René Ricol pour "refus de prêt"
n'entrent pas dans cette catégorie.
Emprunter au delà du raisonnable
rend fragile !
D'ailleurs, favoriser une offre
artificiellement gonflée de crédits à risques aux PME
les moins solides ne serait pas leur rendre service.
Les entreprises françaises, et
notamment les PME, sont déjà parmi les moins
capitalisées du monde occidental. Ce tableau tiré du dernier
rapport du CAE (PDF)
sur le financement des PME le confirme :
A noter la prééminence des dettes de court terme
(essentiellement vis à vis des fournisseurs)
en France.
Les PME françaises ont le total
Fonds Propres + Provisions le plus faible des pays considérés
(**).
(nb: une provision pour risque est une
dotation de couverture des risques d'exploitation, et notamment sur les
créances pour lesquelles une difficulté de recouvrement est
anticipée. Elle retourne dans les comptes comme profit, et donc, au
moins partiellement, comme fond propre, si le risque couvert par la provision
ne se matérialise pas. Les normes comptables allemandes permettent de
provisionner une large part des créances liées aux
délais de paiement accordés aux clients, ce qui abaisse
l'assiette de calcul de l'impôt sur les sociétés... La
comparaison doit donc bien porter sur la somme des CP et provisions pour
évaluer les ressources propres des entreprises)
En choisissant de mettre la pression sur
les banquiers pour qu'ils accroissent artificiellement l'encours de
crédit aux entreprises les plus fragiles, le gouvernement montre qu'il
n'a pas compris le problème des PME françaises: une
insuffisance de capitaux propres au bilan, qui obère leur croissance.
En effet, le même rapport du CAE note que du fait de l'importance des
dettes de court terme des PME, en clair, de leurs crédits
fournisseurs, les PME doivent maintenir des niveaux de trésorerie
élevés pour faire face à des imprévus, et ne
peuvent donc pas investir autant qu'elles le voudraient pour leur développement.
Comme je l'ai dit à maintes reprises, ce
n'est pas le crédit qu'il faut, au choix, forcer ou subventionner. De
telles politiques ne feront que reproduire des mécanismes qui
ressemblent à ceux ont engendré la crise des subprimes au sein
des banques américaines. Et au vu de leurs niveaux de fonds propres
actuels, les banques ne peuvent surtout pas se permettre d'augmenter le
risque des défaillances d'entreprises à qui elles prêtent.
Elles n'ont donc pas d'autre choix économiquement rationnel que de se
montrer plus sélectives dans l'octroi des prêts.
Les oukases du gouvernement pour forcer les banques à abaisser leurs
standards d'octroi de crédit ne sont pas seulement dangereuses, elles
relèvent, n'ayons pas peur de le dire, d'une criminelle
incompétence dans le contexte que nous vivons. Espérons
seulement que les banques trouveront le moyen d'y résister.
La seule voie qui sortira l'économie de l'ornière est de
favoriser la formation de fonds propres, soit au sein des entreprises, soit
par création d'un contexte favorisant la montée d'investisseurs
de proximité au capital. Et dans ce domaine, la
fiscalité française cumule les handicaps.
Permettre aux entreprises d'augmenter
leurs fonds propres leur permettra, dans un deuxième temps, un
meilleur accès au marché du crédit, et ce sans que le
gouvernement n'ait à s'en mêler: une banque prête d'autant
plus facilement et moins cher qu'une entreprise est bien capitalisée.
Nous devons évoluer d'une
économie de l'emprunt vers une économie qui pousse à la
formation de capital.
Comment faire ? J'y reviendrai en
détail très prochainement.
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(*) Les trimestriels publiés
par la BNP et la SG se caractérisent par un évident manque de
transparence: n'y sont publiés que le compte de résultats, pas
le bilan à date de présentation (voir par exemple le
PDF de la BNP). On en est réduit à des
hypothèses sur leurs fonds propres, en espérant qu'il n'y a pas
de cadavre trop décomposé dans le placard. Pas très
rassurant...
Accessoirement, plusieurs de mes lecteurs
m'ont écrit pour remettre en cause, avec d'excellents arguments, mon analyse des conséquences du "mark to
market" ou "fair value accounting". Le
problème de la façon dont les comptes des banques françaises
sont présentés est en plein dans le sujet. J'en reparlerai dans
les semaines qui viennent : les arguments en faveur du MTM sont en effet plus
forts que je ne le croyais au départ, et il ne serait pas judicieux de
ma part d'éviter la controverse.
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(**) Je trouve curieux qu'un organisme
officiel, le CAE, soit infichu d'obtenir des chiffres de ratio moyen
dettes/fonds propres plus récents que 1999 ou 2000. Certes, je n'y
suis pas parvenu non plus, mais bon, je ne suis pas rattaché au premier
ministre, moi...
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Le personnage sur l'image de début
est Luca Pacioli, le père oublié d'un pilier de la finance
moderne : la
comptabilité en partie double, qu'il codifia en 1494. Le
personnage à sa gauche pourrait être le peintre Dürer.
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Une petite blague pour finir:
Quelles sont les deux conditions à remplir pour rentrer à l'UMP
aujourd'hui ?
Réponse: prendre sa carte, et dénoncer un banquier.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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