Ouh là, mes petits amis, il ne faudrait pas que la France sombre complètement dans l’ultralibéralisme ! Déjà — à en croire nos journalistes, intellectuels et sociologues — qu’elle est complètement à la botte du capitalisme triomphant depuis que ces libéraux de Chirac, puis, pire encore, Sarkozy, et enfin, ce libertarien foufou de Hollande se sont emparés du pouvoir dérobé à un peuple trompé, il ne faudrait pas qu’elle se laisse totalement aller. Dès lors, on comprend que s’intensifie la traque contre les abominables initiatives comme AirBnB.
C’est donc en toute logique que la Mairie de Paris a sans plus attendre lancé ses brigades d’intervention rapide contre propriétaires de biens dans la capitale qui ont eu l’idée insupportable de contracter avec d’indécrottables touristes afin de leur louer une chambre pour quelques jours.
Et depuis le mercredi 20 mai, une vingtaine de matons de gros bras de nervis d’inspectrices « Bureau de la protection des locaux d’habitation de la mairie de Paris » investissent ces lieux de dérapage capitaliste évident et réalisent sur le champ l’ensemble des indispensables contrôles inopinés pour enfin réguler ces abominables locations.
Rassurez-vous : les touristes, même s’ils sont réveillés un peu brutalement, sont prestement dégagés de toute responsabilité : ils ne sont pas concernés, puisque le contrôle vise uniquement le porc capitaliste de propriétaire qui leur loue ainsi son appartement et de manière récurrente.
Au moins, les adresses à visiter n’auront pas été trop dures à trouver : faisant appel d’une part à leur époustouflante sagacité en allant sur les sites internet pourvoyeurs de ces illégalités affreuses (AirBnB, HouseTrip, Wimdu, etc…), et d’autre part en mobilisant les plus beaux réflexes citoyens de voisins délateurs, la Brigade de Rétorsion de la Cupidité Mal Placée a pu rapidement passer au crible de ses efficaces contrôles plus de 80 adresses dans le Marais.
Eh oui, tout ça ne pouvait durer : des gens qui font ce qu’ils veulent de leurs propriétés, des touristes heureux qui contractent de gré à gré, une solution pratique au problème de logement dans la capitale qui ne passe pas par l’État ni l’une ou l’autre corporation acoquinée, tout ça était une véritable injure au bon sens, à l’équité, à la bonne marche de la société parisienne. En plus, (horreur des horreurs) ce genre de pratiques ne permet pas l’indispensable ponction libératrice qui diminuera l’abysse de dettes de la ville et autorisera la Mairie (et sa frétillante équipe municipale) à conserver son train de vie complètement idoine avec ce trou budgétaire colossal.
Et puis surtout, il faut bien comprendre que la Loi, c’est La Loi, et puis c’est tout. Pour que la France continue à être ce paradis que le monde nous envie, il faut de l’ordre, de la régulation, et rappeler que la résidence secondaire, marque indélébile d’enrichissement honteux, ne bénéficie pas de la même largesse (déjà trop grande) offerte aux résidences principales : pour oser proposer ce type de logement à des touristes pour de courts séjours, il faut avoir rempli les bons cerfas, effectuer un changement d’usage des lieux, et – évidemment – acquitter une compensation financière à la mairie.
Messieurs les propriétaires, petits profiteurs abjects, il faut bien comprendre que chaque fois que vous louez votre résidence secondaire, non seulement, des chatons sont tués, mais en plus ces logements se retrouvent ainsi soustraits au parc d’habitat ordinaire, ce qui est torrible, tillégal et tinterdit dans une ville où la population peine déjà à se loger et où nombre de miséreux, les bras tordus par les convulsions qu’ils s’imposent en mendiant au bord des routes, ne peuvent espérer qu’un pont ou une bouche de métro comme seul foyer pour la nuit ! Tout ça, à cause de vous !
D’ailleurs, Libération, l’épave journalistique bien connue le phare du monde moderne, est formel : le phénomène devient numériquement préoccupant. Selon des estimations des services municipaux (réputés pour leur fiabilité diabolique), entre 25.000 et 30.000 logements, jadis dévolus à la location pour des personnes travaillant et vivant à Paris, sont récemment devenus ces meublés touristiques à plein temps qui font maintenant la honte de cette capitale, la richesse indue de ces exploiteurs de touristes, et le malheur des âmes tendres qui aiment les chatons et se retrouvent à loger sous des ponts. Rindez-vous compte m’ame Ginette, dans certains immeubles du Marais, un appartement sur quatre a été transformé en meublé touristique.
Devant ces dérives scandaleuses, les autorités agissent donc et c’est bien normal : une fois le constat de location meublée touristique illégale établi et correctement tamponné par l’ensemble de la bureaucratie pointilleuse de la ville de Paris, la Brigade de Répression du Grand Capitalisme entre en contact avec le propriétaire pour qu’il régularise en rendant gorge (option 1), en payant le bakchich nécessaire à huiler les rouages (option 2), ou en remettant le logement sur le marché locatif ordinaire (option 3), parce que bon, ça suffit les conneries à la fin. Si aucune de ces options n’est choisie, le fou s’expose aux tribunaux qui les condamnera à de lourdes amendes, et par ici les pépettes dans la popoche parisienne : en 2014, 20 propriétaires détenteurs de 56 meublés illégaux ont été condamnés à 567 000 euros d’amende.
Bref, on le voit, la traque est maintenant lancée. Bien sûr, Ian Brossat, le noble adjoint PCF (évidemment PCF) au maire de Paris en charge du logement tient à rappeler qu’après tout,
« On est en période de crise. Si les gens peuvent mettre un peu de beurre dans les épinards en louant leur appartement quand ils partent en vacances, tant mieux, ajoutait-il. Seuls les multipropriétaires qui achètent des appartements pour les transformer en cash machine sont visés par la ville. »
Eh oui : le problème, au fond, n’est pas l’humble propriétaire qui tente d’amortir son logement, mais bien ces salauds de turbo-propriétaires multicapitalistes sans foi ni loi autre que celle du cash qui veulent transformer leurs appartements en … en rendements !
Ah, décidément, la France est pourtant simple à comprendre : et d’une, votre bien ne vous appartient pas, car l’État sait mieux que vous ce qu’il convient d’en faire. Et de deux, le foncier, sur Paris, est géré de main de maître par la Mairie, qui a permis de conserver, dans toute la ville, des biens abordables et en bon état de salubrité générale. Dès lors, lorsque cette Mairie dit « stop », il faut arrêter de danser et contredanser à tout va. Et de trois, les touristes à Paris sont une plaie dont on se passe très bien. Il conviendra donc de pourchasser les opportunités de les loger à coûts modérés d’autant que c’est bien connu, ces encombrants mammifères vacanciers « ne font pas de courses. Ils vont au restaurant ou mangent des sandwichs », les cons ! Et de quatre, les finances publiques ont le plus grand besoin de rentrées fraîches que ce commerce ne satisfait pas puisqu’il n’a – c’est absolument certain – aucune retombée positive.
L’action est prise. Parions qu’elle fera tache d’huile sur tout le pays et qu’enfin, les petits malins qui offraient ce genre de prestations scandaleuses seront vite calmés.
Ouf. On a vraiment frôlé de très près la création d’une activité rémunératrice !
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