Quel est le point commun entre Alibaba
et Laurent Fabius ? Tout simplement Jack Ma, figure de proue extravagante de
la vente en ligne de l’Empire du Milieu ! Il est bien oublié le temps où
Alibaba était entouré de 40 voleurs, il est maintenant suivi par 1,5
milliards de chinois… et le Ministre des affaires étrangères de la France.
En effet, Laurent Fabius n’a pas oublié
qu’il s’occupait non seulement des affaires étrangères, mais aussi du
développement international – c’est bien sa titulature complète. Aussi a-t-il
a endossé sans hésiter le rôle de business development manager : le Quai
d’Orsay devenant une direction commerciale, il fallait être socialiste pour
l’oser !
Et Fabius de faire ce que les patrons
français auraient dû faire. Grâce à Ubifrance, le ministre a fait signer le
16 mai dernier un accord avec Jack Ma pour renforcer la visibilité des
produits français en obtenant une réduction des coûts d’accès aux plateformes
des sites d’Alibaba. Résultat : selon le cabinet du ministre, des entreprises
hexagonales, telles que l’Oréal ou Clarins, auraient augmenté certaines de
leurs ventes de 300%.
Fabius ne s’arrête pas là. Lors de son
déplacement en Chine des 18 et 19 octobre dernier, il a revu Jack Ma, auprès
duquel il avait encore certaines demandes à formuler. C’est que notre
développeur international voudrait bien qu’Alibaba installe un site
logistique dans une de nos vertes vallées pour servir de base aux livraisons
de marchandises européennes vers la Chine. « Il y a un certain nombre de
sites qui lui ont été proposés », explique Fabius, mais « il n'a pas encore
choisi. » Rien n’est décidé, et on sent la fébrilité chez Laurent qui assure
que son nouvel ami Jack « est intéressé par un investissement dans un hub
possible en France ».
On reste stupéfait devant tant
d’activisme…
La stupéfaction ne vient pas tant du
fait que ce soit Fabius qui prenne des initiatives économiques, mais que les
patrons français laissent faire un homme politique à leur place… Car quand
même, voir l’État faire ce que les grands patrons devraient faire par
eux-mêmes relève de l’hérésie économique !
L’ordre des choses voudrait que le les
entreprises privées négocient les conditions d’accès à la plateforme
d’Alibaba tandis que l’État met en place des cadres légaux permettant aux
entreprises de faire leur business librement. En d’autres termes, c’est
l’idée – certes aussi extravagante en France que Jack Ma sur scène – que
l’entreprise fait du business et que l’État fait la Loi.
Le pire est que face à l’ingérence de
l’État, aucune voix patronale ou entrepreneuriale ne s’élève pour dire : «
Laissez-nous faire ! »
Mais où sont nos entrepreneurs ? N’y
a-t-il aucun organisme patronal ou entrepreneurial capable de négocier en
direct avec Alibaba ? Les patrons français ont-ils donc toujours besoin des
commis de l’État pour conquérir des marchés ? Sommes-nous tombés si bas qu’il
n’y aurait plus aucun patron français capable de s’aventurer hors de France
sans tenir la main d’un fonctionnaire du Quai d’Orsay ?
Toujours est-il que dans ce même Quai
d’Orsay, on s’enhardit. On ne limite plus son regard à la ligne bleue des
Vosges : on le porte vers l’horizon rouge de la Chine. Or il est à craindre
que plus les horizons de l’ingérence économique de l’État s’élargiront, plus
la liberté des entreprises diminuera. Ainsi, si immédiatement l’opération
Alibaba paraît bénéfique, elle est toxique à long terme car elle porte en
elle les germes d’une économie sous contrôle d’État.
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