Réformer
le capitalisme a-t-il aujourd’hui un sens ? Pour répondre
à cette question en passe de revenir dans l’actualité
électorale française, il peut être plein d’enseignements
de remonter le cours de l’histoire, et de se remémorer en les
dépoussiérant les débats qui ont traversé le mouvement
ouvrier, opposant réformistes et révolutionnaires.
Mais il est plus immédiat et tout aussi instructif de se pencher sur
les actes et les intentions de ceux qui, en Europe, se réclament
toujours du socialisme, actuellement au pouvoir ou espérant
prochainement y parvenir.
Cette
éventualité renvoie toujours à la même
interrogation : le pouvoir, oui, mais pourquoi faire ? Ainsi
qu’à une certitude : les temps de crise du capitalisme sont
moins favorables aux sociaux-démocrates, car ils amoindrissent
leurs marges de manoeuvre. De fortes contraintes
économiques et financières restreignent leurs
possibilités de faire du social, sauf bien entendu à
procéder à des remises en cause auxquelles ils ne sont pas
prêts. A sortir d’un cadre qu’ils n’entendent que
réformer, d’un système qu’ils proposent
d’améliorer. Ce qui est paradoxal, puisque la même
situation qui favorise leur venue au pouvoir les empêche de faire la
démonstration du bien fondé de leur stratégie.
C’est d’ailleurs bien pour cela – argumentent certains
– qu’ils sont appelés au pouvoir, et qu’ils doivent
ensuite le céder, ayant fait la démonstration qu’ils
n’étaient pas porteurs d’une véritable issue aux
problèmes que rencontrent ceux qui les ont élus.
Les
socialistes sont donc encore une fois attendus au tournant : celui de
leur programme, en attendant celui de leur candidat, dans les pays où
des consultations électorales pourraient leur être favorables.
Car dans d’autres, ils ont soit déjà perdu pied, soit
semblent condamnés à le faire à la prochaine occasion,
pris au piège d’une politique qu’ils appliquent consciencieusement
au prétexte qu’aucune autre n’est possible. C’est le
cas en Espagne, au Portugal et en Grèce.
Les
procès d’intention étant détestables, même
au nom de l’histoire et des épisodes précédents,
comment combler l’attente de ceux qui voudraient se tromper et non pas
être abusés ? Le Parti socialiste européen –
qui regroupe les partis sociaux démocrates et travaillistes, membre de
l’Internationale socialiste – va tenir un mini-sommet à
Athènes les 4 et 5 mars prochains, donnant enfin aux directions
socialistes l’occasion d’exprimer collectivement leur analyse de
la crise européenne et des moyens de la résoudre.
On
sait que va être présenté à cette occasion un
« pacte de compétitivité »
à la dénomination duquel va être rajouté
« …et de l’emploi« , assorti de 14
propositions visant à la relance de la croissance par la consommation,
ainsi qu’au financement de grands programmes d’investissement par
des émissions d’euro-obligations et une taxe sur les
transactions financières.
Il
serait notamment proposé de sanctuariser les dépenses
d’éducation, de recherche et d’innovation en ne les
prenant pas en compte dans le calcul du déficit public. Et,
d’une manière générale, de desserrer le calendrier
dans lequel les critères de Maastricht devront à nouveau
être respectés. Dans le domaine fiscal, on avance
particulièrement à pas de loup, de même qu’à
propos des coupes budgétaires.
Une
singulière gymnastique va devoir être effectuée à
Athènes, car le choix de la Grèce va symboliquement marquer ce
sommet, avec comme figure imposée le soutien à la politique
actuelle de Georges Papandréou du Pasok, en s’appuyant sur la
tenue simultanée à Helsinki d’un sommet de la droite
européenne, sous les auspices du Parti populaire européen, pour
se démarquer d’une politique communautaire par ailleurs
appliquée par les partis socialistes au pouvoir !
Mais
il est très significatif que le volet purement financier de la crise
européenne, et de son insertion dans le cadre mondial, semble
totalement passé à l’as, si l’on s’en tient
à ce qui a été rendu public à ce jour, ce qui est
proprement invraisemblable. Comme si cette dimension de la crise, dont la
prise en compte est essentielle si l’on veut formuler une
stratégie alternative à celle qui est en vigueur,
n’était pas l’occasion pour les socialistes
européens de se démarquer des conservateurs et qu’ils
n’étaient porteurs dans ce domaine d’aucune
réflexion propre.
Dans
l’état, celle-ci tient par avance dans trois
propositions qui en constituent le socle : 1/ La croissance est la
condition du désendettement. 2/ Pour assainir l’économie,
il faut prendre le temps nécessaire. 3/ Le chemin à emprunter
est étroit.
De
l’audace, toujours de l’audace ! La réforme
d’un capitalisme en crise est remise à plus tard avant
même d’être ébauchée. Une manière de
répondre en l’esquivant à la question initialement
posée : cette réforme n’est plus dans les moyens des
socialistes. On propose à sa place, rien de moins, que de
« changer de civilisation », comme le proclame dans son
titre un livre préfacé par Martine Aubry, secrétaire
générale du Parti socialiste français. A
l’occasion d’une interview accordée au Monde, celle-ci
affirme que « les Français sont en attente de sens,
d’éthique, de vérité ». Incorrigibles
phraseurs !
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
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