Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Nous vivons actuellement, je le pense, un point d’inflexion majeur dans la crise qui a débuté en 2007. Si rien de tout cela n’est encore très perceptible par Monsieur et Madame Toulemonde, les choses s’accélèrent dramatiquement.
Nous vivons dans un système économique hérité de la fin de la Seconde Guerre mondiale et des accords de Bretton Woods. Nous vivons dans un monde dominé par le grand vainqueur de la guerre froide, les États-Unis. Nous vivons sous la domination d’une monnaie… le dollar, d’une armée… l’armée américaine.
Ce monde, ce système est à bout de souffle. Certes c’est inquiétant. Certes c’est effrayant. Mais c’est ainsi. Les hommes naissent, grandissent et meurent. Il en va ainsi des monnaies, des systèmes économiques, des systèmes politiques. Il en va ainsi tout simplement du cycle incroyable de la vie.
Lors du dernier épisode (déjà oublié en quelques semaines) du « shutdown » du gouvernement fédéral américain, les Chinois excédés (et cherchant aussi quelques prétextes pour affirmer leur nouveau leadership) ont annoncé qu’il était désormais nécessaire de désaméricaniser le monde à commencer par l’économie mondiale, mais les deux éléments dans ce cas, à savoir l’économique et le géopolitique, sont intimement liés.
Depuis, et contrairement à nos multiples effets d’annonces d’occidentaux où l’on parle beaucoup pour agir très peu (et encore lorsque l’on agit), les autorités chinoises s’appliquent à traduire en actes concrets, pesés et efficaces ce plan de désaméricanisation annoncée.
La Banque populaire de Chine dit qu’il n’est plus dans l’intérêt de la Chine d’augmenter ses réserves de dollars
C’est une dépêche parfaitement officielle de la Banque populaire de Chine, relayée le 21 novembre 2013 par Bloomberg (agence de presse américaine spécialisée dans la finance et les marchés).
Personne ou presque n’en a fait écho pour le moment, or c’est une déclaration et une information capitale sur le devenir et l’avenir d’une part du dollar et d’autre part, par voie de conséquence, de l’évolution annoncée et inéluctable du système monétaire international.
Ainsi Yi Gang, vice-gouverneur de la Banque populaire de Chine et directeur de l’Administration d’État des Devises, a déclaré que « le pays (comprendre la Chine) ne bénéficie pas plus de l’augmentation de ses avoirs en devises », ou encore qu’il n’est plus « dans l’intérêt de la Chine d’accumuler des réserves de change sous forme de dollars ».
Une précision importante néanmoins, cette déclaration ne signifie pas que la Chine ne prend plus de dollars, en tout cas ce n’est pas le cas pour le moment. En effet, il faut savoir que cette déclaration intervient alors que les réserves de change de la Chine ont bondi au troisième trimestre 2013 à un niveau record de 3 660 milliards de dollars (ce qui, à titre de comparaison, est plus par exemple que le PIB de l’Allemagne).
Depuis plusieurs mois, je vous tiens régulièrement informé dans les colonnes du Contrarien Matin des différents accords bilatéraux de change, de plus en plus nombreux, signés par la Chine et ses partenaires afin de favoriser les échanges commerciaux en yuan (renminbi) en vous avertissant que chacun de ces accords pris isolément n’est pas très significatif mais qu’ils constituent en globalité l’un des piliers de la politique concrète chinoise de « désaméricanisation » de l’économie mondiale et qu’il fallait surveiller avec une infinie attention ces accords car ils étaient annonciateurs de grands bouleversements.
Devises : le yuan dépasse l’euro dans les financements commerciaux !
Et c’est un coup de tonnerre monétaire qui a eu lieu ce matin puisque l’on a appris que la monnaie chinoise, le yuan, dépasse pour la première fois l’euro dans les financements commerciaux et qu’il est désormais la 2e monnaie mondiale de financement des transactions commerciales, derrière le dollar.
Cet article du site Boursier.com, dont vous pourrez lire le détail, modère rapidement cette information en expliquant que « malgré son essor dans les financements commerciaux, le yuan reste classé au 12e rang mondial dans les échanges financiers mondiaux (incluant tous les échanges financiers), une situation liée notamment au fait que la monnaie chinoise n’est pas encore convertible ».
A mon sens, cela permet de se rassurer à peu de frais et démontre surtout une grande méconnaissance de la politique chinoise et de la stratégie de Pékin.
Les Chinois n’ambitionnent pas le moins du monde que leur monnaie devienne la première monnaie de spéculation justement. Toute la stratégie chinoise tourne autour du concept de réalité. Réalité politique et réalité économique. Toute la réussite chinoise repose sur la réalité de la production de richesse réalisée non pas à travers des services (les minutes de communication ne produisent jamais rien qu’une richesse immatérielle) que d’actifs réels.
Leur stratégie sous-jacente et implicite est que leur monnaie, le yuan, devienne simplement LA monnaie des échanges commerciaux, et bien que loin derrière le dollar pour le moment, les choses sont en train de prendre une tournure bien différente. Le yuan ne sera pas un nouveau dollar. Les Chinois ne chercheront pas à prendre la place du dollar à « périmètre constant », ils sont bien trop intelligents pour cela et sont grandement aidés par leur vision du passé (historique) et leur attitude orientée vers le long terme.
Le yuan sera une monnaie d’échange et d’actif tangible reposant sur la réalité d’une production de richesse. C’est d’ailleurs à peu près la définition d’une véritable monnaie au service de l’économie. Les Chinois laisseront donc vraisemblablement avec une certaine délectation les Américains enferrer leur si cher dollar dans les limbes de la spéculation du fast (and furious) trading à haute vitesse, dans la nasse de la création monétaire débridée et reposant sur du vent, et dans le piège de l’endettement massif. Il ne faudra plus alors qu’une simple pichenette pour que le roi dollar s’effondre, laissant le champ libre pour un siècle de domination chinois.
La Chine et un nouveau Baby Boom!
Enfin, je voulais attirer votre attention, car je n’ai pas eu le temps de vous rendre compte des résultats du 18e congrès du PCC, il a été décidé par les autorités chinoises de mettre fin à la politique de l’enfant unique. Cette décision n’est évidemment pas dictée par un impératif visant à améliorer la félicité du peuple chinois… Non, la bataille économique, et nous l’oublions trop souvent, est aussi une bataille démographique. Et croyez-moi, un milliard et demi de Chinois qui font des enfants… cela fera beaucoup de petits chinois en plus (voir ci-dessous l’article intitulé « la Chine dans l’attente d’un baby boom » du Figaro)!
La désaméricanisation du monde est bien en marche et je reste persuadé que les Américains ne vont pas perdre leur leadership sans combattre, plus que jamais, une faillite US peut être utilisée comme arme de rétorsion par les États-Unis pour faire dérailler la Chine certes dans un jeu de qui perd gagne… mais si perdre c’est gagner, le pragmatisme anglo-saxon pourrait bien s’y résoudre.
Restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez-bien !!
Charles SANNAT
Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Contrarien Matin est un quotidien de décryptage sans concession de l’actualité économique édité par la société AuCOFFRE.com. Article écrit par Charles SANNAT, directeur des études économiques. Merci de visiter notre site. Vous pouvez vous abonner gratuitement www.lecontrarien.com.
Lire l’article de Bloomberg sur le fait que les chinois ne souhaitent plus accumuler de dollars
Le Yuan, deuxième monnaie mondiale pour les échanges commerciaux devant l’euro
Article du Figaro sur la fin de la politique de l’enfant unique en Chine