On entend
souvent parler de positivisme mais ce terme recouvre une
variété de sens qui le rend difficile à cerner. Auguste
Comte (1798-1857), son fondateur, revendique le positivisme comme une
philosophie qui
admet pour seule démarche rigoureuse la méthode
expérimentale. C’est l’idée que la démarche
des sciences physiques pourrait s’appliquer à l’ensemble
des savoirs, y compris à la morale et à la politique.
Comte
versus Descartes
Le point de départ de la
philosophie, selon Comte, n’est pas
« l’expérience intérieure de
l’esprit » (le cogito cartésien) mais les sciences,
qui sont les seules véritables « faits de
l’esprit ». C’est pourquoi la philosophie telle que la
définit Auguste Comte est une philosophie
des sciences puisqu’elle est essentiellement une réflexion
sur les sciences. Mais ce qui intéresse le philosophe dans la chimie
ou l’astronomie, ce n’est pas le monde exploré par
l’esprit mais l’esprit en train d’explorer le monde.
C’est donc en fait une philosophie
de l’esprit et non une philosophie de la nature.
Mais elle est aussi
nécessairement une philosophie
de l’histoire car une réflexion sur les méthodes qui
ont réussi ne définit exactement l’esprit qu’en
mesurant ses progrès : elle le saisit à travers
l’histoire des sciences qui est comme la biographie de la raison. Ce
qui remplace la métaphysique fondée sur
l’expérience intérieure, c’est une philosophie de l’histoire de
l’esprit à travers les sciences positives (expérimentales).
Pour connaître la nature de
l’esprit, il faut connaître toutes les branches de ses
connaissances. L’ordre successif des sciences doit manifester
l’ascension de l’esprit à travers les états qui
correspondent aux différents types d’unification des phénomènes.
« Le siècle actuel sera principalement
caractérisé par l’irrévocable
prépondérance de l’histoire, en philosophie, en
politique, et même en poésie. Cette universelle
suprématie du point de vue historique constitue à la fois le
principe essentiel du positivisme et son résultat
général. (...) La vraie positivité consiste surtout dans
la substitution du relatif à l’absolu. »
La
loi des trois états
Selon Comte, il y a trois états
successifs des sciences à travers l'histoire. La loi des trois
états représente le développement de l’esprit
aussi bien dans l’individu que dans l’espèce (enfance,
jeunesse, virilité). Mais il s’agit d’une succession
nécessaire, c’est-à-dire qui tient à la nature
même de l’esprit.
L’état théologique
Il est caractérisé par la
croyance en des causes efficientes (ou agents) doués de
volonté, qui expliquent tous les phénomènes frappants de
la nature. L’esprit humain naissant ne pouvait commencer à
interpréter la nature que par une philosophie de forme
théologique. En effet, il se trouvait enfermé dans un cercle
vicieux : pour former des théories, il fallait observer les
phénomènes mais pour observer il fallait bien avoir recours
à quelques principes. Or la philosophie théologique est la seule
qui se produise spontanément et qui n’en suppose pas
d’autre. L’esprit n’a pas besoin d’observations
préalables pour imaginer partout dans la nature des activités
semblables à la sienne.
L’état métaphysique
Plus qu’un état,
c’est le passage même de l’esprit théologique
à l’esprit positif. Il est donc par nature transitoire et
n’a pas de principe propre qui le définisse. La
métaphysique substitue des entités (telles que la substance,
les accidents…) aux volontés et la nature au créateur, détruisant
les mythes et par là préparant le terrain à la physique.
L’état positif (ou
scientifique)
Il renonce à toute explication
du « pourquoi » pour s’attacher uniquement au
« comment », sur la base de faits connus par
l’expérience et l’observation. Il s’agit donc de chercher
non la cause mais la loi, c’est-à-dire de renoncer à la
connaissance de l’absolu pour se cantonner dans le relatif qui est le
seul objet accessible par la raison. « Tout
est relatif, voilà le seul principe absolu » selon
Comte. La connaissance positive consistant à relier entre eux les
phénomènes et à en formuler les lois, sur le
modèle de la physique.
Le
positivisme dans les sciences sociales
Le terme de philosophie positive
« désigne une manière uniforme de raisonner
applicable à tous les sujets sur lesquels l’esprit humain peut
s’exercer » y compris les phénomènes sociaux,
ce que ne comprend pas le terme de philosophie naturelle de Newton, bien que la méthode soit la même.
C’est pourquoi la philosophie
positive se donne pour tâche d’achever le système des
sciences d’observation en fondant la physique sociale.
Ainsi tous les phénomènes observables pourront rentrer
dans l’une des cinq grandes catégories (astronomie, physique,
chimie, physiologie, sociologie) et la philosophie sera définitivement
constituée, ayant acquis le caractère
d’universalité qui lui manquait encore.
Disciple de Saint-Simon, dont il fut le
secrétaire, le fondateur du positivisme conçoit la sociologie
sur le modèle pur et simple de l’organisme biologique. Par
rapport à cette totalité sociale organique, « l'individu
n'est qu'une abstraction qui cependant lui doit tout aux deux sens de
l'expression — il reçoit d'elle tout son être et il a
l'obligation de s'y dévouer totalement » écrit Alain
Laurent (L’individualisme
méthodologique). Comte, en effet, multiplie les références
à l' « organisme social » qu'est la
société, également qualifiée de
« Grand Être » dont les parties sont liées par
une solidarité organique.
Dans cette
perspective, on trouve sous la plume de notre auteur des déclarations,
aussi fracassantes qu’inquiétantes, telles que :
« Le
positivisme n'admet jamais que des devoirs, chez tous envers tous. Car son
point de vue toujours social ne peut comporter aucune notion de droit,
constamment fondée sur l'individualité. Nous naissons
chargés d'obligations de toute espèce, envers nos
prédécesseurs, nos successeurs, et nos contemporains. Elles ne
font ensuite que se développer ou s'accumuler avant que nous puissions
rendre aucun service. Sur quel fondement humain pourrait donc s'asseoir
l'idée de droit, qui supposerait raisonnablement une efficacité
préalable ? » (Catéchisme
positiviste, 1852).
Le
projet d’une politique scientifique
Enfin, selon Auguste Comte, le triomphe
définitif de la philosophie positive aura pour conséquence la
réorganisation totale de la société. « Le mal
consiste surtout dans l’absence de toute véritable
organisation ». Or pour
Comte, la liberté individuelle est le principe même de la
désorganisation. La science politique telle que la conçoit
Auguste Comte aura donc pour objectif de subordonner l’individu
à la Société.
Cette nécessité
historique passe d’abord par la refonte du système
d’éducation. En effet, celui-ci est encore trop
théologique, métaphysique et littéraire, pour être
conforme à l’esprit positif.
« Vivre pour
autrui », telle était l’une des devises du
positivisme que Comte prévoyait d'expliciter dans un Traité de
l'éducation universelle, peu avant sa mort. « L'homme
proprement dit n'existe pas, il ne peut exister que l'Humanité,
puisque tout notre développement est dû à la
société sous quelque rapport qu'on l'envisage » (Discours sur l'esprit positif, 1842).
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