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Dans un commentaire
d'une note récente, un lecteur, "JL",
m'écrit ceci :
"Je sens Vincent
très "autrichien" dans cet article alors que d'habitude il
m'apparaît plus comme un Chicago boy"
Mes références sont elles
plutôt celles de l'école autrichienne ou de Chicago ? J'avoue
que jusqu'à il y a quelques semaines, je ne me posais pratiquement
jamais la question. Plusieurs raisons à cela. Tout d'abord,
l'idée de m'identifier à une chapelle ne me plait guère.
Je préfère prendre les enseignements des uns et des autres, me
faire ma propre idée là où les éléments en
ma possession me le permettent, et conserver entières mes interrogations
là où je n'ai pas pu départager les différents
arguments des uns et des autres.
En outre, pédagogiquement, vis
à vis de personnes peu au fait des différences entre Viennois
et Illinois, se réclamer d'une école est souvent
contreproductif: les gens ne comprennent pas ce qu'il y a derrière l'étiquette,
en ont souvent des représentations... outrancières,
liées aux désinformations qu'ils subissent chaque jour de la
part de nombreux médias. Mieux vaut avoir en tête les
"grands maîtres", ou les "vieilles barbes", selon
le point de vue, mais ne s'y référer que
modérément, et privilégier faits et raisonnements.
Ceci dit, la cause principale de ma
relative indifférence vis à vis des différences entre
les deux écoles vient de mon parcours intellectuel. Je suis venu aux
questions économiques "par la base", les problèmes de
micro-économie: qu'est-ce que l'entreprise, comment fonctionne-t-elle,
quelles politiques stimulent la création de valeur, lesquelles la
brident, comment les processus naturels d'amélioration continue de
l'offre contribuent à améliorer notre pouvoir d'achat...
Et sur ces questions, les deux
écoles se rejoignent: droit de propriété, exercice de la
liberté sous la contrainte de la responsabilité personnelle,
fiscalités et règlementations favorables à la formation
de capital productif, tout cela est commun aux deux écoles de pensée,
rendant inutile toute tentative de se définir par rapport à
l'une ou l'autre des écoles.
Les différences entre ces deux courants de pensée proviennent
principalement de leur façon de concevoir une politique
monétaire et le système financier qui l'accompagnent, bref, les
questions macro-économiques. Or, j'ai longtemps, et bien à
tort, sous estimé ces questions. Erreur: la crise actuelle vient de
nous rappeler combien elles sont importantes.
Jusqu'ici, j'ai considéré
que le système monétaire qui est le notre était sans
doute imparfait, mais que l'indépendance relative des banques
centrales par rapport aux états rendait le système
prévisible et stable. J'ai donc plutôt sous estimé les
avertissements de quelques purs autrichiens (Ron
Paul, Peter Schiff, Lew Rockwell, et quelques autres), qui
annonçaient que l'éclatement de la bulle entrainerait des
conséquences catastrophiques. Certes, l'existence de ces bulles et
leur prochain éclatement ne faisait aucun doute dans mon esprit, mais
l'économie, c'est à dire la somme des décisions
individuelles de millions de personnes, me paraissait suffisamment
résiliente à ces éclatements, à condition que
l'état n'y mette pas trop les mains. Une bulle qui éclate, cela
pose certes des problèmes d'adaptation, mais c'est inhérent
à la nature humaine: l'humanité progresse par un processus
continuel d'"essais-erreurs-corrections", et chaque mini-crise
liée à l'éclatement d'une bulle me paraissait relever de
la simple correction.
Dans ce schéma, la gestion de la
monnaie par les banques centrales, maintenant peu ou prou l'inflation dans la
limite de 2% annuels, me paraissait, à défaut d'être
parfaite, prévisible.
C'était une erreur d'appréciation, du fait de mon approche
micro-économique des problèmes. Non pas que cette approche soit
mauvaise, mais le rôle de la façon dont est gérée
l'offre de monnaie, matière première des échanges, est
primordial.
Or, la crise actuelle montre qu'aucun
gourou ni aucun comité des sages ne peut constamment ajuster les taux
d'intérêt de façon à maintenir l'inflation
monétaire réelle en dessous de la limite de 2%: de l'aveu
même de Greenspan, il n'avait pas le pouvoir d'empêcher la
formation de bulles
d'actifs, qui tendent à fausser le calcul économique
en sur-estimant la croissance (un certain nombre de valeurs prises en compte
dans le calcul du PIB sont de facto artificielles) et en sous-estimant son
déflateur (l'inflation). En faussant ainsi les perceptions de valeurs
créées par l'économie, la "monnaie greenspan"
a orienté une masse importante d'investissements financés par
le crédit vers des valeurs artificiellement gonflées (en
l'occurence, l'immobilier, gonflé par les règles
foncières).
La monnaie idéale serait celle dont la masse croit exactement à
la même vitesse que la quantité des échanges : dans ce
cas, la valeur annuelle de la croissance "nette" (celle que les
médias nous livrent chaque mois), serait égale à sa
croissance "courante" (ou brute, ou nominale), et
l'inflation nulle. Une telle monnaie rendrait les calculs économiques
à long terme bien plus faciles, puisque un Euro d'aujourd'hui
conserverait sa valeur demain.
Aucune monnaie n'a réussi à atteindre cet idéal parfait,
mais force est de reconnaître que les pays qui ont pratiqué un
système fondé sur les deux piliers qu'étaient
l'étalon or et la banque libre s'en sont
plus rapproché que les autres : l'inflation
était pratiquement inconnue dans les pays pratiquant l'étalon
Or aux XVIIIèmes et XIXèmes siècles, et les crises qui
pouvaient se produire en cas d'insuffisance de la croissance du stock d'or ne
duraient jamais longtemps.
Ce constat, et la justesse des
prévisions récentes des "autrichiens", tendent
à rendre leurs propositions plus que dignes d'intérêt.
Certes, la transition vers un retour
à l'étalon or pourrait être délicate. J'ai lu des
propositions (liens perdus...). D'autres alternatives existent
peut-êtres.
Bref, à défaut d'avoir des
certitudes sur ce que devrait être le système financier de
demain, je suis sûr que celui en vigueur actuellement a montré
de trop sérieuses limites pour ne pas être réformé.
C'est sans doute pour cela que
j'évolue vers les propositions de l'école autrichienne. Je
doute fort que le "Bretton Woods" que l'on nous promet aboutisse
à de telles propositions.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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