Aujourd’hui,
pour réduire des déficits publics abyssaux,
les dirigeants des pays de la zone euro soumettent les citoyens à des
cures d’austérité draconiennes
marquées notamment par des hausses des taux d’imposition.
Pourtant, lesdits
taux d’imposition étaient déjà très
élevés au milieu des années 2000, surtout si on les
compare à ceux des États-Unis et du Japon. La question est
alors la suivante : en voulant traire toujours plus les contribuables
européens, ne risque-t-on pas d’assister à un effet
inverse à celui attendu, à savoir des recettes fiscales en
baisse ?
Il y a un peu
plus de trente ans, l’économiste américain Arthur B. Laffer s’était intéressé
à ce paradoxe pour le cas de son propre pays qui faisait
également subir à ses citoyens des taux d’imposition
très élevés. Il dessina alors une fameuse courbe
expliquant que de tels taux avaient des conséquences négatives
sur les recettes fiscales et que ces dernières pourraient être
stimulées par des baisses des taux d’imposition.
Cela se
vérifia dans la pratique
puisque, sous l’ère Reagan, les recettes fiscales
s’accrurent au rythme annuel de 7%. La hausse des déficits
observée pendant cette période n’eut rien à voir
avec les réductions d’impôt qu’il mit en œuvre,
étant plutôt due à la frénésie
dépensière de l’ex-acteur.
Pour autant,
Arthur B. Laffer – qui jouit alors
d’une cote de popularité sans précédent
inhérente à cette « découverte »
– n’a rien inventé. Avant lui, de très grands
auteurs économiques avaient déjà anticipé cette
courbe, à commencer par l’historien nord-africain, Ibn Khaldoun.
Et, quelques
siècles plus tard, ce fut surtout l’économiste
français, Frédéric Bastiat, qui posa toutes les bases
théoriques de ce paradoxe apparent entre augmentation des taux
d’imposition et baisse des recettes fiscales dans son pamphlet, Paix et liberté ou le Budget
républicain :
« Si, (…), le gouvernement, poussé par une
exagération d'ardeur fiscale, élevait les taxes jusqu'au point
de ruiner les facultés du consommateur; s'il doublait et triplait le
prix vénal des choses les plus nécessaires, s'il
renchérissait encore les matériaux et les instruments de
travail; si, par suite, une partie considérable de la population
était réduite à se priver de tout, à vivre de
châtaignes, de pommes de terre, de sarrasin, de maïs, il est clair
que la stérilité du budget des recettes pourrait être
attribuée, avec quelque fondement, à l'exagération
même des taxes.
Et,
dans cette hypothèse, il est clair encore que le vrai moyen, le moyen
rationnel de faire fleurir les finances publiques, (….) ; ce ne serait
pas de tendre l'impôt mais de le détendre.
(…)
l'impôt, dans son développement successif, peut arriver à
ce point que ce que l'on ajoute à son chiffre on le retranche à
son produit. Quand les choses en sont là, il est aussi vain, il est
aussi fou, il est aussi contradictoire de chercher une addition aux recettes,
dans une addition aux impôts ».
Dans ce passage-ci,
Bastiat explique qu’il existe un optimum au-delà duquel il est
vain pour l’État d’espérer une augmentation
supplémentaire des recettes fiscales.
Quant au
premier paragraphe, l’économiste français montre que le
consommateur risque de se détourner des produits imposés. Un
avertissement post-mortem à Sarkozy qui a taxé un certain
nombre de biens de consommation très prisés par les
ménages français et qui, de ce fait, risque de briser la
croissance de certains marchés avec toutes les conséquences que
cela peut comporter…
Mais ce n’est
pas tout : Bastiat indique également ailleurs dans le texte que
l’exagération des taxes stimule l’esprit de fraude,
conduisant inéluctablement à une baisse des recettes publiques.
Un engrenage infernal débute alors selon lui puisque, pour endiguer la
fraude, l’État va alors embaucher une armée toujours plus
dense de fonctionnaires et augmenter les contrôles. Mais de telles
mesures ont un coût pour les finances publiques, d’autant plus
qu’elles sont souvent inefficaces à atteindre leur but.
Enfin, Bastiat
n’est pas un simple théoricien déconnecté des
réalités de son temps : il observa la situation fiscale de
certains de nos voisins, dont l’Angleterre, et y constata que la
frénésie taxatrice à laquelle succomba le cabinet Whig
de l’époque fit long feu, en ce que les surtaxes successives
débouchèrent sur des recettes en baisse. C’est ce qui fit
alors dire au politicien britannique Sir Robert Peel : « Nous
sommes arrivés à la dernière limite de la taxation
profitable. Il n’y a plus de ressources pour nous, puisque imposer
plus, c’est recevoir moins. ».
Le cabinet
Whig fut ensuite renversé et Sir Robert Peel expliqua alors
« que pour faire prospérer les taxes il les faut
diminuer. ».
Avant de
soumettre leurs citoyens à des cures d’austérité
drastiques, les chefs de gouvernement de la zone euro devraient
peut-être lire ou relire Bastiat et s’instruire sur les
leçons fiscales du passé.
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