Mes chères contrariées, mes chers contrariens,
La Grance ? Vous ne connaissez pas ce
pays ? Vous devriez pourtant car c’est le vôtre. Je trouve
que le mot « Grance »,
contraction vous l’aurez deviné de
« Grèce » et de « France »,
reflète parfaitement le processus actuellement en cours.
D’ailleurs, une part relativement importante de notre avenir
financier se joue également à Athènes.
Ce qu’il faut bien toujours garder à l’esprit,
c’est que pour le moment et faute d’utilisation de la planche
à billets, l’histoire des difficultés économiques
de la zone euro se résume de la manière suivante : il
s’agit de pays surendettés qui aident des pays carrément
en faillite avec de l’argent qu’ils n’ont tout simplement
pas.
Le Bonto européen
Une fois compris cela, nous pouvons passer à
l’étape suivante du raisonnement. Si comme c’est à
nouveau « officiellement » envisagé, car
officieusement nous le savions tous déjà, il faut à
nouveau effacer de la dette grecque, qui va payer ?
Qui ? Nous, les contribuables, puisque depuis plusieurs
années, on s’évertue avec une constance admirable
à déplacer les dettes des pays en faillite vers ceux qui le
seront en dernier, ou les dettes des banques vers les états, ce qui
à l’arrivée revient à dire que toutes les dettes
d’Europe sont progressivement transférées vers la BCE et
vers l’Allemagne (la moins mal) et la France (la deuxième moins
mal dans le classement général du pire).
Il ne faut pas imaginer un seul instant que nous puissions, nous
Français, payer 30 ou 50 milliards d’euros de plus pour nos amis
grecs. Quand bien même nous le voudrions, nous ne le pouvons pas. Pour
information, et à titre de comparaison, il s’agit là
d’un montant supérieur à la totalité de
l’impôt sur le revenu collecté dans notre pays en une
année… qui serait versée directement aux Grecs. Il ne
vaut mieux pas que l’on pose démocratiquement la question au
peuple français, car dans sa grande sagesse, ce dernier pourrait
signifier à nos politiciens d’aller se faire voir… chez
les Grecs justement !
Nous sommes lancés dans une mécanique absurde de
« Bonto ». Le Bonto, c’est ce jeu de rue, parfaitement
illégal d’ailleurs, où vous avez une boule blanche
cachée dans un des trois pots et le gars qui fait tourner à
très grande vitesse. Il faut après trouver dans quel pot est la
boule blanche.
Remplacez la boule blanche par les dettes et vous obtenez la
réalité d’une politique brillante menée depuis
plus de cinq ans sur notre vieux continent par des élites politiques
à bout de souffle et à bout d’idées.
La France va
progressivement se « grécifier »
Une première conclusion s’impose. À force de
prendre des engagements de soutien impossibles à tenir envers
d’autres pays européens au nom d’un principe stupide de
« solidarité » européenne, nous avons
commencé notre processus de « grécification ».
Mais avant, pourquoi cette politique de solidarité est
stupide ?
Parce qu’elle est dangereuse et repose sur le raisonnement que
« personne ne mourra ou que nous mourrons tous ».
Voilà le principe qui préside aux décisions de nos
dirigeants. Le problème c’est que nous allons bien tous mourir
ensemble.
L’Allemagne comme la France n’a pas les moyens de sauver
le reste de l’Europe sans périr à son tour. Les Allemands
le savent et c’est ce qui explique leur réticence et leur
résistance pour faire les chèques jusqu’à
maintenant.
Faut-il abandonner la Grèce ? Oui.
Faut-il abandonner l’Espagne ? Oui.
Faut-il abandonner l’Italie ? Oui.
Soit nous créons de la « fausse » monnaie
(comme le font les États-Unis et le Royaume-Uni ou encore le Japon)
pour faire semblant de racheter ces dettes et créer l’illusion
d’un « tout va bien » qui finira par
déclencher une hyperinflation, soit nous devons laisser tomber les
pays en trop grande difficulté pour essayer de sauver ceux qui peuvent
l’être encore.
Pour le moment, l’aide que nous donnons, ou les engagements
d’aides que nous prenons, nous fragilise. Étant
fragilisés, les agences de notation (forcément très,
très méchantes) nous dégradent, et nous dégraderont
encore et encore. Cela va renchérir à un moment ou à un
autre nos taux d’emprunt, rendant notre stock de dettes difficilement
supportable. Nous devrons lever encore plus d’impôts. Puis nous
finirons par baisser nos dépenses car on ne peut pas aller plus haut
que 100 % de prélèvements obligatoires.
La récession en Grance sera alors
majeure. Notre PIB baissera. Nos dettes augmenteront d’autant plus vite
que notre PIB baissera. Donc exprimée en pourcentage de PIB, la dette
explosera. Cela entraînera de nouvelles dégradations et nous
serons dans le même cercle vicieux que la Grèce qui n’a
juste que cinq ans d’avance sur nous.
Lorsque nous couperons en deux, comme en Grèce, les aides
sociales, les salaires des fonctionnaires et les pensions de retraites, je
vous laisse imaginer l’explosion sociale dans notre pays.
Si nous voulons éviter ce scénario catastrophe, nous
devons nous poser la question de l’aide que nous n’avons plus les
moyens d’apporter aux autres.
Mais ce débat, bien sûr, est totalement absent dans notre
pays. Or il est essentiel, tellement la stabilité même de notre
nation et ses équilibres précaires sont en jeu.
Pour le moment, nous fonçons dans le mur, l’innocence en
bandoulière et le sourire béat aux lèvres. Pourtant,
l’avenir qui nous attend est une évidence…
Grèce
: les créanciers pourraient renoncer à leurs exigences en 2015
Alors que nous disons et que nous répétons malgré
une suite ininterrompue de communiqués officiels tous plus victorieux
les uns que les autres que la Grèce n’est pas sauvée, que
la Grèce est en faillite, que rien n’est réglé, et
que rien ne le sera jamais tant que nous n’aurons pas :
1/ payé nous-mêmes les dettes de la Grèce ;
2/ laissé la Grèce faire défaut
c’est-à-dire au bout du compte payer nous-mêmes
l’ardoise laissée par les Grecs ;
3/ laissé la BCE racheter tout le stock de dette grecque en
imprimant de la fausse monnaie… ce que les Allemands ne veulent pas.
Une dépêche de l’AFP nous apprend donc que
« des représentants de la zone euro ont
évoqué cette semaine à Paris un effacement partiel de la
dette grecque à l'horizon 2015, une mesure jugée
désormais inévitable par le FMI et la BCE, selon les journaux Welt am Sonntag et Der
Spiegel parus dimanche. » Et voilà, on y arrive.
Même officiellement il n’est plus possible de continuer à
nier la situation financière dramatique de la Grèce.
« Selon des informations du Welt am Sonntag
qui ne cite pas de sources, au cours d'une réunion à huis clos
lundi dans la capitale française à laquelle participait le
ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble,
les créanciers publics d'Athènes (zone euro, BCE, FMI) ont
évoqué la possibilité de renoncer à leurs
exigences financières en 2015.
Selon l'édition dominicale du journal Die Welt, la perspective d'un
effacement partiel de la dette grecque viserait à encourager la
Grèce à tenir les engagements pris en échange de son
deuxième programme d'aide. »
L’idée d’encourager la Grèce à tenir
ses engagements, c’est pour amuser la galerie. En
réalité, tout le monde se fiche bien d’encourager les
Grecs. Les États ne font pas dans l’aide psychologique. Non,
l’essentiel c’est de trouver une solution pour effacer une dette
qui ne sera jamais remboursée en trouvant les artifices comptables
permettant de ne pas détériorer trop fortement les comptes
publics français et allemands. Et là, disons-le, c’est
compliqué.
« Cette option viserait également à rassurer
le Fonds monétaire international (FMI) qui demande une
réduction de la dette d'Athènes à un niveau supportable,
poursuit le journal.
L'hebdomadaire allemand Der
Spiegel a rapporté dimanche que le FMI et la BCE
considéraient désormais qu'un effacement partiel de la dette
est inévitable, contrairement à Berlin qui plaide
désespérément en faveur d'une réduction des
intérêts à payer pour la Grèce. »
Le FMI qui n’est pas le FME, c’est-à-dire
qu’il est international et pas européen, ne peut pas
politiquement aller plus loin dans son soutien financier à la
Grèce. Cela laisse donc un trou problématique dans la politique
d’aide à ce pays, que le couple franco-allemand n’a ni les
moyens ni l’envie de prendre à sa charge.
« En effaçant la moitié de leurs
créances sur la dette grecque, les gouvernements et les institutions
de la zone euro pourraient ramener la dette grecque à 70 % du PIB en
2020, au lieu de 144 %, selon Der
Spiegel. »
Ça, c’est juste de l’espérance. Avec un PIB
qui chute de 7 à 8 % tous les ans et une récession en Europe,
il y a peu de chance que l’économie grecque se relève
facilement ou rapidement, quand bien même sa dette serait
effacée jusqu’à 70 %... ce qui laisse encore beaucoup
d’argent à rembourser.
Tant que vous ne verrez pas ou n’entendrez pas un débat
sur l’arrêt des aides aux autres pays européens et que
vous verrez l’Europe enferrée dans une politique stupide car uniquement
idéologique de « solidarité », alors vous
pouvez vous préparer à vivre en Grance
dans les cinq prochaines années. Car il n’y aura aucun miracle
pour venir nous sauver. Il n’y a aucune bonne solution lorsqu’un
pays a trop de dettes. Quel que soit le chemin choisi, il sera très
douloureux.
Et là, croyez-moi, les Grecs ont une expérience
très précieuse dont nous pouvons nous inspirer.
Je ne vous donnerai qu’un seul chiffre et qu’une seule
expression pour résumer la vie en Grèce.
Exode urbain et 60 % des Grecs des villes souhaitent en partir pour
rejoindre les campagnes.
Alors bienvenue en Grance.
Charles
SANNAT
Directeur des Études Économiques Aucoffre.com
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