C’est la rentrée et avec elle, le retour à la cantoche.
Et cette semaine, au menu, nous avons des boulettes, en version industrielle,
lourdes et grasses, de la bourde, bien visible, avec un peu de bave
interministérielle, et des bévues en robe des champs. Un délice. Et quoi
qu’il arrive, c’est à un tarif tout à fait inabordable.
Le meilleur, dans la grosse bourde, c’est lorsqu’elle s’ignore. Si grosse
et pourtant si invisible, cela pourrait tenir de l’exploit. Mais ici, on
parle d’Arnaud Montebourg, le fier chevalier quichottesque,
qui ne recule devant aucune prouesse pour prouver à la fois sa virilité et la
pureté de sa motivation pour mener à bien sa mission qui est, comme tout le
monde le sait, de dresser tout ce qu’il pourra en vue d’une nouvelle
reproduction. S’il faut aller se battre à main nue contre un ours kodiak, il
le fera, quitte à rapporter en trophée la tête encore chaude de l’ursidé sur
le bureau de Poutine. Et s’il faut distribuer les tartes à de grands patrons
d’industrie, il ne sera jamais le dernier. Je n’exagère pas.
C’est en effet ce qu’il a expliqué devant un parterre d’entrepreneurs lors
d’un déplacement en Italie, fin juillet, faisant ainsi fi de la moindre
distance et de la plus petite parcelle de diplomatie qu’il pourrait encore
abriter pour espérer arrondir les angles entre la grande industrie, la grande
finance mondiale et ses petites lubies colbertistes. Lubies qu’il entend bien
claironner à la France jusqu’à ce qu’on l’écoute pour de bon, en désespoir de
cause et de tympans. En tout cas, pour lui, une chose est sûre : après son
petit ministère rigolo, il arrêtera la politique, sauf pour la présidentielle. Et
l’avouer à tout le monde n’est pas une boulette de plus. Meuh non.
À côté des bourdes grotesques et visibles que les fanfarons chèrement
payés de la République nous offrent régulièrement, il y a celle qu’on aurait
bien voulu éviter. Il y a celle de ces quelques millions de Français qui,
recevant actuellement leur tiers provisionnel, prennent maintenant l’ampleur
de leur erreur ; avoir choisi de travailler plus pour parvenir à gagner moins
ou tout juste autant, avoir choisi de coller à un poste important un rond de
cuir insignifiant, voire pour certains, avoir fait confiance (et rire
maintenant même si de désespoir) : que voilà de bien belles erreurs.
À ces erreurs individuelles de millions de votants qui commencent tout
juste à prendre la mesure de ce qui va leur arriver sur la figure, il faudra
ajouter la facture de ces boulettes qui se seront accumulées entre temps, et
sans le moindre contrôle. Dans celles-là, on trouvera à n’en pas douter la
belle bourde syrienne.
Quelle idée géniale aura eu notre président de bondir au créneau dès qu’il
en eut la possibilité ! Qu’elle fut bonne cette saillie qui l’aura quasiment
forcé à dire qu’une intervention était impérative, imminente et inéluctable !
Pourtant, comment imaginer que le petit François n’a reçu, au sujet de la
Syrie, aucun débriefing un peu détaillé avant qu’il n’ouvre sa grande jatte
pour jouer les va-t-en-guerre ? Pourtant, comment ne pas comprendre, depuis
deux ans que le conflit interne syrien s’est déclaré, que la situation était
tout sauf claire, simple et au résultat connu d’avance ? Dès lors, comment ne
pas se douter qu’il était urgent d’attendre, de réfléchir et de s’informer
avant de bondir à l’assaut, tout feu tout flamme
comme un Montebourg grignotant des poppers ?
Oh oui, du gaz toxique a été utilisé ! D’ailleurs, c’est bien plus
terrible que des baïonnettes, des cimeterres, du 7.65, des obus de mortier,
des mines antipersonnel ou des missiles à explosifs haute densité tout ce
qu’il y a de plus conventionnels ! Obama (comme Cameron et comme Hollande),
avaient été forts clairs : vous pouvez, tous, vous éparpiller comme bon vous
semble, tant que l’horreur et l’abomination n’atteint pas la petite marque
ici, où l’utilisation de combinaisons « BNC » devient impératif
pour trotter dans les rues. Si vous dépassez, avaient fait comprendre haut et
clair Obama (et Cameron, et Hollande), nous viendrons vous botter
l’arrière-train.
Dès qu’ils eurent posé leurs conditions d’une intervention musclée, on
comprit qu’elle serait vite remplie. Parce que c’est commode.
C’est d’autant plus commode que cela donne une bonne idée de la marge de
manœuvre pour Kim Jon Un qui fricote de l’atome, massacre son peuple par
l’habile truchement d’une famine carabinée (suivant en cela les préceptes
communistes soviétiques, hat-tip l’Holodomor
) et
qui n’a reçu pour le moment aucune menace directe du même Obama (ni
de Cameron et de Hollande). Très clairement, non seulement la méthode de mise
à mort compte, mais l’origine des morts est au moins aussi importante.
Attention : ceci n’est pas une discrimination. C’est de la diplomatie.
Mais foin
de comparaison, qui n’est pas raison, tant pis pour les millions de morts
coréens, revenons à la boulette hollandaise, caractérisée par sa sauce si
riche qu’elle déclenche un infarctus par hypercholestérolémie morbide instantanée
sur plus de 50% des cobayes testés. Le déroulé de l’action, au ralenti,
mérite qu’on s’y attarde : ce n’est pas tous les jours qu’on voit un
pachyderme socialiste s’aplatir en plein trottinement !
Si le
conflit s’éternise depuis un moment, c’est le 27 août 2012 (il y a un an,
donc) qu’Hollande prévient : « L’emploi d’armes chimiques serait une
cause d’intervention directe. » ; à l’époque, on comprend bien
qu’Assad, jouant la survie de son régime, doit avoir la tentation d’utiliser
ces armes (même si elles sont encore sous garantie, car fraîchement vendues
par les Anglais oups non oubliez). Mais voilà, il ne le fait pas. Zut et zut.
Et à ce moment là, l’Arabie Saoudite, qui arme
presque officiellement les rebelles, n’a peut-être pas encore eu le temps de
leur livrer quelques bonbonnes de sarin ? Oups, je n’ai rien dit. En tout
cas, le 14 juin 2013, Obama rentre dans la danse : pour lui aussi, il faudra
pour intervenir des preuves claires et évidentes qu’ont été utilisées de
vilaines armes chimiques (par oppositions aux armes conventionnelles,
bisou-compatibles).
Sauf
qu’entre temps, la fameuse rébellion s’est fait disperser petit à petit. Les
armées bigarrées, patchwork de soldats d’origines diverses, qui étaient
parvenues à prendre quelques territoires à l’armée régulière, se font
repousser. Les financiers de ces factions trouvent le temps long et le coût
trop gros : il va falloir hâter.
Coup de bol
monstrueux (ou pas) : Assad, contre toute logique, fait alors preuve d’un
manque total de lucidité et décide d’utiliser une bonne dose de gaz
chimiques, alors qu’on lui avait dit de ne pas taper dans le stock (petit
coquin !) et que – c’est ballot – tout le monde le regardait. Quel garnement
! Certains Américains trouvent la blague un peu dure à avaler. C’est le cas de Rand Paul. C’est le cas de
certains soldats américains eux-mêmes.
Et là, tout va se dérouler très vite : Hollande, souple
comme un verre de lampe, s’élance sur la piste aux (généraux) étoilés, décide
que puisqu’il en est ainsi, on va devoir punir le responsable, Obama lui
emboîte le pas, Hollande continue sa prise d’élan, Cameron prend sa
respiration et fait lui aussi un premier pas, Hollande s’élance, Cameron
demande un vote du parlement anglais, qui refuse toute intervention sur
place. Cameron expire bruyamment. Obama l’entend, jette un coup d’œil en
arrière et propose de consulter le Congrès, que tous lui savent fort
défavorable. Même l’OTAN décide que bah, finalement, non. Hollande a maintenant
deux belles foulées d’avance, personne n’est à côté de lui, personne ne
regarde dans son sens, tout le monde semble même tourner les talons, l’air
gêné. Le mur, compact, semble impossible à traverser et l’espace manque pour
la galipette.
Pourtant, Hollande avait été des premiers à réclamer, lui-même, le vote du parlement
concernant une précédente guerre. L’embarras du passé pèse sur Pépère. Le
pied pris dans son histoire, son vol plané s’achève, tête la première, seul,
à devoir partir pour une guerre qu’il n’a pas vraiment déclarée, pour un type
qu’il ne connaît pas, dans une situation dont on ne voit pas comment il
pourrait tirer profit, ni lui, ni l’armée, ni la France.
De toute façon, peu importe : l’issue de la pirouette,
on la connaît déjà. Les os broyés, les ecchymoses et les foulures ne seront
pas pour l’éléphant. Et malgré une propagande médiatique assez unilatérale,
comme jadis pour le Oui européen, c’est le peuple, pourtant majoritairement
contre cette intervention, qui paiera la facture. C’est le peuple qui devra
s’enfiler la boulette. C’est lui (de ce côté-ci de la méditerranée ou de l’autre)
qui devra essuyer la bourde, les bévues et bavures.
On en regrette celles d’Arnaud.