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Voici en
vrac quelques impressions de Seattle, sans ordre particulier.
Seattle n’est pas
toute l’Amérique, et le panel d’auditeurs de la
conférence « preserving
the american dream »,
très orienté « conservateur &
libertarien », n’est certainement pas représentatif
de l’opinion publique américaine en général.
Bref, inutile de vouloir
tirer des conclusions trop générales de mon court séjour
à l’autre bout de l’hémisphère Nord. Juste
une palette de couleurs, comme ça, pour la route...
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Tea Parties --
Parmi les quelques sujets nationaux qui troublaient la quiétude de la
télé locale, très polarisée sur les
résultats de l’équipe locale de Base Ball et la
construction d’un pont pour desservir le campus Microsoft, figurait
l’audience croissante des « tea parties »,
rassemblement de gens dans toute l’union pour protester contre la
politique fiscale et budgétaire de la nouvelle administration.
Inspirées par la Tea Party de Boston de 1773, qui marqua le
début de la révolte des 13 colonies contre la couronne
britannique, ces manifestations réunissent des milliers des
milliers de personnes au cœur des villes qui expriment leur
inquiétude et leur ras-le-bol au cri de « Born Free, Taxed
to Death ». Elles sont en tout cas devenues suffisamment
importantes pour mobiliser une pleine
page de l’édition papier du WSJ.
Ces tea parties
sont minimisées par les chaines de télévision proches
des démocrates (CNN, MSNBC), qui n’hésitent pas à
décrire les participants de ces rencontres comme des
extrémistes quasi paranoïaques, ce qui ne les honore
guère, et sur-exposées par Fox News, qui tombe dans l'exagération
inverse en évoquant une ambiance pré-révolutionnaire.
Sauf à ce que Seattle soit hors de l’union, le moins qu’on
puisse dire est que l’ambiance y est tout à fait normale, pour
ne pas dire, de façon surprenante, cool. Pour la révolution, il
faudra repasser.
Ceci dit, selon
les organisateurs de l’ADC, jamais l’ambiance
générale n’avait été aussi pessimiste,
à la fois morose mais aussi remontée contre le gouvernement.
Celui-ci se retrouve coincé entre des recettes
fiscales en chute libre, qui affectent aussi les
gouvernements locaux, et ses annonces d’hyper-dépenses
qu’il fera financer si nécessaire par la création de
dollars ex-Nihilo par la Fed, ce qui ramènera tôt ou tard une
inflation à deux chiffres. Certains participants estimaient que ce
mouvement était déjà engagé. Trop tôt pour
le dire, mais le moins que l’on puisse dire est que tant à
Seattle qu’à Bellevue, sa proche et très chic banlieue,
les étiquettes sont… lourdes. Là encore, aucune
conclusion à tirer pour toute l’union.
Le consensus
général qui prévalait à la conférence
annuelle de l'ADC est que les Tea Parties allaient s’essouffler sans
que le gouvernement en ait tenu compte, mais qu’elles aller donner le
top départ d’une recrudescence de l’activisme
"anti-big government", qui était quelque peu en perte de
vitesse il y a peu. Bref, entre 2012 et 2020, on peut espérer une
nouvelle période de sursaut libéral des USA, comparable aux
années Reagan.
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Looking for the
next Reagan --
Reste à savoir qui portera le flambeau de cette nouvelle
« révolution ». Ron Paul étant
désormais trop vieux, les regards se tournent vers le gouverneur de
Caroline du Nord, Mark Sanford, qui semble actuellement le mieux placé
pour incarner un retour du parti républicain à des valeurs plus
proches de la constitution des USA. Son seul problème, s’il en a
l’intention, sera de convaincre les républicains
dégoutés de l’évolution de leur propre parti
qu’il n’est pas qu’un politicien de plus. Pas gagné.
Un autre
prétendant à la refondation du parti républicain a sans
doute fait un faux pas qu’il aura du mal à rattraper, en
prononçant, dans une interview impromptue, le mot interdit, le
« S. Word ».
Sécession. Tim Perry,
gouverneur du Texas, un des seuls avec Sanford à avoir refusé
l’argent du Stimulus Package fédéral, a rappelé
que le Texas pouvait faire sécession si d’aventure l’Union
s’enfonçait dans le chaos. Politiquement excessifs, ces propos
ne lui seront jamais pardonnés en dehors de l’état aux 6
drapeaux, même si il a tenté ensuite de se justifier en disant
qu’il avait juste voulu dire qu’il comprenait les texans qui
évoquaient la sécession parce qu’ils en avaient assez des
idioties de Washington. Ron Paul lui-même, élu du Texas, en a remis une couche,
estimant sur CNN que la sécession n’était certes pas une
option sérieuse aujourd’hui, mais que si Washington
écroulait le Dollar, ruinant des milliers d’épargnants,
alors oui, la question de la sécession pourrait se poser. Cela semble
parfaitement excessif même aux yeux de la plupart des libertariens et
conservateurs présents à la conférence ADC, pour
lesquels on est américain bien avant d’être Texan ou
Californien… Mais qui sait. En tout cas, un tabou vient de tomber.
Bon, m’est
avis que le futur Ronald Reagan surgira de nulle part à quelque mois
d’une prochaine élection, comme souvent aux USA où un
concours de circonstance peut propulser une figure locale peu connue au
premier plan en peu de temps.
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Mobility
rules -- Retour à Seattle. En dehors du
centre ville, très compact, plein de gratte ciels de toutes époques,
aux architectures souvent soignées, parfois sous-occupés (la
crise…), et du mini Centre de la banlieue chic de Bellevue, de
l’autre côté du lac Washington,
l’agglomération est essentiellement composée de quartiers
d’habitat individuel, parfois de petit collectif, dans un grand
maillage de rues perpendiculaires à l’américaine.
Certains lotissements fleurent bon la construction standardisée,
d’autres au contraire, semblent obliger chaque propriétaire
à construire une maison qui se distingue fortement de celle de son
voisin. Le plus surprenant, à Bellevue du moins, est la coexistence
harmonieuse de maisons de très haut standing avec des
« cabanes », il n’y a pas d’autre mot, de
petite taille construites en bois.
Un quartier de
Bellevue
Ceci dit, depuis
quelques années, comme en bien des endroits, Seattle et Bellevue ont
connu une inflation immobilière qui a chassé bien des
ménages vers des villes moins réputées comme Renton (le
fief de Boeing) ou Tacoma. De même, le développement
"champignon" de cités situées à plus de 25
miles de la frontière de l’agglomération, telles que
Snoqualmie (1600
habitants en 2000, 6300 en 2005, prévision de 14000 en 2014 !),
doit tout à la bulle immobilière, les villes lointaines jouant
le rôle de marché immobilier de secours pour familles
n’ayant plus les moyens de payer 614 000 dollars (au sommet de la
bulle) pour la maison « médiane » de
Bellevue, ou même 340 000 dollars pour la même à Renton.
Snoqualmie Ridge
Un tel
étoilement urbain rend la question des déplacements
particulièrement importante. Malgré le discours autophobe
ambiant (voir mon post précédent), et les délirants
programmes de transport collectif au rapport coût efficacité
pour le moins contestable (en termes de prix par passager x km), le programme
autoroutier du comté de King et des zones avoisinantes reste colossal.
Les échangeurs « à
l’américaine », tellement impressionnants en photo,
le sont encore plus en vrai. La métropole de Seattle souffre
malgré tout de congestion aux heures de pointe, car la densité
d’emplois à Downtown Seattle y est telle que trop de voitures
veulent s’y engouffrer au même moment. Là encore,
l’ADC, ou les gens du Washington Policy Center, un think tank
libertarien de l’état présent à la
conférence, estiment qu’un relâchement des
règlementations du sol autour de la ville permettrait aux emplois de
mieux se répartir entre Seattle Downtown et Bellevue, Redmond (le
siège de Microsoft), Renton, Tacoma, etc… Mais
évidemment, la ville de Seattle ne voit pas nécessairement
cette évolution d’un très bon œil.
Force est de constater
que les réflexions sur la mobilité urbaine sont bien plus
riches de point de vue divergents aux USA qu’en France, au moins y
a-t-il encore des gens pour défendre avec moult arguments parfaitement
rationnels la supériorité de l’automobile sur
l’hystérie pro
« transports-en-communiste » qui étouffe tout
débat sérieux sur la question chez nous. Quand bien même,
aujourd’hui, le rapport de force est défavorable aux pro-autos
et aux pro-dezoning, il existe une bonne base de chercheurs et de militants
activistes capables de faire progresser des idées différentes
en la matière, base qui manque cruellement chez nous, où des
travaux de personnalités comme les professeurs Prud’homme ou
Fritsch restent hélas confidentiels.
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Mortgage crisis -- La crise est
surtout visible à travers les pancartes « for
sale » ou sur les avis de « foreclosure »
sur les façades de certaines maisons. Si Bellevue semblait
relativement épargnée par le phénomène,
d’autres quartiers, comme Mercer Island, paraissaient plus
touchés. Ceci dit, il y a beaucoup moins de SDF visibles dans le
centre de Seattle que dans celui de Paris. Ce qui ne veut rien dire,
d’ailleurs, vu que je n’ai aucune idée des critères
du choix de « résidence » des SDF à
Seattle : ils sont peut être ailleurs. A moins que la police ne
les évacue vers des quartiers moins touristiques, comme cela se
pratique hélas dans certaines villes du sud de la France. je n'en sais
à vrai dire rien.
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I definitely love
Seattle ! -- Autant le dire tout de suite, zoning ou pas, I love Seattle !
L’agglomération est construite au cœur d’un Fjord
à la suédoise, entouré de montagnes de type jeunes, avec
en point d’orgue le spectaculaire Mount Rainier, volcan endormi et
enneigé dont la silhouette imposante semble sortie de nulle
part… Impossible à bien prendre en photo avec un appareil
standard, tant la luminosité y est particulière.
L’habitat à l’américaine, avec ses maisons de bois
de toutes les couleurs, se marie particulièrement bien à ce
type de paysage. C’est tout simplement beau, en toute
subjectivité.
Mount Rainier
Et, pour moi qui
suis généralement rétif à toute forme
d’architecture moderne, je dois avouer que le centre de Seattle, avec
ses gratte-ciel hyper soignés au niveau du détail, de toutes
époques, « en jette ».
Seattle Downtown
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Food -- Seattle est une
ville cosmopolite, avec notamment une présence asiatique importante.
Cela se traduit par un foisonnement de restaurants de tous les pays, et par
l’éclosion d’une « international
cooking » qui ne ressemble plus à grand-chose, diront ses
détracteurs, ou au contraire recrée un nouveau courant
culinaire, si on n’est pas trop difficile. Disons que sauf à
consacrer des sommes astronomiques à la nourriture, manger à
Seattle n’est pas le meilleur moment de la journée…
Sauf si vous dégottez des pinces de crabe royal géantes
pour pas cher, ici, dans l'assiette, la mer est reine.
Ah, le Roll-Sushi
Mayonnaise aux oeufs de lump...
Sinon, les steaks
sont en général hors de prix (mais copieux) et le vin aussi. Et
le café... Demander impérativement un expresso !
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Drive -- L’on dit
souvent que les américains respectent scrupuleusement les limitations
de vitesse. C’est faux. Comme chez nous, ils observent couramment une
marge de sécurité de +/- 10 mph par rapport à la vitesse
autorisée. Mais celles-ci sont tellement basses… Cela rend la
conduite très reposante, très calme, surtout que personne ne
vous klaxonne si vous êtes encore plus lent que la limite. Mais je me
demande comment ne pas s’endormir sur un parcours long.
Ce
conditionnement à conduire le pied léger permet aux urbanistes
de dessiner des rues très larges sans que le danger perçu y
soit important, alors qu’en France, le courant dominant ne
conçoit la réduction des vitesses que par la réduction
du nombre de voies et des largeurs roulables, ce qui est certes efficace pour
ralentir les automobiles, mais aussi pénalisant en terme
d’écoulement du trafic.
De même,
les américains respectent scrupuleusement la dernière voie des
autoroutes (à partir de trois voies) lorsque celle-ci est
réservée aux voitures avec au moins deux passagers et aux cars.
On n’imagine pas un tel respect spontané de mesures similaires
dans l’hexagone…
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Bon, c'est tout
pour le dépliant touristique, je reviendrai plus tard avec des choses
plus sérieuses. Un peu fainéant, moi, en retour de voyage...
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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