Il y a quelques jours, une directrice de Bank of America (BoA) a pris parti
contre l’ « Amendement numéro Un »,
une proposition soumise à referendum le 8 mai prochain en Caroline du
Nord et visant l’interdiction constitutionnelle, dans cet État,
du marriage entre personnes de meme sexe.
D’après elle, le passage de cette mesure
« nuirait gravement à notre capacité à attirer
l’emploi et la croissance sur le plan national, » rapporte
l’agence Reuters, et l’effet en serait « désastreux, »
rendant la Caroline du Nord (où se trouve le siège social de
BoA) moins apte à attirer et conserver les employés les plus
talentueux, ainsi que les meilleurs entrepreneurs et les entreprises les plus
performantes.
Certes, cette position défendue dans une video
publiée sur l’internet par une association faisant campagne pour
le « non » l’était à titre purement
privé. Ceci étant, Bank
of America est réputée pour son soutien à la
communauté homosexuelle. Cette banque fut ainsi l’une des
premières à inclure les « conjoints » de
même sexe dans les assurances qu’elle offre à ses
employés. Son plan santé couvre même les soins
nécessaires aux transexuel(le)s.
De plus, cette directrice n’est pas la seule, ni la
plus haute figure du secteur bancaire à s’être
prononcée de la sorte. En février, rien moins que le P.D.G de
Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, se prononçait ainsi en faveur du
mariage gay.
En cette période de campagnes en tous sens (campagnes
présidentielles de part et d’autre de l’Atlantique, toutes
deux occasion d’une véritable propagande électorale et
médiatique contre « le monde de l’argent »,
la « jungle capitaliste », etc.), il semble ainsi
particulièrement important de souligner le rôle essentiel du
capitalisme dans le progrès des libertés civiles en termes
d’égalité de droit entre les membres de la
société.
Karl Marx était le premier à clamer que la
Révolution Française, mettant à bas « ordres » et
privilèges caractéristiques de l’Ancien Régime et
recomposant la société en un ensemble de citoyens égaux
en droit, était l’œuvre d’une bourgeoisie naissante,
et un épiphénomène du passage de l’exploitation
féodale à l’atelier et au commerce des produits de
manufacture.
Constatant les effets de ce changement social dans
l’Amérique d’alors, Tocqueville en conclua que le
capitalisme devait s’accompagner d’une égalisation des
conditions.
Les raisons en sont multiples. D’une part, le
capitalisme est par essence, dans sa logique même, démocratique.
La « concurrence » que l’on décrie si fort
implique ainsi que les positions se répartissent au mérite (ou
plus exactement « à la réussite ») entre
des individus de même statut. De même, l’échange
marchand implique effectivement que l’un ne s’intéresse
qu’aux capacités et au pouvoir d’achat de l’autre —
et non à son origine ethnique, sa religion, ou son orientation
sexuelle. Mais, de ce fait, il inscrit sur
un même plan les différences entre les membres de la
société.
Plus généralement, le capitalisme est un
système de production de masse, par les masses, et pour les masses.
Pour cette raison, il favorise toujours l’intégration du plus
grand nombre. Toute discrimination implique un coût, est donc
non-économique et absurde pour qui cherche à maximiser son
profit. C’est d’ailleurs pourquoi elle s’exerce
principalement par l’intervention politique, celle-ci permettant
à certains groupes d’imposer leurs valeurs sans en payer le
prix.
Aux États-Unis, c’est
dès 1918, soit à peu près 40 ans avant le civil right movement, que deux
compagnies ferroviaires, la South Covington and Cincinnati
Street Railroads et la Covington and Erlanger Railway
Company, en appelèrent à la Cour Suprême de leur
État du Sud contre la loi qui les obligeait à mettre en place
des wagons distincts pour les noirs et les blancs.
On dira qu’elles
s’intéressaient à leurs seuls profits, et non à la
justice sociale- et l’on aura raison. Pour elles, instituer une telle
ségrégation entraînait des dépenses importantes,
sans le moindre bénéfice, et elles ne s’y plièrent
que parce qu’elles y furent obligées. Certains de leurs clients
en furent certainement et tristement heureux, mais ceux-ci n’auraient
jamais demandé un tel service, s’ils avaient dû financer
eux-mêmes leur racisme. Dans le cas des bus de ville, la cause aurait
été encore plus vite entendue : leurs clients
étaient principalement Afro-Américains.
Mais cela montre
précisément que le capitalisme, en tant que système,
favorise le progrès des libertés civiles, et cela
indépendamment des préjugés des acteurs.
D’autre part,
le capitalisme est démocratique dans ses effets. Le plus
général est la « moyennisation » de la
société. Bien que l’on répète sans cesse
que l’écart se creuse entre riches et pauvres, la
vérité est que le développement économique s’accompagne
de la constitution d’une vaste classe moyenne englobant
l’essentiel de la population. Or rien ne rend les
inégalités de droit plus anachroniques à leurs yeux que
le partage grandissant d’un niveau et de modes de vie communs entre les
membres de la société.
Certainement, le
capitalisme s’accompagne également d’une individualisation
croissante. Mais, de ce fait, il dissipe précisément ces
identités collectives hierarchisées qui structurent les
sociétés traditionnalistes et inégalitaires.
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