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Dans la
sphère économique, un acte, une habitude, une institution,
une loi n'engendrent pas seulement un effet, mais
une série d'effets. De ces effets, le premier seul est
immédiat; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le
voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit
pas; heureux si on les prévoit.
Entre un mauvais et
un bon Économiste, voici toute la différence: l'un s'en tient
à l'effet visible; l'autre tient compte et de l'effet qu'on voit et
de ceux qu'il faut prévoir.
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Voici comment débute ce texte de l'économiste et journaliste
libéral français Frédéric Bastiat sur les effets
superficiellement positifs à court terme, mais profondément
néfastes à plus long terme, des interventions de l'État.
Même s'il a été écrit il y a exactement 150 ans,
ce long article garde toute sa fraîcheur et sa pertinence et
décrit exactement la nature du débat telle qu'on le vit encore
aujourd'hui.
Bastiat y passe en
revue les arguments fallacieux des illettrés économiques
– les mêmes qu'on entend encore constamment – pour
justifier que l'État se mêle de favoriser le crédit,
créer des emplois, empêcher la prolifération des
machines, restreigne l'épargne, ou subventionne les arts. Douze
domaines d'intervention sont analysés et chaque fois, Bastiat montre
que les interventionnistes nous font toujours miroiter ce qu'on voit,
mais omettent de considérer ce qu'on ne voit pas.
L'extrait qui suit
parle de la « création » d'emplois par
l'État et du « profit national » à
augmenter l'armée. Ceux qui voudraient lire le reste de cet article ou
d'autres écrits du même auteur peuvent se rendre sur la
page Frédéric
Bastiat, où l'on trouve quelques textes de ce phare du
libéralisme au 19e siècle.
M.M
II. Le
Licenciement
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Frédéric
Bastiat
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Il en est d'un peuple comme d'un homme. Quand il veut se donner une
satisfaction, c'est à lui de voir si elle vaut ce qu'elle coûte.
Pour une nation, la Sécurité est le plus grand des biens. Si,
pour l'acquérir, il faut mettre sur pied cent mille hommes et
dépenser cent millions, je n'ai rien à dire. C'est une
jouissance achetée au prix d'un sacrifice.
Qu'on ne se
méprenne donc pas sur la portée de ma thèse.
Un représentant
propose de licencier cent mille hommes pour soulager les contribuables de
cent millions.
Si on se borne à lui
répondre: « Ces cent mille hommes et cent millions sont
indispensables à la sécurité nationale: c'est un
sacrifice; mais, sans ce sacrifice, la France serait déchirée
par les factions ou envahie par l'étranger. » – Je
n'ai rien à opposer ici à cet argument, qui peut être
vrai ou faux en fait, mais qui ne renferme pas théoriquement
d'hérésie économique. L'hérésie commence
quand on veut représenter le sacrifice lui-même comme un
avantage, parce qu'il profite à quelqu'un.
Or, je suis bien
trompé, ou l'auteur de la proposition ne sera pas plus tôt
descendu de la tribune qu'un orateur s'y précipitera pour dire:
« Licencier cent mille hommes! y pensez-vous? Que vont-ils devenir? de
quoi vivront-ils? sera-ce de travail? mais ne savez-vous pas que le travail
manque partout? que toutes les carrières sont encombrées?
Voulez-vous les jeter sur la place pour y augmenter la concurrence et peser
sur le taux des salaires? Au moment où il est si difficile de gagner
sa pauvre vie, n'est-il pas heureux que l'État donne du pain à
cent mille individus? Considérez, de plus, que l'armée consomme
du vin, des vêtements, des armes, qu'elle répand ainsi l'activité
dans les fabriques, dans les villes de garnison, et qu'elle est, en
définitive, la Providence de ses innombrables fournisseurs. Ne
frémissez-vous pas à l'idée d'anéantir cet
immense mouvement industriel? »
Ce discours, on le voit, conclut au maintien des cent mille soldats,
abstraction faite des nécessités du service, et par des
considérations économiques. Ce sont ces considérations
seules que j'ai à réfuter.
Cent mille hommes,
coûtant aux contribuables cent millions, vivent et font vivre leurs
fournisseurs autant que cent millions peuvent s'étendre: c'est ce qu'on voit.
Mais cent millions,
sortis de la poche des contribuables, cessent de faire vivre ces
contribuables et leurs fournisseurs, autant que cent millions peuvent
s'étendre: c'est ce
qu'on ne voit pas. Calculez, chiffrez, et dites-moi où est le
profit pour la masse?
Quant
à moi, je vous dirai où est la perte, et, pour simplifier, au lieu de
parler de cent mille hommes et de cent millions, raisonnons sur un homme et
mille francs.
Nous voici dans le village de A. Les recruteurs font la tournée et y
enlèvent un homme. Les percepteurs font leur tournée aussi et y
enlèvent mille francs. L'homme et la somme sont transportés
à Metz, l'une destinée à faire vivre l'autre, pendant un
an, sans rien faire. Si vous ne regardez que Metz, oh! vous avez cent fois
raison, la mesure est très avantageuse; mais si vos yeux se portent
sur le village de A, vous jugerez autrement, car, à moins d'être
aveugle, vous verrez que ce village a perdu un travailleur et les mille
francs qui rémunéraient son travail, et l'activité que,
par la dépense de ces mille francs, il répandait autour de lui.
Au premier coup d'oeil, il semble qu'il y ait
compensation. Le phénomène qui se passait au village se passe
à Metz, et voilà tout.
Mais voici où est la perte. Au village, un homme bêchait et
labourait: c'était un travailleur; à Metz, il fait des tête droite et des tête gauche: c'est un
soldat. L'argent et la circulation sont les mêmes dans les deux cas; mais,
dans l'un, il y avait trois cents journées de travail productif; dans
l'autre, il a trois cents journées de travail improductif, toujours
dans la supposition qu'une partie de l'armée n'est pas indispensable
à la sécurité publique.
Maintenant, vienne le licenciement. Vous me signalez un surcroît de
cent mille travailleurs, la concurrence stimulée et la pression
qu'elle exerce sur le taux des salaires. C'est ce vous voyez.
Mais voici ce que vous ne voyez pas. Vous ne voyez pas que renvoyer cent
mille soldats, ce n'est pas anéantir cent millions, c'est les remettre
aux contribuables. Vous ne voyez pas que jeter ainsi cent mille travailleurs
sur le marché, c'est y jeter, du même coup, les cent millions
destinés à payer leur travail; que, par conséquent, la
même mesure qui augmente l'offre des bras en augmente aussi lademande; d'où il
suit que votre baisse des salaires est illusoire. Vous ne voyez pas qu'avant,
comme après le licenciement, il y a dans le pays cent millions
correspondant à cent mille hommes; que toute la différence
consiste en ceci: avant, le pays livre les cent millions aux cent mille
hommes pour ne rien faire; après, il les leur livre pour travailler.
Vous ne voyez pas, enfin, que lorsqu'un contribuable donne son argent, soit
à un soldat en échange de rien, soit à un travailleur en
échange de quelque chose, toutes les conséquences
ultérieures de la circulation de cet argent sont les mêmes dans
les deux cas; seulement, dans le second cas, le contribuable reçoit
quelque chose, dans le premier, il ne reçoit rien. –
Résultat: une perte sèche pour la nation.
Le sophisme que je combats ici ne résiste pas à
l'épreuve de la progression, qui est la pierre de touche des
principes. Si, tout compensé, tous intérêts examinés,
il y a profit national à augmenter l'armée, pourquoi ne pas
enrôler sous les drapeaux toute la population virile du pays?
Article
originellement publié par le Québéquois
Libre ici
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