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Au
petit jeu de qui a gagné et qui a perdu, que penser en fin de compte
du dernier Conseil Européen ? Les commentaires vont dans tous les sens
: les uns mettent en avant la reculade du gouvernement allemand, qui
rétorque pour sa part que l’essentiel de sa position a
été préservé, les autres félicitent Mario
Monti pour son habilité manœuvrière, tandis que les
Français clament que l’Europe est le seul vainqueur, jouant la
magnanimité du vainqueur et accréditant l’idée que
les Allemands ont cédé. Tout le monde tire la couverture
à son avantage, comment s’y retrouver ?
1.
Si du mou est donné, la stratégie de base reste
inchangée, symbolisée par un traité de discipline
budgétaire dont elle est le socle. François Hollande a
annoncé en proposer la ratification au parlement en levant ses
réserves. Priorité est toujours donnée au
désendettement des États, rien de ce côté
n’a changé. Parallèlement, et pour si possible profiter
du mou, une file d’attente est déjà constituée,
composée des Espagnols et des Italiens, mais aussi des Grecs, des
Irlandais et des Portugais. Il y a du monde et du pain sur la planche ! La
question va être d’éviter que la brèche qui a été
ouverte ne s’élargisse trop, avec comme sanction que les fonds
du FESF et du MES ne seront plus suffisants. On travaille à un
mécanisme assurantiel destiné à les accroître,
à titre de précaution.
2.
Après le retour à la vertu budgétaire, la protection des
générations à venir et la relance de la croissance, une
nouvelle opération de diversion a été lancée,
à l’abri de laquelle le désendettement va se poursuivre
à un rythme qui doit encore être précisé. La
construction incomplète de l’Europe serait à l’origine
de la crise et il faut y remédier. L’union est en quatre volets,
le maître-mot de cette avancée dont la mise au point est loin
d’être achevée, au vu des désaccords qui
persistent, sur lesquels les ministres de l’Eurogroupe
vont commencer à se pencher le 9 juillet prochain. Le chaud et le
froid vont souffler sur les marchés, ce qui a
déjà commencé. Tout l’enjeu est de ne pas
s’engager sur une voie nécessitant l’emploi de la
procédure lourde d’une révision des traités et
d’impliquer le minimum de ratification démocratique. Il est peu
vraisemblable à ce propos que la voie référendaire sera
privilégiée…
3.
Du temps est donné au désendettement, grâce à des
dispositifs de refinancement qui, pour l’essentiel, reposent sur les
États et la BCE, dont ils sont les actionnaires. Avec
l’idée qu’il suffira de rallonger le calendrier pour que
finalement tout rentre dans l’ordre, et sans s’appesantir sur les
délais. Mais est-ce si sûr ?
Le
nouveau dispositif élude une question dérangeante et
soigneusement mise de côté : le système financier peut-il
être réparé et à quel prix ? Or, ce que l’on
observe de ce côté-là a de quoi faire
réfléchir. Tous les signes d’une crise de défiance
qui se diffuse au lieu de se résorber sont visibles, un comble dans un
monde qui se réclame de la confiance et qui n’a de cesse de
vouloir en créer les conditions quand elle faiblit. A contempler la
scène du crime, ces dernières ne sont pourtant pas au
rendez-vous.
Voyons
un peu. Les banques européennes continuent à ne plus se faire
confiance entre elles, avec pour conséquence un marché
interbancaire marchant dans les bons jours sur trois pattes, la
quatrième étant la BCE. Les fonds monétaires
américains ne leur font pas non plus confiance, diminuant à
l’occasion leur exposition en dollar et la BCE se substituant à
eux pour fournir aux banques des dollars grâce à des accords de
swap avec la Fed. Le marché ne fonctionne plus comme il faudrait.
Les
mêmes banques n’ont pas davantage confiance dans le remboursement
de leurs créances sur les États, échaudées par la
restructuration de la dette grecque et se demandant s’il va être
possible de s’en tenir à cette unique opération. Les
incertitudes nouvelles du marché obligataire fragilisent à
court terme ce point d’appui financier de toujours et créent
à son sujet une grande incertitude pour le plus long terme, y compris
s’agissant des valeurs refuge d’aujourd’hui,
américaine, japonaise, britannique et allemande. Les investisseurs
rendent bien la pareille aux banques, qui ont fait dégringoler comme
jamais vu leur capitalisation boursière, exprimant pour le moins une
forte défiance à leur égard.
Enfin,
deux récents épisodes ont fait tilt. Les pertes de J.P. Morgan
Chase, non pas parce que la banque s’est coincé les doigts dans la
porte, mais en raison de son incapacité à mesurer le risque, un
savoir-faire qu’elle avait soi-disant porté à
l’excellence. Or, une bonne appréciation du risque est à
la source de la confiance. Si la première se révèle trop
complexe, la seconde disparait. C’est aussi ce qui explique que les
banques se méfient les unes des autres, connaissant les artifices
qu’elles utilisent pour se présenter sous un jour avenant,
perturbant et rendant impossible l’analyse du risque de leurs
contreparties.
Les
manipulations du Libor, de l’Euribor et du
Tibor ont ensuite sonné comme une nouvelle alarme encore plus
stridente. Si ces indices qui sont à la base de très nombreuses
transactions financières ne sont plus fiables, comment leur redonner
une crédibilité perdue pour que le système se remette
à fonctionner correctement ? « Je n’ai pas souvenir
d’une tromperie d’une telle envergure » a
déclaré Andrew Tyrie, le
président de la commission du Trésor britannique qui va
entendre Bob Diamond, le directeur
général de Barclays. La City est en émoi tandis que
l’enquête suit son cours de par le monde.
On
n’en finirait pas d’énumérer les symptômes, y
compris en pénétrant profond dans les arcanes du système
financier, par exemple en évoquant les problèmes de
pénurie ou de qualité du collatéral apporté en
garantie de leurs emprunts par les intervenants. Celui-ci est devenu un champ
de mines et le risque systémique sa seconde nature. Les
engagements et expositions réciproques des uns et des autres reposent
sur une confiance précaire, continuant de menacer
l’équilibre de l’ensemble d’une manière plus
ou moins souterraine. À cela, une raison de fond : la montagne de
dettes de toute nature repose, pour qu’elles puissent être honorées,
sur les résultats d’une croissance trop faible – pour autant
que celle-ci veuille bien se manifester. Il se confirme que le système
financier est son pire ennemi, constituant le moteur-même de sa propre
crise.
Les
autorités européennes ont adopté une conduite de
banquier : elles allongent la durée des plans de remboursement pour ne
pas devoir constater les pertes. Mais vient le jour où cela cesse
d’être possible vu l’état actuel du système
financier. Si cela devait intervenir, ce serait alors à son
échelle un grand saut dans l’inconnu, mettant ses
défenseurs acharnés à égalité avec ceux
qui estiment qu’il a fait son temps, mais qui n’ont pas pour
autant de solution de rechange sur étagère.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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