Le
bras de fer engagé à propos de la restructuration de la dette
publique grecque se poursuit, après trois semaines de marathon. En
discussion, le taux auxquel seraient assujettis les
titres émis en remplacement des obligations actuelles,
destinées à subir une décote de 50 %, ainsi que le
volume présenté volontairement à
l’échange de ces dernières. De la combinaison de ces deux
paramètres résulteront des pertes données pour les
créanciers qui y participeront et une réduction
déterminée de la dette publique.
Sont
en lice le gouvernement grec et l’Institute of International Finance
(IIF), lequel représente les créanciers présents dans la
négociation. Mais un troisième larron est intervenu,
s’octroyant le statut d’observateur, qui est avec le gouvernement
allemand à l’origine des rebondissements actuels. Le FMI a
considéré insuffisante la réduction de la dette grecque,
au vu des taux proposées par l’IIF pour les nouveaux titres, car
ils aboutissent selon lui à mettre en cause la viabilité du
nouveau plan de sauvetage dans son ensemble – restructuration de
la dette et prêts – empêchant le fonds d’y participer
en raison de ses contraintes réglementaires.
L’IIF
ayant déclaré être au taquet de ses concessions, le FMI
maintenant que l’adoption de taux plus faibles est indispensable, les
négociations ont bloqué ce week-end et d’autres solutions
sont activement recherchées. Dès lundi, les ministres des
finances de la zone euro ont déterminé une nouvelle date butoir
pour celles-ci : le 3 février prochain. Ce mercredi, les
créanciers devaient se réunir à Paris sous les auspices
de l’IIF, et il est prévu demain à Athènes la
reprise des négociations.
Tout
le monde se tient par la barbichette dans cette affaire, rendant
l’exercice scabreux. Dans un premier temps, il a été
envisagé de demander à l’Union européenne
d’augmenter le montant de son prêt de 130 milliards d’euros
pour compenser la réduction moindre de la dette, solution qui a
été immédiatement rejetée par les
impétrants. Les regards se sont également tournés vers
la BCE, qui détient avec l’Eurosystème
environ 45 milliards d’euros de titres grecs, à qui il a
été proposé de s’associer à
l’opération afin que le niveau de réduction de dette
réclamé par le FMI soit atteint (120 % du PIB à
l’horizon 2020). Permettant d’augmenter le nombre des anciens
titres échangés pour ne pas diminuer le taux des nouveaux et
satisfaire l’IIF.
Mercredi,
Christine Lagarde est intervenue au nom du FMI pour proposer que les
créanciers publics s’associent aux privés, afin que le
compte y soit, désignant implicitement la BCE. Depuis le début,
cette dernière est clairement opposée à toute
implication de sa part dans l’opération, au prétexte que
cela reviendrait à financer les États, ce qui lui est interdit
comme on ne l’ignore pas. Elle a toutefois recherché en interne
ces derniers temps des biais possibles pour y contribuer, sans
résultat connu.
Si
elle se joignait au club, la BCE devrait supporter une perte d’environ
20 milliards d’euros, qu’elle partagerait avec les 17 banques
centrales nationales de l’Eurosystème.
Ce qui ne serait pas insurmontable, puisqu’elle pourrait
rééquilibrer son bilan en créant de la monnaie, ou en se
retournant vers ses actionnaires, les BCN donc les États
européens, pour être recapitalisée comme elle l’a
déjà fait en décembre 2010.
Sa
crainte est ailleurs. Elle réside dans le danger d’être
associée à un tel précédent. Jean-Claude Trichet
avait tenté de s’opposer au principe même d’une
restructuration, faisant valoir que cela déclencherait une
réaction virulente inévitable des marchés. Les
faits ne lui ont d’ailleurs pas donné tort, de ce point de vue.
Réputée sans risques, la dette souveraine doit sans exception
le demeurer aux yeux des investisseurs qui ne supportent pas qu’il
puisse en être autrement. Ils ont besoin de points d’appuis pour
construire leurs pyramides et ne se contrôlent plus lorsque ceux-ci
leur font défaut.
Mais
le mal étant fait, il est désormais redouté que
d’autres pays demandent à leur tour à
bénéficier de la même faveur. Une
éventualité à laquelle BNP Paribas a voulu porter
dès le départ un coup d’arrêt définitif en
clamant que la restructuration grecque était un cas unique, qui ne
serait en aucun cas renouvelé. Mais pourquoi l’Irlande et le
Portugal, mais aussi l’Espagne et l’Italie, ne
bénéficieraient-elles pas demain de ce que la Grèce a
obtenu, si leur situation devenait à son tour aussi dramatique ? Pour
le coup, une telle demande exhaussée ferait sauter la banque (le
système bancaire), et il n’est pas exclu qu’elle se
présente… La BCE voudrait donc tourner au plus tôt la page
pour ne plus y revenir.
Il
existerait bien une solution qui permettrait de contraindre tous les
créanciers à participer à l’échange afin
d’en finir, mais elle est à double tranchant. Non pas tellement
parce qu’elle déclencherait l’activation des CDS –
un “événement de crédit” constaté,
étant donné les volumes limités qui semblent avoir
été émis – mais parce que la mise en place
d’une clause d’action collective serait également
contraignante pour la BCE. On tourne en rond.
Dans
l’immédiat, il va falloir ruser pour aboutir à un accord.
Trouver des montages financiers plus ou moins rocambolesques et inventer des
contreparties qui ne se refusent pas. Personne ne recherche
l’échec, mais ce n’est jamais une garantie de
succès. Il faut savoir terminer une restructuration…
Si
la Grèce est un laboratoire, c’est aussi parce qu’elle
permet d’expérimenter en grandeur réelle une
première restructuration de dette. Ce qui n’est de toute
évidence pas une réussite, étant donné
l’écheveau de contradictions d’intérêt. Il
n’y a pourtant que deux issues possibles. Soit de tenter d’ouvrir
une voie, comme Mario Monti s’y essaye, qui supposera de trouver un
relais avec la BCE et le FMI, soit de se résoudre à poursuivre
les restructurations de dette, ce qui ne sera pas sans lourdes
conséquences pour les banques européennes.
“Les
contours d’une possible voie de sortie de la grave crise qui a
touché l’Europe commencent à prendre forme”, a
déclaré le président du conseil italien. A condition de
ne pas être rattrapé par la dynamique de la crise qui ne lui
laissera pas nécessairement le temps de l’emprunter.
Dans
l’immédiat, c’est en Espagne que les signes de craquement
se multiplient, le gouvernement incapable d’atteindre ses objectifs de
réduction du déficit alors que le dossier des banques devient
prioritaire pour n’avoir été qu’effleuré. Il
se confirme par ailleurs au Royaume-Uni, où la récession est de
retour et la dette continue d’enfler, que le plan Cameron est un
échec amenant la Banque d’Angleterre à annoncer de
nouveaux rachats massifs d’actifs obligataires.
Billet rédigé par
François Leclec
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