Comme Cécile Duflot a fait parler d’elle cette
semaine, Arnaud Montebourg ne pouvait pas rester sans rien faire. En plus,
l’actualité, notamment économique, est propice à ses petits bonds de félin
politique dodu. Le remuant Ministre du Dressement Reproductif a donc décidé
de s’exprimer sur la réindustrialisation française
et de s’improviser commercial pour produits informatiques…
Comme d’habitude, tout part d’une idée confuse enduite de bons sentiments
mal canalisés, traduits de façon approximative et brouillonne dans une
réalisation à l’utilité douteuse et dont la facture finale, adressée au
contribuable, ne sera pas perdue pour tout le monde. Ici, comme nous parlons
désindustrialisation, nous pensons tout de suite à des milliers d’individus
qui s’en vont, des centaines d’entreprises qui ferment, des dizaines de
patrons qui délocalisent, des emplois qui disparaissent ici et apparaissent
en Chine, au Brésil ou en République Tchèque. On pense aussi charges sociales
consternantes, impôts massacreurs, climat des affaires démoralisant, antienne
politique du riche forcément coupable.
Immédiatement, Arnaud Montebourg pense, lui, qu’avec un peu de publicité
et de communication gouvernementale, une dépense somptuaire et quelques
petits fours habilement propulsés dans de tendres gosiers, toute cette
affaire sera bien vite oubliée, que la réindustrialisation
va s’installer grâce à lui et qu’il pourra en retirer un bénéfice politique
évident.
Bien sûr, il comprend, même si c’est encore un peu obscur pour lui,
que l’actuel mouvement de rapatriement des emplois et des industries en
France provient surtout et avant toute autre chose de l’augmentation
constante du niveau de vie des pays émergents, et, par voie de conséquence,
du renchérissement des salaires sur place ; si l’on prend en compte les frais
de transports et les myriades de petits coûts divers et variés qu’une
production déportée entraîne, le différentiel avec la France devient alors
moins fort. Devant ce constat, naissant, il lui semblait donc urgent de
s’agiter, sans comprendre au passage que cette relocalisation passait aussi
souvent par une « robotcalisation
»
: il devient de plus en plus rentable d’investir dans une robotisation ici
que dans de la main-d’œuvre humaine là-bas. En termes d’emplois, évidemment,
ça ne fait pas tout à fait l’affaire du frétillant ministre, mais c’est sans
importance puisque ce genre de tendances de fond lui est totalement
imperméable.
Moyennant
quoi et avec la logique impeccable qui l’anime, puisque l’Etat n’y est pour
rien et que tout se déroule manifestement sans son aide (ou, devrait-on dire,
malgré son « aide »), que le phénomène est « prometteur et
en cours d’augmentation », il devient indispensable, impératif,
impérieux, absolument nécessaire « d’appuyer sur l’accélérateur ».
Ce qui se traduit (bien malheureusement) par des actions parfaitement
concrètes du ministre.
D’une part,
et parce que l’action publique ne peut se satisfaire de gestes forts sans
claquer un paquet mémorable de pognon, 50 millions d’euros (qui étaient jusqu’à
présent brûlés dans une autre connerie étatique inefficace) seront à présent
gaspillés dans les tentatives de relocalisation adoubées par l’État. Comme
cette somme (représentant tout de même 2000 années de SMIC chargé) ne permet
pas de faire suffisamment mousser le ministre, il est aussi question
d’utiliser de façon « plus offensive » l’enveloppe de 160
millions annuels prévue pour la relocalisation. Par « plus
offensif » vous pourrez comprendre ce que vous voulez, et vous pouvez
intégrer du champagne, des petits fours, des dames accortes, des réceptions
festives et de volumineux rapports sans intérêt : c’est vous qui payez, après
tout. Enfin, toujours sur le plan Robinet À Pognon d’Une République Qui A De
l’Argent Plein Ses Caisses, la Banque publique d’investissement (BPI) sera
aussi censée jouer un rôle « d’accélérateur » de
financement. Les sprinklers à billets seront ouverts en grand.
Tout va
bien : business as usual.
Mais bon,
comme le souligne l’article du Monde, toutes ces dépenses,
tous ces petits arroseurs industriels d’argent des autres ouverts à plein
régime, tout ça reste un peu théorique pour les entreprises confrontées aux
petites billevesées bureaucratiques douillettement lancées dans leurs pattes
par l’administration française, jamais en retard d’une plaisanterie. Toutes
ces PME n’ont pas toujours les moyens de s’offrir les services de consultants
et de juristes pour épouser les positions fiscales et légales que l’Etat leur
impose tendrement pour leur plus grand bien (et à coup de pelle dans la nuque
s’il le faut).
Et donc, d’autre part, Arnaud Montebourg a décidé de
déclencher un plan Informatique Pour Tous
heu Relocalisation Pour Les Nuls hmh disons la mise en route d’un logiciel sur le web avec
des pages qui demandent des choses, des paramètres, ici et là, et quand tu
cliques tu sais si ton entreprise va carafer
doit relocaliser ou pas en France. En substance, l’idée lumineuse serait un
logiciel d’aide à la décision, appelé Colbert 2.0 parce qu’à Bercy, on sait
être à la fois historique (Colbert) et trendy
(2.0). Cette prouesse technologique se baserait sur ceux développés en Suède
et aux États-Unis par Barack Obama (informaticien hors pair, surtout dans le oueb 2.0), dans le cadre de
sa politique de relocalisation qui marche du feu de Dieu (notamment pour les données privées).
Normalement, il est prévu que ce logiciel, développé par
El Mouhoub Mouhoud et
Xavier Ragot à la demande du ministre, sera accessible au plus tard le 9
juillet. Il offre un « auto-diagnostic »
qui permettra à un chef d’entreprise de faire une simulation pour évaluer les
avantages (seulement les avantages ?) dont il pourrait bénéficier en
produisant en France. C’est trop de la balle. Nul doute qu’on trouvera, dans
les jours qui suivront sa mise en ligne, de fins analystes pour évaluer la
pertinence du dit logiciel, mais avant même de regarder ce qu’il vaut, force
est de constater que ses papas pardon
parents-2 ont un brillant palmarès.
Ainsi, El Mouhoub Mouhoud est professeur d’économie, et a officié au sein
de Terra Nova comme en atteste sa biographie. Terra Nova, think tank progressiste et parfaitement socialiste qui
aura fourni un havre de paix aux croustillantes notes pondues par des
sommités comme, en mars 2009, celle sur la gouvernance de campagne de Barack
Obama (on n’en sort pas) écrite par nul autre que … Arnaud Montebourg.
Ainsi, Xavier Ragot, professeur associé d’économie à
l’École d’économie de Paris, consultant auprès de la Banque de France, est aussi
le conseiller économique au sein du
cabinet… Montebourg.
Le monde est petit.
On comprend, certes, que le brave Arnaud ait pioché
parmi ses proches pour réaliser un outil dont tout indique qu’il sera d’une
impartialité redoutable, avec une finesse de calcul et des conclusions dont
on se doute qu’elles permettront aux chefs d’entreprises de prendre les bonnes
décisions, en toutes connaissances de cause. Mais on se prend à
s’interroger sur l’éventuelle rémunération afférente à ce développement. On
ne peut s’empêcher de se demander si ce beau logiciel a bénéficié d’une saine
mise en concurrence, d’un appel d’offre public. Et s’il fut fait gracieusement,
gratuitement, pourquoi fut-ce celui-ci qui fut retenu et pas un autre ? Le
code source sera-t-il rendu public (pour rire) ?
Avec ces
gadgets, ces effets d’annonce, ces dépenses dont on peine à voir vraiment
l’utilité, on en arrive à la conclusion habituelle à la suite de ce genre
d’exercices ministériels : tout ceci est plus destiné à occuper l’espace
médiatique qu’à redynamiser quoi que ce soit. Apparemment, des entreprises
ont fait le choix, toutes seules comme des grandes, de relocaliser, ce qui
n’a pas coûté un rond au contribuable. La meilleure méthode et la plus
efficace pour rendre la France attractive n’est pas de dilapider l’argent
public, de pondre un logiciel 2.0 ou de créer 22 emplois (un par région)
payés sur les deniers de la République, mais d’abaisser les coûts des
entreprises sur place, d’arrêter de les massacrer d’impôts pour financer,
justement, toute la kyrielles de bricolages ridicules de ce ministère et des
autres.
Et bien
évidemment, ce conseil (gratuit) étant soigneusement évité et oublié, ce
gouvernement continuera sa route dans la mauvaise direction. Ce pays est
foutu.