Pour l’instant, les Bitcoins sont utilisés comme une monnaie sur Internet et dans le monde réel. Et même si la technologie de base — les chaînes de blocs (ou blockchains) — a été conçue pour échanger de l’argent virtuel, elle convient théoriquement pour faire circuler tout type d’information — d’une saisie de biens au décompte des voix lors d’une élection.
Les avantages de cette technologie sont flagrants : il est impossible d’ajouter délibérément à une chaîne de blocs un nouveau bloc au hasard — ils le sont uniquement dans un ordre établi et n’importe qui peut vérifier les opérations. Certains pensent que la technique des blockchains est même susceptible de réaliser leur utopie d’une démocratie décentralisée où tout homme pourrait régler ses propres problèmes sans les soumettre au débat ou au vote, et sans se tourner vers les institutions publiques traditionnelles. Pourquoi ? Car l’État, même avec toute la volonté du monde, ne pourrait pas satisfaire complètement les besoins de chaque citoyen. Il opère en suivant le principe du “bien suprême” qui conviendrait à la majorité — mais un individu concret peut avoir des problèmes spécifiques qui ne sont pas pris en compte par les programmes de développement publics actuels.
Par exemple, les conducteurs qui circuleraient sur une route en travaux pourraient automatiquement obtenir des points virtuels convertissables en crypto-monnaie à titre de compensation pour la gêne occasionnée. Puis ces points se transformeraient en argent réel ou en services transmis à la victime via la compagnie d’assurance. Autrement dit, conformément à cette idée, l’État perdrait le monopole et se transformerait en un ensemble d’entreprises réglant les problèmes concrets des citoyens, n’étant pas associées à la structure verticale du pouvoir.
Les partisans de ce concept ne s’arrêtent pas à la modernisation des technologies de transfert monétaire — ils souhaitent faire passer tout le système démocratique d’administration dans une chaîne de blocs. Les citoyens n’auraient alors plus à compter sur des agents ou des représentants, qui répondent à la demande générale de la société : ces derniers seront remplacés par des contrats individuels intelligents conclus et certifiés par un gouvernement numérique. Cela permettra non seulement de régler rapidement les problèmes des citoyens, mais réduira également la possibilité qu’existe une élite étroite pouvant influencer le pouvoir en fonction de ses intérêts. D’autant que les chaînes de blocs rendent le système financier plus efficace et suppriment la bureaucratie, et que l’argent économisé pourrait servir pour des projets importants tels que l’instauration d’un revenu garanti pour chaque citoyen. D’autres initiatives, comme Liquid Democracy, proposent de changer foncièrement le système électoral actuel grâce aux blockchains. Aujourd’hui, les intérêts du peuple sont représentés, dans les États démocratiques contemporains, par des députés élus qui promeuvent et votent au parlement les projets de loi avantageux à leurs yeux.
Selon l’idée de Liquid Democracy, un utilisateur octroierait facilement à tout autre individu (délégué) les pouvoirs de remplir une tâche isolée pour une durée de temps indéterminée, et les lui retirer avec la même facilité. La stabilité du système serait assurée par la réputation accumulée — il serait impossible d’échapper à la mauvaise réputation, sauvegardée dans le blockchain.
Mais aujourd’hui une circonstance de taille empêche la décentralisation de l’administration étatique : c’est l’usage de la force. S’il est possible de créer dans le monde virtuel des mécanismes efficaces empêchant la prise du pouvoir par des élites conditionnelles, en réalité toutes les initiatives, si nobles qu’elles soient, peuvent être stoppées par la violence. Les partisans de l’anarchie numérique se penchent déjà sur ce problème. Il existe aujourd’hui deux solutions principales : soit attendre que la société elle-même renonce un jour à la violence, soit compter sur les institutions publiques existantes. Dans le second cas, les activistes ont simplement l’intention de saisir un tribunal si l’État ou un groupe de criminels décidaient d’entraver le développement des pratiques de démocratie distributive — ce qui semble assez naïf.
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