La traduction anglaise du dernier ouvrage de Thomas
Piketty a fait couler beaucoup d’encre. De nombreux commentateurs n’ont pas
manqué de critiquer les chiffres ou les propositions politiques de l’auteur.
Mais qu’avez-vous retenu des critiques du livre de
Piketty ? Avez-vous une idée des propositions politiques formulées par
ces critiques ? Connaissez-vous seulement leur nom ?
Les critiques de Piketty restent désespérément moins
populaires que Piketty lui-même. L’auteur du Capital au XXIème siècle
a en effet décroché la médaille d’or des influenceurs : il n’a pas
commenté l’actualité, il a fabriqué l’actualité, il est
l’actualité. L’économiste français a eu un succès tel que chacun est sommé
d’avoir un avis sur sa thèse.
Ce qui nous amène à une question qui est restée jusqu’à
présent sans réponse.
Comment se fait-il qu’un ouvrage écrit par un économiste
français peu connu du grand public se soit si bien vendu en langue
anglaise ? Et surtout : comment faire pour avoir autant de succès
que Piketty ?
#1 : Interprétez de nouvelles données
Thomas Piketty a compilé des données déjà existantes, peu
disponibles pour le grand public. Étant le premier arrivé, il a ainsi été
le premier à proposer une interprétation de ces mêmes chiffres.
Votre priorité est donc d’accéder à des données qui
existent quelque part mais qui ne sont pas encore mises en forme de manière
accessible, cohérente et exhaustive.
Nous sommes entourés de banques de données. Pensez aux
agences internationales mais aussi à celles des hôpitaux, des prisons, des
universités, des commissariats et de la multitude d’agences étatiques qui
nous asphyxient de formulaires à remplir. Il faut bien que ces derniers
servent à quelqu’un. Pourquoi pas à vous ?
#2 : Faites en sorte que votre thèse conforte un
préjugé populaire
Le Capital au XXIème siècle prétend démontrer que
sur le long terme, les sociétés des pays développés risquent de devenir plus
inégalitaires, creusant un écart croissant entre les riches et les pauvres.
Cette idée colle parfaitement au préjugé populaire énonçant
qu’aujourd’hui, les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres
de plus en plus pauvres.
Pour devenir le prochain Piketty, identifiez donc un
préjugé qui correspond à votre message et adaptez la formulation de votre
thèse en conséquence.
Les dictionnaires sont remplis de proverbes et bon nombre
d’entre eux sont si fortement enracinés dans notre culture qu’ils sont
devenus une sorte de cristallisation du « bon sens populaire ».
N’oubliez pas non plus toutes les idées reçues concernant
l’âge, le niveau de richesse, la couleur, le lieu de résidence, la
profession, le handicap, le sexe, la taille, la religion, la façon de
s’habiller, les préférences sexuelles, la culture et le pays d’origine des
gens et exploitez-les au mieux.
#3 : Résumez votre thèse en un principe facilement
communicable
Thomas Piketty a eu l’intelligence de résumer sa thèse en
une seule équation: r > g (r, le taux de rendement du
capital dépasse g, le taux de croissance économique).
Oubliez vos fichiers Excel barbants et vos graphiques
confus. Marchant sur les traces d’Einstein et de Piketty, réduisez votre
thèse en une formule à la fois courte et globale.
Pour trouver de l’inspiration, lisez un crayon à la main
les tracts politiques, les courriers d’organisations caritatives vous
demandant de l’argent et les pages publicitaires des magazines et
émerveillez-vous de leur sens de la formule.
#4 : Faites en sorte que vos recommandations
politiques plaisent à certains groupes d’intérêts
Thomas Piketty termine son ouvrage en recommandant une
redistribution accrue des richesses au sein des pays développés. Coup de
chance pour l’économiste français : beaucoup de personnes du monde
politique, médiatique et associatif souhaitent ardemment taxer davantage les
personnes riches.
Pour la jouer comme Piketty, pensez aux groupes d’intérêt
que votre thèse va ravir (surtout s’ils représentent beaucoup de personnes,
ont bonne réputation, sont influents, très motivés, puissants, riches ou tout
cela en même temps) et présentez vos recommandations politiques en des termes
qu’ils peuvent immédiatement reconnaitre et s’approprier.
#5 : Créez un « concept à la mode » pour
emballer le tout
Les expressions « justice sociale », « développement
durable », « fracture sociale », « souveraineté
nationale » vous sont sûrement familières. Créées ex-nihilo par des
militants, elles sont devenues des catégories signifiantes pour le grand
public et des passages obligés pour leurs opposants. Ces expressions ont
brillamment redessiné le champ de bataille des idées à l’avantage de ceux qui
les ont créés.
Pour créer la vôtre, rien de plus simple. Vous êtes
pressé? Jouez au Ministron. Vous avez plus de temps ? Ouvrez un
manuel de philosophie et prenez d’abord un concept vague
(« liberté », « égalité », « justice »,
« devoir », « travail », « dialogue », etc.).
Affublez-le d’un adjectif à la mode (« social »,
« citoyen », « durable », « open »,
« 4.0 », « bottom-up », etc.). Le tout vous donne une
expression étrangement hypnotique grâce à la confusion que son manque de sens
immédiat crée dans votre public.
Heureusement, vous ne le laisserez pas dans l’expectative
et, tout en prenant garde de ne pas la définir précisément, vous proposerez
des solutions répondant au problème que vous venez de créer.
Conclusion
Toutes ces petites astuces ne remplaceront pas la chance
dont vous avez besoin, votre sociabilité, votre crédibilité, votre rigueur
analytique et surtout votre honnêteté intellectuelle.
Mais si vous êtes convaincus que vos idées sont
importantes et justes, pourquoi ne pas apprendre à les présenter au
mieux ?
P.S. : J’ai grande hâte de lire les « concepts à
la mode » de votre invention en commentaires de cet article.
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