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Inutile de dire que
les théories que je développe dans mon livre "Logement,
crise publique, remèdes privés", suscitent parfois une
certaine résistance. Notamment, certaines personnes affirment "qu'il n'y a pas de
pénurie de logement puisque l'on observe, dans un nombre
croissant de villes, des durées de mise sur le marché qui
augmentent, des programmes neufs qui ne trouvent pas preneur, etc... L'existence de programmes qui se vendent mal
montre qu'aujourd'hui, l'offre est supérieure à la demande"
Voyons pourquoi ce raisonnement est erroné.
Deuxième
volet consacré aux idées fausses qui circulent sur la crise du
logement, et notamment sur certains forums. Aujourd'hui,
Mythe n°2 :
"Il n'y a pas de pénurie de logements"
Certaines
personnes affirment "qu'il n'y a pas de pénurie de logement puisque
l'on observe, dans un nombre croissant de villes, des durées de mise
sur le marché qui augmentent, des programmes neufs qui ne trouvent pas
preneur, etc... L'existence de programmes qui se
vendent mal montre qu'aujourd'hui, l'offre est supérieure à la
demande"
Ce raisonnement
part du principe que la demande de logement ne se définit qu'à
travers sa part solvable.
Ce raisonnement serait valide sur bien des marchés, mais par sur celui
du logement. En effet, contrairement à bien d'autres produits, le
logement est considéré comme indispensable par la quasi totalité des ménages.
Derrière une famille sans adresse fixe (dans la rue, dans un foyer
d'urgence, une tente, une caravane, chez un ami conciliant), se cache donc
presque systématiquement une demande non satisfaite par l'offre
disponible, quand bien même cette demande ne serait même pas exprimée,
les familles concernées ne se faisant pas d'illusion sur leur
solvabilité.
Si on laisse de
côté le problème d'un manque occasionnel d'appariement de
la demande et de l'offre, évoqué ici
même il y a peu, il n'en reste pas moins à expliquer la
coexistence de famille trop démunies pour trouver un logement, aux
côtés de logements neufs qui trouvent de moins en moins
facilement preneur, à l'achat comme à la location.
Ces logements ont
été construits sur des terrains achetés il y a deux ans,
voire plus, en pleine phase ascensionnelle des prix. Lorsque le logement
arrive sur le marché, l'offreur souhaite rentrer dans ses frais: si le
marché est stagnant, voire en phase de retournement, le logement vendu
initialement au dessus de son prix de revient peut se retrouver au dessus de
ce que la demande solvable du moment peut payer. Par conséquent, le
logement ne trouve pas preneur. D'une façon générale, on
constate que les vendeurs ou bailleurs, dans ces conditions, peinent à
reconnaître que leur estimation initiale du marché était
trop haute, et tardent parfois à ajuster leurs prix à la
baisse, car c'est un acte psychologiquement difficile. Mais si la
mévente se poursuit, la baisse finit toujours par se produire: il faut
bien faire rentrer de l'argent, fut-ce à perte.
Lorsqu'on parle
de pénurie de logements, on parle évidemment d'un manque de
logements disponible à un prix que les familles démunies sont
prêtes à payer, et non d'une offre quantitativement
inférieure à la seule demande solvable du logement. L'existence d'une pénurie
de logements abordables est donc tout à fait compatible avec une
hausse temporaire des stocks invendus.
Mais au fait,
comment chiffre-t-on cette pénurie ? Selon l'institut Héritage et
Progrès, dirigé par Christian Julienne, il
ne faut pas s'en tenir aux seules 700 000 familles sans adresse fixes
recensées par la fondation Abbé Pierre. En effet, il faut
prendre en compte l'évolution prévisible du nombre de
ménages, observer les tendances démographiques et migratoires
entre régions, et maintenir un volant de logements vacants
"frictionnels" (c'est à dire vacants pour une courte
période entre deux occupants) suffisant, pour calculer le nombre de
logements nécessaires au maintien d'une bonne fluidité du
marché, permettant aux familles de concrétiser une recherche
dans un temps raisonnable. En outre, il faut tenir compte de l'arrivée
en fin de vie de logements insalubres, qui, sur un marché
"normal", devraient ne pas trouver preneur, au profit
d'unités plus récentes ou mieux entretenues.
En tenant compte
de l'ensemble de ces paramètres, l'institut estime que ce sont entre
50 et 100 000 logements qui auraient dû être construits chaque
année de 1980, soit une pénurie supérieure à 1,5
Millions d'unités. Et encore les hypothèses d'H&P
sont elles conservatrices.
Vous me direz
qu'il y a 1,9 millions de logements vacants: comment peut
on affirmer qu'il y a une pénurie d'1,5 Millions
d'unités dans ces conditions ?
Tout d'abord, 1,9
millions de logements vacants représentent 6% du parc : c'est moins
que ce que l'on a observé dans les 30 années
précédentes.
Une grande partie
de cette vacance est purement frictionnelle et peu évitable: logements
vacants à un instant T entre deux locataires, logements en
règlement de succession, de divorce... En outre, une partie des
logements vacants se situent dans des régions faiblement actives
économiquement et démographiquement : Montluçon n'est
pas Paris. Une pénurie en Ile de France peut très bien
coexister avec une offre abondante dans des endroits où les candidats
à l'installation sont rares. Une partie des logements vacants est en
trop mauvais état pour être louée. Enfin, à la
marge, les tailles de logements disponibles peuvent ne pas correspondre
à la typologie des demandes à un endroit donné.
Les
propriétaires qui font de la "rétention" de logement
vacant, parce qu'ils ont peur des ennuis que leur occasionnerait un mauvais
locataire (souvent suite à une expérience vécue) du fait
de la réglementation actuelle trop défavorable aux
propriétaires, sont moins de 450 000, selon plusieurs sources
immobilières. Leur retour sur le marché, pour
bénéfique qu'il serait, ne comblerait pas l'ensemble des
manques, loin s'en faut. Il est donc faux d'attribuer la pénurie de
logements à la seule rétention des propriétaires.
La pénurie
de logements
correspondant à la fois aux besoins d'espace et à la
localisation des familles modestes ou moyennes et à leur
solvabilité, est
bien réelle.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow
de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks
tanks francophones dédiés à la diffusion de la
pensée libérale. Spécialiste d'aménagement du
territoire, Il est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du
logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon),
où il montre que non seulement l'état déverse des
milliards sur le logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics
sont directement à l'origine de la crise. Au pays de l'état
tout puissant, il ose proposer des remèdes fondés sur les
mécanismes de marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec
2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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