Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Véritable
passoire, une loi de régulation financière est en passe
d’être adoptée aux Etats-Unis, tandis que les pays
réunis aux G8 et G20, avec au menu le retour de la bienfaisante
croissance, étalent leurs divergences et contradictions
d’intérêts. Est-il nécessaire d’attendre le
texte du communiqué final du G20, dont une version circule
déjà, pour constater ce double aveu d’impuissance ?
La
taxe bancaire enterrée, les dirigeants du monde entier vont en effet
ne laisser comme seule trace de leurs travaux, en dépit de
l’utilisation de termes allusifs et choisis pour masquer leurs
contradictions, qu’un seul résultat : les pays exportateurs
ont été priés, sans succès, de se replier sur
leurs marchés intérieurs, afin que les autres puissent
rechercher sur le marché international un peu de cette croissance
introuvable en interne.
Il
n’y a pas de quoi crier victoire, même si chacun va rentrer chez
soi en prétendant que son point de vue l’a emporté,
condamné à faire non pas ce qui relève du domaine du
souhaitable mais tout simplement ce qui relève du possible.
Les commentateurs
diplomatiques vont quant à eux trouver de quoi exercer leurs talents
en discourant à nouveau sur la gouvernance mondiale et les
avantages et inconvénients comparés des formats G8 et G20,
alors que ces deux instances viennent de démontrer qu’elles
étaient avant tout des chambres d’enregistrement des
désaccords.
En
raison de cet échec prévisible, on cherche sans attendre un
réconfort dans la future réglementation du système
bancaire par les instances du Comité de Bâle, émanation
de la Banque des règlements internationaux (BRI). Le prochain G20 de
Séoul devrait y être consacré. A défaut de reprise
économique, se dit-on, il faudrait éviter une nouvelle crise
financière aiguë. Sauf que les deux objectifs se
télescopent et qu’il est probable que les nouvelles
règles promises seront elles aussi arrondies, au prétexte de ne
pas compromettre le semblant de reprise occidentale actuel.
En
tout état de cause, les espoirs qui sont reportés dans cette
future réglementation illustrent bien le fait que la régulation
made in USA – qui va inévitablement faire jurisprudence –
n’offre quant à elle aucune garantie de stabilité
financière. Les méandres de la loi en gestation vont être
suivis et chacun de ses mots soupesé ; car c’est en jouant sur
ceux-ci que vont être mis à profit les trous béants qui y
ont été ménagés, aux détours des
innombrables amendements intégrés au texte initial. C’est
ainsi que les lobbies ont procédé, avec comme objectif –
accompli – d’obtenir un texte de loi suffisamment lâche
pour permettre de la bafouer. Cela va être au tour des juristes
d’intervenir.
L’essentiel
s’est joué à propos des deux dossiers chauds qui avaient
été gardés pour la fin des discussions entre les
sénateurs et les représentants, au sein de la Conférence
chargée d’unifier leurs points de vue. D’une part,
l’interdiction faite aux banques ayant accès aux guichets de la
Fed (c’est à dire à son aide financière) de
poursuivre leurs opérations de proprietary
trading sur fonds propres ; d’autre part
l’impossibilité de contrôler des filiales hedge funds, assortie de
l’obligation d’externaliser et isoler leurs opérations sur
les produits dérivés.
La
Conférence a considérablement adouci ces règles, contre
lesquelles les mégabanques se sont battues
avec la dernière énergie (et le maximum de moyens). Mais,
à y réfléchir, le ver n’était-il pas de
toute façon dans le fruit ? Le shadow
banking n’était-il pas
assuré, même si ces complaisances de dernière minute
n’avaient pas été accordées, d’avoir de
beaux jours devant lui, la panoplie des produits elle-même restant
intacte ?
Voyons
cela de plus près. Deux grands dispositifs sont désormais
censés garantir la solidité du système financier.
En
premier lieu, la mise sur pied de chambres de compensation, où devront
être enregistrés les produits dérivés standards,
cette classification étant finalement laissée à
l’appréciation du régulateur, ce qui laissera quelque
latitude pour échapper à cet enregistrement. Au sortir des
débats du Congrès, qui plus est, les mégabanques
pourront finalement garder le contrôle capitalistique de ces chambres
de compensation, les limitations initialement mises à leur
participation à leur capital ayant opportunément sauté.
On y sera donc chez soi.
Pire,
ces futures chambres concentreront plus que jamais les risques
systémiques, puisqu’elles assureront seules le risque de
contrepartie d’une masse de produits dérivés dont on a eu
l’occasion de constater qu’il était impossible d’en
évaluer l’ampleur. Faut-il rappeler le cas d’AIG,
nationalisée dans l’urgence dès le début de la
crise afin de ne pas s’écrouler sous ce poids inopiné ?
Afin
de leur donner une assise financière, il est certes prévu que
les chambres de compensation auront si nécessaire accès aux
guichets de la Fed, comme des banques de dépôt. La seule option
disponible restant en effet de faire appel au prêteur en dernier
ressort. Ce montage n’empêchera pas le système financier
d’être assis sur un baril de poudre, la Fed chargée
d’éteindre à temps sa mèche en l’inondant de
liquidités.
Le
deuxième dispositif prévu s’appuie sur
l’augmentation des fonds propres des banques, en application de la
réglementation dite de Bâle III, lorsqu’elle sera
décidée et appliquée (selon un calendrier qui
s’éternise). Mais que vaudront les nouvelles règles,
quelles qu’elles soient, si les normes comptables en vigueur continuent
de donner une vision faussée des engagements et des bilans des
établissements financiers, qui plus est différente des deux
côtés de l’Atlantique, aboutissant à ce que les
ratios des établissements financiers soient calculés selon des
données arrangeantes de valorisation des actifs ?
Il
y a donc encore beaucoup de grain à moudre pour que ce dispositif soit
effectivement opérationnel… En effet, la FASB
(américaine) et l’IASB (le reste du monde) – les deux
organismes chargés d’élaborer ces règles
comptables – ne sont toujours pas parvenues à se mettre
d’accord sur une homogénéisation de leurs règles
d’évaluation des actifs. En l’absence d’une
méthode unique, la pagaille actuelle continuera de régner et la
vérité comptable restera une notion relative et trompeuse. En
réalité, toute méthode qui prétend ne pas prendre
en compte le prix du marché introduit une distorsion qui fausse l’appréciation
de la solidité d’une banque donnée. Des normes comptables
rigoureuses, mais pour l’instant introuvables, sont donc la clé
de voûte de tout un édifice de régulation qui, sans
elles, ne tient pas debout.
En
attendant que ce brouillard se dissipe, si cela doit être le cas, un
tour de passe passe a été
opéré par la Conférence. Il a permis aux mégabanques de continuer à trader en
compte propre les swaps de change et de taux d’intérêt. Or
ces produits représentent, selon les estimations, de 85 à 90%
de leur business avec les produits dérivés. L’obligation
de filialiser l’activité relative aux autres produits
dérivés, les isolant ainsi des comptes de la maison
mère, est donc un moindre mal. Il aurait fallu procéder par
interdiction, on en est très loin.
Le
shadow banking
a de beaux jours devant lui. La régulation systémique du
système financier est quant à elle une illusion. En premier
lieu parce que l’opacité des produits financiers demeure. En
second parce que les structures qui les abritent restent sans surveillance et
hors contrôle. Les véhicules spéciaux abritant le hors
bilan ne sont pas concernés par les mesures réglementaires
encore à l’étude, pas plus que les centres non
coopératifs. C’est à dire les paradis fiscaux,
suivant la terminologie de l’OCDE qui a adopté sur cette
question l’attitude des trois petits singes : ils ne voient rien,
n’entendent rien et ne disent rien. Les règles prudentielles
finalement décidées ne s’appliqueront qu’à
la face visible des établissements bancaires.
Dans
ces conditions, comment s’étonner que les crises soient
considérées comme inévitables ? Certains les assimilant
même, tels des Diafoirus, à de
bienfaisantes saignées ? Aujourd’hui, le risque grandit
qu’une nouvelle crise intervienne alors que l’actuelle reste sans
solution.
Vous
avez dit implosion ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
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s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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