Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Nous
sommes entrés dans la seconde phase de la crise de la dette publique,
avec l’entrée en scène des Etats-Unis et du Japon aux
côtés de l’Europe. Cela va désormais être
à celui qui va bousculer les autres pour leur voler le rôle de vedette
de l’actualité.
« L’économie
(américaine) ne progresse pas aussi vite que nous
voudrions » vient de reconnaître Barack
Obama lors de sa causerie radiophonique
hebdomadaire. Il en faut des précautions de langage, à un
président, pour admettre que la croissance enregistrée ces
derniers temps n’est qu’un feu de paille destiné à
ne pas durer ! Alors que les effets des plans de soutien de l’Etat
fédéral et du restockage des entreprises s’estompent et
que rien n’est prévu pour la suite, si ce n’est la
nécessité de réduire le déficit public.
Timothy
Geithner, le secrétaire d’Etat au
Trésor, a pris moins de gants en déclarant devant une
commission parlementaire que « notre économie traverse encore
une période extrêmement difficile. Des millions d’Américains
cherchent toujours du travail et continuent de souffrir des blessures
causées par une récession forte ». Dans la
foulée, il a aussi admis qu’elle devait faire face
« à des défis considérables ».
Le Comité
de politique monétaire (FOMC) de la Fed n’y a pas
été non plus par quatre chemins, si l’on tient compte de
ses manières, en admettant que « d’une manière
générale, la conjoncture financière est devenue moins
favorable à la croissance… », avant de
détailler à son tour le maintien d’ »un
chômage élevé », la « croissance
modeste des revenus », la « baisse de la valeur du
patrimoine immobilier » et la difficulté à obtenir
des crédits : autant d’entraves à la consommation des ménages,
principal moteur principal de l’économie.
La
publication de deux indicateurs très décevants est il
est vrai intervenue, signalant un brusque ralentissement des embauches dans
le secteur privé, ainsi que l’effondrement des ventes de maisons
neuves, suite à l’arrêt fin avril des incitations
fiscales.
Dans
l’ensemble du monde occidental, les dirigeants en viennent à
rivaliser de superlatifs pour décrire, dorénavant sous un jour
sombre, la situation actuelle. Ils relèguent ce faisant au passage les
prédictions alarmistes les plus féroces au rang
d’aimables plaisanteries. Une dramatisation de la situation qui
justifie leurs restrictions budgétaires, certes, mais exprime
également leur profonde préoccupation.
La
situation de l’économie américaine, ce fer de lance de
l’économie occidentale, inquiète plus que toute autre,
après que l’Europe a symbolisé le danger d’une
récession déflationniste qui la menace mais pourrait ne pas lui
être réservée.
Telle
est la toile de fond du G20 qui va commencer vendredi prochain, alors que les
membres du Congrès peinent à mettre au point les compromis permettant
de boucler la loi de régulation financière. Les questions les
plus chaudes ayant été gardées pour la fin. Ce panorama
permet, en le contemplant, de mieux apprécier à sa juste valeur
la lettre circulaire envoyée par Barack Obama à ses collègues, les exhortant
à « agir ensemble pour renforcer la reprise ».
Prenant, comme amplement souligné, à contrepied les
Européens emmenés sur la voie des sacrifices par Angela Merkel et David Cameron, qui vient de la rejoindre en
rendant public ceux qu’il entend imposer à ses concitoyens.
Si
l’on se tourne vers le Japon, que l’on a trop tendance à
oublier en dépit de son poids économique, le nouveau
gouvernement japonais vient de rendre public son plan d’action. Pour
les trois années à venir, ce plan repose sur le plafonnement
des dépenses publiques, ainsi que sur celui des émissions de
bons du Trésor nécessaires au financement du déficit
public (dont le plafond devra donc être de 393 milliards d’euros
annuel). Cette stabilisation devrait être un premier pas vers la
diminution de moitié du déficit, puis la réalisation
à l’horizon lointain de 2020 d’un excédent, qui
permettrait d’engager la décrue de la dette. Avec 200% du PIB,
le Japon est en effet son champion toutes
catégories.
C’est
ce que l’on appelle tirer des plans sur la
comète. En vue de recueillir la confiance des marchés,
car si 95% de la dette japonaises est financée sur le marché
intérieur, ce pourcentage est destiné à
décroître et il va falloir affronter les grands vents du
marché mondial, dans un contexte concurrentiel accru qui n’y est
pas favorable.
Le
Japon reste toujours à la recherche du mécanisme vertueux qui
le sortira de la déflation, ne pouvant s’appuyer que sur ses
exportations en direction des pays asiatiques pour alimenter sa croissance.
Rien ne change donc.
Sans
qu’il soit nécessaire de revenir sur toutes les incertitudes qui
assaillent l’Europe, une constatation illustre la dynamique qui
s’y est enclenchée et que les dirigeants européens ne
parviennent à endiguer. Il ne s’agit pas, encore une fois, de
cette confiance que l’on invoque à tout bout de champ alors
qu’elle vous échappe et qu’on ne la retrouve pas, mais
d’une conséquence irrésistible de son absence. Les
écarts (le spread) continue de
s’accroître entre deux catégories d’obligations
souveraines : celles de l’Allemagne et de la France, rejoints par
le Royaume-Uni depuis l’annonce de son plan
d’austérité, et celles des pays périphériques,
comme on les dénomme poliment.
Le
taux des obligations à 10 ans de la Grèce vient ainsi de refranchir
la barre des 10%. Cela revient à dire que les pays les plus faibles
économiquement vont payer plus cher le financement de leur
endettement, tandis que les plus forts bénéficient a contrario d’un prime de moindre risque. Avec comme
conséquence, comme il a été relevé
dernièrement par un analyste de Citigroup,
que la zone euro n’est plus considérée comme une
entité homogène par les marchés. Ceux-ci
pressentant une suite qu’ils accélèrent en se conduisant
ainsi.
D’autant
que la BCE diminue de semaine en semaine ses achats sur le marché de
la dette obligataire, soumise à la très forte pression
politique allemande, ce qui n’a pas manqué d’être
remarqué par ceux qui savent compter et cherchent à anticiper.
Elle en est à 51 milliards d’euros au total, aux dernières
nouvelles mais fait toujours mystère de ce qu’elle entend
continuer de faire, alimentant les tensions sur le marché et
réduisant la portée de ses achats au prétexte de les
rendre plus efficaces.
Un
curieux récent épisode n’a pas non plus été
ignoré par les marchés, une sorte de pas de deux de la
BCE. Elle a lancé un ballon d’essai qui n’a pas
été repris par Jean-Claude Trichet, lors de sa dernière
intervention de début de semaine devant le Parlement européen. Dans
sa note du 10 juin dernier, la BCE a en effet préconisé la
création d’une « instance indépendante
fiscale » (Independant Fiscal Council),
qui aurait pour mission non seulement de faire la police mais aussi de se
substituer à la BCE pour acheter la dette souveraine des pays de la
zone euro. Grâce – croit-on deviner – à une
réaffectation de l’enveloppe du fonds de stabilité
financière, dont ce n’est pas l’objet actuel. La police
est restée, le mécanisme de financement n’a pas
été pour l’instant du moins retenu.
On
parle peu du Portugal, mais la Banque du Portugal vient d’annoncer que
les banques portugaises ont emprunté en mai dernier à la BCE
près de 36 milliards d’euros, plus du double du mois
précédent. Elles sont donc tenues hors de l’eau par la
BCE, auprès de laquelle elles trouvent des capitaux à 1%,
tandis qu’elles doivent offrir de 6 à 7% sur le marché,
en raison de la hausse du taux obligataire de l’Etat Portugais.
Comment,
dans ces conditions, la BCE va-t-elle pouvoir revenir sur les programmes
qu’elle a activés, devenue un rouage essentiel du fonctionnement
du système bancaire, seule porte ouverte disponible, via le second
marché, pour les pays les plus menacés et en quête de
financement ?
Pendant
ce temps là, toujours à la recherche d’une confiance en
vain très sollicitée, les dirigeants européens
travaillent à la mise au point des stress tests des banques. Il est
maintenant question, face à l’amicale insistance des marchés,
d’en élargir le champ, afin d’inclure de nouvelles banques
dans son périmètre. Il y a de la marge, entre les 25 mégabanques initialement retenues et les milliers
d’établissements bancaires européens
répertoriés…
Le
gouverneur de la Banque d’Espagne a quant à lui apporté
sa modeste contribution à cette réflexion, en annonçant
que, quoiqu’il arrive, l’Espagne rendrait public les stress tests
de l’ensemble de ses banques, poursuivant sa stratégie du fait
accompli qui lui a déjà si bien réussi.
Comment
les banques qui se révéleront avoir besoin de fonds propres
seront-elles recapitalisées ? Cette question décisive
n’a toujours pas l’amorce d’une réponse. Laissant
aujourd’hui supposer que leur résultat positif est acquis
d’avance, ce qui ne crédibilise pas exagérément
l’opération dans son ensemble.
Baudoin Prot, directeur général de la BNP Paribas,
a déclaré qu’il était « tout à
fait confiant » à propos des résultats des stress
tests pour sa banque, alors même que leurs modalités ne sont pas
encore officiellement déterminées. On ne peut pas dire que cela
fait preuve d’une grande habilité, mais il lui fallait bien
faire front suite à la dégradation de la note de la banque par Fitch.
Plus
les éléments du feuilleton se mettent progressivement en place,
moins la gestion de la crise de la dette publique qui est entamée
apparaît crédible : la croissance se dérobe sous les
pieds de ceux qui cherchent à en faire un tremplin, ne leur laissant
comme leviers que les restrictions budgétaires ou les augmentations
fiscales. Une étude de HSBC est venue à point nommé,
à ce propos, pour montrer qu’il faudrait aller bien
au-delà de ce qui est actuellement prévu pour atteindre dans
ces conditions les objectifs affichés de réduction de la dette.
Le problème est qu’il n’y a pas de plan B.
Est-ce
bien envisageable, par ailleurs, de durcir les mesures déjà
annoncées en Europe, alors que l’on enregistre que certains
s’engagent à reculons dans l’austérité et
que d’autres parlent fort mais agissent avec une certaine
circonspection, quand on y regarde de plus près ? L’effet
simultané de ces mesures d’austérité, même
tempérées, va avoir un effet multiplicateur difficilement
prévisible.
Quand
aux Etats-Unis, on attend toujours des échos des travaux de la
commission bipartisane chargée par Barack
Obama d’inventorier les économies
budgétaires qui devraient être réalisées pour
engager la décrue de la dette. Ainsi qu’un éclairage sur
le sort que l’administration entend réserver à Fannie Mae
et Freddie Mac. Ou encore des nouvelles de l’augmentation (ou
l’introduction dans certains Etats) de l’équivalent de la
TVA. Petit à petit, les lampions des programmes de soutien à
l’économie s’éteignent, sans éclairage de
secours de prévu.
Intervenant
mercredi soir sur CNBC, une chaîne américaine
d’information financière en continu, Christine Lagarde
s’est interrogée : « Comment stimuler la croissance
et rétablir les finances publiques ? C’est le grand dilemme
auquel nous faisons face depuis un moment ». Prenant implicitement
ses distances avec la politique préconisée par le gouvernement
allemand, elle a donné pour toute réponse que « nous
devons être fermes et sérieux sur la réduction du
déficit et de la dette, même si en même temps nous ne
pouvons pas nous permettre de ralentir le peu de croissance que nous avons »…
A force de vouloir contenter tout le monde, elle risque de ne contenter
personne et de n’atteindre ni l’un ni l’autre des deux
objectifs.
Il
n’est pas certain que le « plan d’urgence »
britannique, que vient de dévoiler le chancelier George Osborne,
s’inscrive exactement dans ce cadre. 40 milliards de livres
d’économie sont prévues par an, pendant 5 ans
consécutifs. Chaque ministère, à l’exception de
ceux de la santé et de l’aide au développement, devra
couper en 4 ans un quart de son budget en moyenne. Les fonctionnaires
subiront un gel de deux ans de leur salaire. La TVA passera de 17,5 à
20% en janvier prochain. Les banques vont être taxées à
hauteur prévisionnelle de 2,4 milliards de livres. 900.000
contribuables à faible revenus seront exemptés de l’impôt.
Heureusement,
le G20 est arrivé ! A temps, comme le fait toujours la cavalerie. En
quelques phrases savamment tournées du communiqué final, une
ligne commune d’intervention va être fixée. Munis de ce
précieux viatique, les dirigeants vont pouvoir rentrer chez eux afin
d’appliquer la recette magique qui leur aura été
confiée.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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