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Nombreux sont ceux qui considèrent que la France est
menacée par l’économisme ambiant et l’ultra-libéralisme matérialiste. Un
pays écrasé par les charges, bloqué part les grèves et la rue, et plombé par
le record des prélèvements obligatoires qui font implosé son économie, n’est
certainement pas menacé par le libéralisme, mais par le collectivisme rampant.
Quand on sait qu’en l’espace de cinquante ans, l’emploi public a progressé
dix fois plus vite que la population française et que la dette publique
accumulée depuis vingt ans dépasse 5 400 milliards de francs, on peut douter
que le plus grand danger pour notre pays soit une dérive ultra-libérale.
C’est bien plutôt l’ultra-étatisme, et ses graves
conséquences sur le sens de la responsabilité individuelle, qui constituent
la plus grande menace pour notre société. Ce que l’on dénonce habituellement
dans l’économisme, c’est en fait l’instrumentalisation et la manipulation de
l’économie par le pouvoir. Les taux de croissance globaux, les indices du
coût de la vie ou autre taux d’inflation, les grands agrégats
macro-économiques sont des créations statistiques au service de
l’interventionnisme économique ; elles contribuent à donner une image
mécanique et inhumaine de l’économie qui ne reflète que très partiellement la
réalité économique. Car, le véritable objet de la connaissance économique
n’est pas dans l’élaboration d’une panoplie de statistiques officielles plus
souvent flatteuses, par construction, qu’objectives ; le véritable objet de
la science économique, c’est le choix humain.
La science économique est une science du comportement
humain, et du comportement dans ce qu’il a de typiquement humain : la prise
de décision. La déviation de l’économie en économisme, c’est bien là le
plus grand danger ; c’est celui du constructivisme qui veut que les
hommes et femmes politiques aient la prétention de produire de l’emploi, du
social, de la solidarité, de la culture et, pourquoi pas, du bonheur ! Ce
faisant, l’Etat se substitue progressivement – en l’évacuant - à la
responsabilité individuelle. Or, l’économie ne peut que tomber en panne
lorsqu’il y a défaut de décisions individuelles. L’économie ne peut
fonctionner dans l’indécision généralisée car elle suppose prise de risque,
donc prise de responsabilité et seuls les individus sont de nature à agir et
à assumer les risques. Le principe de précaution poussé à son extrême cultive
l’illusion du « risque zéro » [1]. Mais, sous le prétexte de protéger les
individus d’eux-mêmes, l’Etat détruit en même temps ce qui fait l’identité,
la spécificité et la dignité des personnes : leur aptitude (qui doit être
développée à l’école) à faire des choix et à assumer les conséquences de
leurs propres actes. Le « risque zéro » entraîne la « responsabilité zéro » ;
et l’empire de la responsabilité collective l’emporte peu à peu sur le
domaine de la responsabilité privée.
Désormais, les individus attendent non seulement
l’autorisation de l’Etat et de ses administrations pour nombres d’actes «
économiques » ; mais, ils voudraient que l’Etat décide à leur place. Ils
préfèrent l’assistance administrative à la trop fameuse « dictature du marché
». Car, le marché existe à partir du moment où la concurrence existe et
lorsque concurrence il y a, le consommateur se trouve devant la nécessité –
l’embarras ?- de choisir. Assurément, le choix entraîne le doute,
c’est-à-dire la crainte de faire le mauvais choix. Avant la libéralisation
des télécommunications, certains experts nous expliquaient que les gens
seraient perdus devant la multiplicité des offres et des tarifs. Autant de
prétextes incongrus pour éviter la libéralisation et la fin des monopoles
qu’elle implique. Cet argument pourrait s’appliquer dans le domaine éducatif
ou de la santé où l’on ne veut pas rendre la liberté de choisir aux citoyens
sous le fallacieux prétexte de les protéger d’eux-mêmes. Cependant, les
hommes grandissent en faisant des choix.
Certes, l’erreur est humaine ; c’est justement pour
cette raison que les hommes apprennent et s’adaptent à travers leurs
différents choix qui s’inscrivent dans un processus continuels d’essais et
d’erreurs. Là est le propre de la rationalité humaine : les hommes ne sont
pas des êtres infaillibles et omniscients mais ils retirent des leçons de
l’expérience, à condition d’être en situation de faire des choix,
c’est-à-dire à condition d’être libre. Cet apprentissage constant est
au cœur du principe de concurrence et est à l’origine de l’amélioration
progressive des techniques et l’affinement des choix. C’est pourquoi des
économistes comme Friedrich Hayek ou Gary Becker préfèrent définir la
concurrence comme un « processus de découverte » (Hayek) ou un « principe
d’amélioration » (Becker) plutôt que comme un système de « lutte pour la
survie ». Si, par un usage abusif du principe de précaution, on en vient à
étendre le domaine de la réglementation et de la bureaucratie, alors on
finira par neutraliser ce processus de découverte et les hommes n’auront plus
l’occasion de choisir et de prendre des risques. Ils perdront ainsi la
capacité d’apprendre donc d’évoluer mais ils prendront, en même temps, le
plus grand des risques en s’en remettant à un Etat tout puissant lequel reste
géré et piloté, en dernière instance, par des hommes et des femmes
susceptibles eux aussi de se tromper.
Et comme les bureaucrates et les dirigeants n’assument pas
les conséquences de leurs actes, ils sont susceptibles de se tromper souvent.
Or, à la différence des choix privés qui n’engagent que leurs auteurs, les
choix publics engagent toute la nation .
Et, en toute bonne logique, s’il fallait appliquer
systématiquement ce fameux principe de précaution alors il nous faudrait tous
nous repentir rapidement. Car le pari pascalien décline à sa manière le
principe de précaution : rien ne me prouve que Dieu existe mais rien ne me
prouve qu’il n’existe pas ; je prendrai donc un grand risque à considérer
qu’il n’existe pas alors que je n’ai rien à perdre à avoir la foi. C’est un
usage philosophique et spirituel du principe de précaution qu’un
Etat-providence ne saurait encourager car l’Etat-Providence a justement la
prétention de se substituer à la providence elle-même.
[1] L'auteur de ces lignes, votre serviteur, est un
Economiste, en poste à l’université de Perpignan, qui fut interné contre son
pré au nom du « principe de précaution » par le président de son université,
et mis en examen pour diffamation pour avoir osé se plaindre.
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