De nombreux Rothbardiens se sont
fait la promesse de ne pas aller voter aux élections, ni à
aucune autre, puisque le vote ne supporte à leurs yeux que l’Etat.
Je me demande donc s’ils seraient susceptibles de changer d’avis
si l’un des choix qui s’offrait à eux lors des prochaines
élections pourrait leur permettre de dissoudre le gouvernement et le
remplacer par des institutions de marché libre. Ce choix ne nous est
bien entendu pas disponible aujourd’hui et la plupart des gens
s’en moqueraient ou mourraient de peur s’il nous était
proposé. A mesure que les nations souveraines font glisser la luge
Keynésienne vers l’abysse, leur dissolution pourrait de toute
façon tomber d’un moment à l’autre du ciel. Aussi
absurde que cela puisse paraître, nous pourrions bientôt avoir
à organiser la société autour d’un autre
système que de tous ces monopoles coercitifs qui nous mènent
peu à peu vers l’extinction.
Heureusement pour nous, nous disposons
à la fois des expériences et des théories dont nous
avons besoin pour ce faire. Dans cet article, je me baserai sur deux sources
: An American Experiment in Anarcho-Capitalism:
The Not So Wild, Wild West, par Terry L. Anderson et P. J. Hill ;
et La Théorie du Chaos,
par Robert P. Murphy.
Grâce à Hollywood et à la
littérature populaire, l’Ouest Américain (1830-1900) est
souvent décrit comme un territoire violent et dénué de
lois. Tant que vous avez une arme à feu et êtes
déterminé à l’utiliser, vous êtes en mesure
d’obtenir tout ce que vous désirez. La raison à cela
n’est autre que la faiblesse et la non-existence du gouvernement. Au
cours de leurs recherches littéraires, Anderson et Hill ont cependant
déniché de nombreuses preuves du contraire. Par exemple, W.
Eugene Hollon, dans son ouvrage intitulé Frontier Violence : Another
Look, indique que l’Ouest des Etats-Unis était bien plus
civilisé et pacifique que la société Américaine
d’aujourd’hui (soit au début des années 1970). Un
autre chercheur, du nom de Frank Prassel, a quant
à lui découvert dans les années 1930 que si une
conclusion pouvait être tirée des statistiques criminelles de
l’époque, c’est que la frontière de l’Ouest
ne laisse derrière elle aucun héritage particulier de violence
en comparaison aux autres parties du pays.
Au départ, les habitants de l’Ouest
protégeaient leur vie et leur propriété grâce
à des agences privées. Ces agences comprenaient très
bien que la violence était un moyen coûteux de résoudre
les mésententes et employaient habituellement des méthodes
économiques telles que les décisions arbitraires ou de justice.
Ces agences n’avaient pas une idée commune de la justice. Les
gens se faisaient des idées différentes des lois sous
lesquelles ils voulaient vivre et étaient disposés à
payer pour cela. La compétition entre les agences leur apportait un
choix.
Anderson et Hill ont étudié quatre institutions
de l’ouest des Etats-Unis qui ressemblaient à l’anarcho-capitalisme (AnCap) :
groupes de revendication territoriale, associations d’éleveurs,
camps de miniers et convois de roulottes.
Groupes de revendication territoriale
Présents de part et d’autre du Mid-West, les groupes de revendication territoriale
présentent un exemple de la manière dont les pionniers
nouvellement arrivés joignaient leurs forces dans un but commun et ce,
sans nécessiter l’assistance d’un gouvernement.
Chacun de ces groupes adoptait sa propre constitution et
ses propres lois, élisait des officiers chargés de gérer
l’organisation, établissait des lois qui permettaient de
régler les conflits et mettait en place des procédures
d’archive et de protection des plaintes.
Bien que la violence était
souvent une option utilisée contre ceux qui ne respectaient pas les
règles, plus d’une organisation avait recours à
l’ostracisme pour punir ceux qui ne se pliaient pas à ses codes.
Elles refusaient de s’associer ou de soutenir ceux
qui ne respectaient pas la volonté des autres colons et refusaient de
les intégrer à leur communauté et de commercer avec eux.
Certains pensent que ces associations ont
été créées en vue de s’opposer aux
‘spéculateurs’, dans le même temps que
d’autres encourageaient la spéculation, ce qui souligne bien
l’idée que chacune d’entre elles disposait de ses propres
préférences et objectifs.
Associations d’éleveurs et camps de mineurs
Tout comme les groupes de revendication territoriale, les
associations d’éleveurs mettaient en place des règles
formelles afin de gouverner leurs membres, bien que leurs méthodes
exécutives s’avéraient souvent
violentes. Ils employaient des hommes armés en tant qu’agents de
protection pour éliminer les voleurs de bétail. Ces mercenaires
n’étaient pas motivés par l’éthique, mais
par le camp qui leur proposait la meilleure offre.
Ces mercenaires formaient-ils leurs propres associations
criminelles, violant les droits de propriété et vendant leur
protection à leur guise ? Cela pouvait se produire de temps à
autre, mais ce type d’association était en général
puni bien plus rapidement et sévèrement par les associations de
protection de propriété privée que par les organisations
gouvernementales.
La ruée vers l’or Californienne de 1848
attira des milliers de gens de l’est assoiffés de richesses,
tout comme ce fut le cas plus tard dans le Colorado, dans le Montana et
l’Idaho. De nombreux chercheurs d’or s’organisaient avant
même de quitter leur ville et, comme pour les autres types
d’organisations, les règles variaient en fonction du groupe. Les
gens avaient le choix d’opter pour les règles qu’ils
préféraient. Il est intéressant de noter que de
nombreuses associations de mineurs bannissaient la présence
d’avocats dans leur district et prévoyaient une sentence de 20
à 50 coups de fouet pour tout avocat s’y aventurant et tentant
d’y faire respecter la loi.
Voici ce qu’en disent Anderson et Hill :
L’un des premiers Californiens à avoir
existé écrivait que ‘les lois n’ont jamais
été nécessaires avant que les avocats ne fassent leur
apparition’. Un autre a ensuite ajouté ‘que seulement
quelques crimes avaient été dénombrés avant que
les cours de justice, armées de leurs délais et de leurs
technicités, ne viennent prendre la place de la loi mise en place par
les mineurs’.
Les cours de mineurs offraient un système
judiciaire doté d’un juge et d’un jury qui étaient
sélectionnés parmi les membres de la communauté. Tout
mineur respectueux de la loi pouvait servir de plaignant ou de
défendant de l’accusé.
Nous pouvons relever dans le Colorado des signes de
compétition entre les différentes cours, ce qui prouve encore
une fois que la justice prévalait.
Les convois de roulottes
Les convois de roulottes qui prenaient la route de l’Ouest
sont sans doute le meilleur exemple d’anarcho-capitalisme
dont dispose la frontière Américaine de l’époque.
Réalisant que leurs convois seraient hors de toute loi, les pionniers
créèrent leur propre machinerie d’établissement et
d’application de loi avant même de prendre la route. Dans de
nombreux cas, ils rédigeaient des constitutions similaires à
celle des Etats-Unis. Une fois que les voyageurs se trouvaient en dehors de
la juridiction du gouvernement fédéral, ils élisaient
des commissaires chargés de faire respecter leur constitution.
Ces constitutions mentionnaient également
l’éligibilité au vote et fixaient les règles de
l’amendement, du bannissement de certains individus et de la
dissolution du cortège.
Selon les auteurs, ce qui permettait à de tels
arrangements de fonctionner était un respect profond pour les droits
de propriété. Il n’en est pas moins que leurs
constitutions n’abordaient pas ou très peu la question de la
propriété privée. Le caractère inviolable des
droits de propriété était tant respecté que les
pionniers n’avaient que très rarement à recourir à
la violence, même quand une famine était imminente. Citant John
Phillip Reid et son étude sur les pistes de l’Ouest Américain,
les auteurs nous indiquent que :
Bien qu’une poignée de ceux qui ont
été destitués aient pu avoir employé la ruse pour
obtenir de la nourriture, la plupart d’entre eux se contentaient de
mendier et ceux qui étaient ‘trop fiers pour mendier’
faisaient de leur mieux pour trouver quelqu’un disposé à
mendier à leur place.
Il est clair que la nature temporaire de ces
communautés de voyageurs les rendait bien plus adaptables à
l’anarcho-capitalisme. La question de la
demande en ‘biens publics’ tels que les routes et les
écoles n’a jamais été soulevée, bien
qu’il ait de temps à autre fallu qu’ils se
protègent eux-mêmes contre les attaques des Indiens sans se
reposer sur l’aide de l’Etat. Dans une majeure partie des cas,
les arrangements ont fonctionné. Les gens achetaient protection et
justice, trouvaient la compétition auprès des producteurs et,
en conséquence, jouissaient d’un ordre social bien
différent que celui que l’on voit souvent associé
à l’idée d’anarchie.
L’anarcho-capitalisme vu
par Murphy
Dans La
Théorie du Chaos, Robert P. Murphy présente la
manière dont les forces des marchés ont la capacité de
supporter l’apport privé de justice et de défense –
deux domaines qui sont généralement perçus comme
relevant de l’Etat. Selon Murphy, non seulement le marché est
capable de fournir de tels services mais il s’avère
également être un système bien plus efficace et
équitable que celui que nous possédons aujourd’hui.
Voyons maintenant quelques-uns des arguments qu’il
utilise afin de soutenir son idée.
Dans le monde d’aujourd’hui, tout comme au
temps des pionniers, aucun système de loi n’est
nécessaire à contenir les masses. Les gens pourraient aussi
bien intégrer volontairement des contrats qui représentent les
lois sous lesquelles ils désirent vivre. Tous les aspects de
l’interaction sociale pourraient être régulés par
ces contrats volontaires.
Qui ferait la loi ? Des experts privés qui
entreraient en compétition directe avec leurs rivaux. Le marché
est capable de la justice tout aussi bien que d’autre chose. Comme le
note Murphy, ‘le marché est le sténographe de l’ensemble
des interactions économiques entre individus libres. Permettre au
marché de gérer la justice signifie que plus personne
n’aurait besoin de recourir à la violence pour imposer son
propre point de vue aux autres’.
Au sein d’une société AnCap avancée, les compagnies d’assurance
devraient jouer un rôle majeur. Les gens achèteraient des
assurances, par exemple pour dédommager leur victime s’ils se
trouvaient jugés coupables d’un crime. Tout comme aujourd’hui,
ces compagnies d’assurances emploieraient ensuite des experts pour
déterminer les risques représentés par la prise en
charge de chaque individu qui fait une demande de couverture. Si une personne
est considérée comme représentant un risque trop
important, elle pourrait se voir refuser l’accès à une politique
d’assurance, ce qui permettrait aux autres de décider si oui ou
non ils désirent interagir avec elle.
Certains disent qu’un tel système ne pourrait
fonctionner qu’au sein d’une société
composée de personnes pacifiques et rationnelles et non de voleurs et
d’assassins. Un marché anarchique serait-il en mesure de
gérer de tels individus ?
Toute propriété est privée
Comme le dit Murphy, ‘à chaque fois
qu’une personne se tient dans une société libertaire,
elle se trouve sur la propriété de quelqu’un
d’autre’. Un tel système permet d’éliminer
les criminels sans violer leurs droits naturels. Il cite l’exemple
d’une personne pénétrant dans un cinéma,
armé d’un contrat similaire à celui-ci :
Si je suis jugé coupable de crime par une agence
d’arbitrage réputée [ou peut-être listée],
j’autorise le propriétaire du cinéma à employer
des hommes armés pour venir me chercher et m’extraire de sa
propriété’. De cette manière, l’usage de la
force serait donc autorisé à l’avance par la personne en
possession de ce contrat.
Mais où
ces hommes armés doivent-ils interpeller le criminel ? Dans un
marché libre, un système similaire à celui des prisons
ferait son apparition. Ces prisons ressembleraient cependant plus à
des hôtels, parce qu’elles seraient en compétition les
unes avec les autres ce qui, pour un AnCap,
signifie qu’elle rechercherait à la fois à satisfaire le
criminel et à garantir sa détention sécurisée.
Contrairement aux prisons gouvernementales, il n’y règnerait pas
de climat de cruauté injustifiée et il n’existerait aucun
moyen de fuite. Si un criminel venait à s’échapper et
à commettre un nouveau crime, sa compagnie d’assurance serait
tenue pour responsable. Un prisonnier mécontent de la manière
dont il est traité aurait le droit de demander à être
placé dans une autre prison, sous accord de sa compagnie
d’assurance.
La mafia pourrait-elle prendre le
contrôle ?
Les gens qui
supportent l’Etat parce qu’ils pensent que les associations de
crime organisé prendraient rapidement le dessus sur une
société AnCap feraient bien de se
rendre compte que nous vivons déjà sous le contrôle de la
plus importante association criminelle de tous les temps. Peu importe quels
crimes la mafia a pu perpétrer jusqu’alors, ils ne sont rien en
comparaison à la destruction et aux meurtres perpétrés
par les Etats.
Il est
également nécessaire de bien comprendre que c’est le
gouvernement qui nourrit la violence, et non le marché libre.
Toutes les
entreprises traditionnellement associées au crime organisé
– la prostitution, les usuriers, le trafic de drogues – sont
interdites ou réprimandées par l’Etat. Dans un
marché anarchique, les entreprises dignes de ce nom
élimineraient d’elles-mêmes ces compétiteurs peu
scrupuleux.
Mettre en application l’anarcho-capitalisme
Murphy discute
des nombreuses applications de l’anarcho-capitalisme
dans le monde d’aujourd’hui, l’une d’entre elles
étant l’accord de licences médicales. Nombreux sont ceux
qui pensent que sans les régulations gouvernementales, nous serions
à la merci des charlatans. ‘Les consommateurs ignorants
s’octroieraient les services du chirurgien qui leur offre le coût
le moins élevé et finiraient en pièce sur la table
d’opération’. Nous aurions donc besoin d’un
gouvernement à la poigne de fer pour que seuls les meilleurs puissent accéder
à la profession médicale.
Tout cela
n’est que pure fiction. Puisque la demande en médecine efficace
et sans danger est universelle, le marché serait capable de
développer des organisations qui n’autoriseraient que les
médecins qualifiés à travailler. Les compagnies
d’assurance n’emploieraient également que des
médecins capables de faire leur travail, puisque toute forme de faute
professionnelle pourrait leur coûter des millions.
Pour ce qui
concerne le débat autour du port d’arme, Murphy pense que les
deux camps ont des points de vue légitimes :
Il est clair
que nous ne pouvons pas croire que le gouvernement sera là pour nous
protéger une fois qu’il nous aura désarmés.
D’autre part, je me sens un peu ridicule de dire que les gens devraient
être autorisés à stocker des bombes atomiques dans leur
cave.
Comment
l’anarcho-capitalisme pourrait-il
résoudre le problème ? Disons que Joe Smith veuille
contracter une assurance qui soit d’accord de payer 10 millions de
dollars à la famille de toute personne qu’il viendrait à
tuer. ‘La compagnie chercherait bien sûr à savoir
s’il détient des armes ou des bombes atomiques dans son
garage’. Ainsi, les armes les plus dangereuses ne seraient
autorisées qu’aux personnes désireuses de contracter une
assurance au prix fort.
Bien
qu’il soit difficile d’imaginer une entreprise capable de
protéger un individu qui possède une arme atomique, il
n’existerait pas non plus d’agence chargée d’en
interdire la possession. Et sans assurance, une personne serait dans
l’incapacité de garantir ses contrats avec les autres et de se
forger une place dans la société.
Comment en arriver là
La
possibilité d’établir une société anarcho-capitaliste dépend de l’histoire de
chaque région. Les anarchistes de Corée du Nord, par exemple,
pourraient avoir recours à la violence pour renverser le gouvernement
en place, alors qu’aux Etats-Unis, l’érosion graduelle de
l’Etat est une possibilité.
S’il est
une chose que partagent toutes les révolutions, c’est un
engagement des partis à respecter les droits de
propriété privée.
Les gens
savent tous que le meurtre et le viol sont des crimes – même les
meurtriers et les violeurs. Ce qui est plus difficile, c’est de
convaincre les gens que le meurtre est une mauvaise chose lorsque même
ceux qui ont été élus y ont recours.
Nous pouvons
construire une nouvelle société sur des notions intuitives de
justice, tout comme le faisaient les mineurs de Californie.
Pour citer un
exemple plus moderne, chaque ville accepte les règles intrinsèques
à un match de basket, même sans arbitre.
Comme
l'explique Murphy, les joueurs d’un match amical reconnaissent
l’existence des règles de jeu, même lorsque le joueur
fautif nie avoir commis une erreur.
La solution
qu’offre le marché à de telles ambiguïtés est
d’employer des arbitres chargés de faire appliquer les
règles (qu’ils respectent donc également). Un monopole
violent n’est jamais nécessaire pour achever un tel ordre.
Conclusion
Ceux qui
défendent l’Etat comme moyen de protéger les droits de
propriété privée devraient jeter un œil à
l’Histoire de leur nation. Comme le dit Murphy :
‘Je
demanderai à mes lecteurs de résister à l’envie de
classifier mes idées d’utopiques sans m’avoir
préalablement spécifié en quoi le système
gouvernemental est un système ‘qui marche’’.
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