Agitation dans les rangs du gouvernement : après une analyse poussée et dont les conclusions tombent inopinément en pleins mois estivaux, il semble que la France ne disposerait pas d’un système pénitentiaire parfaitement à la hauteur de ses prétentions en la matière. Surprise : la surpopulation carcérale, petit souci qui s’était pourtant confortablement installé dans le quotidien des Français, devient subitement l’un des problèmes qu’entend résoudre l’actuel gouvernement.
Tout arrive donc, même l’improbable : l’information, pourtant connue depuis un moment, selon laquelle la France ne disposerait pas d’assez de cellules pour parquer ses criminels, a fini par atteindre les strates supérieures du pouvoir qui sentent confusément qu’une action est attendue de leur part par tous ceux qui payent pour leurs salaires.
Pourtant, le constat n’est guère nouveau. Même en se contentant de mon seul étroit point de vue, j’avais déjà mentionné ce problème en 2010, où l’on découvrait que le gouvernement (de droite à l’époque) ne semblait pas vraiment préoccupé par les taux d’occupations particulièrement alarmants des prisons françaises. En 2013, j’en remettais une petite couche en découvrant que la situation n’avait pas bougé d’un pouce et que les quelques milliers de nouvelles cellules construites venaient en simple remplacement de cellules bien trop insalubres et ne constituaient donc pas une augmentation sensible de leur nombre global.
Autrement dit, sur les 10 dernières années, le nombre de cellules (de « places opérationnelles » comme on dit dans le milieu) n’a guère évolué, comme le montre le graphique suivant utilisé dans un précédent billet de 2015…
Au passage, on explique mal les insinuations plus ou moins subtiles de la droite et de certains journaux qui visent à imputer la situation actuelle à Taubira, la précédente Garde des Sots : si on n’a aucun mal à comprendre que ses saillies verbeuses, inscrites dans la parfaite lignée de la Société Bisounours et la culture de l’excuse, n’ont absolument pas aidé les pouvoirs publics à prendre la mesure de la catastrophe pénitentiaire actuelle, on doit néanmoins admettre que le déficit chronique ne date pas, loin s’en faut, de son mandat et s’est bien installé sur (au moins) les vingt dernières années. En somme, l’incurie à traiter ce problème doit autant à la droite qu’à la gauche, et ce alors qu’il s’aggrave et qu’augmente donc le nombre de condamnés à de la prison ferme qui ne voient même pas les murs d’une cellule.
Quant à ceux qui les voient, ils constatent tous l’état déplorable des prisons françaises qui s’éloignent de plus en plus de ce qu’on peut attendre d’un pays qui se gargarise des Droits de l’Homme, de la dignité humaine et de toute la panoplie ronflante des nécessités pour prétendre respecter l’Humanité et les cœurs fragiles des petits chatons citoyens qui paient pour tout ça. La vétusté et l’insalubrité des geôles françaises fait maintenant frémir et, au rythme cadavérique où vont les réhabilitations, le remake de Midnight Express ne se tournera pas à Istanbul mais à Fresnes ou Nîmes.
En réalité, la surpopulation carcérale s’est progressivement installée et s’accroît d’années en années alors que, comme par hasard, le nombre de lois, de contraintes et donc de coupables potentiels n’a cessé de croître : comme le soulignait un article de Michel Desgranges dans Contrepoints, on n’a cessé de multiplier les crimes sans victimes, ce qui augmente mécaniquement le nombre de gens qui sont incarcérés et dont on n’aurait pas besoin de s’occuper si la législation était concentrée sur les crimes et délits pour lesquels les victimes sont clairement identifiées.
Typiquement, la guerre contre la drogue, dont le résultat est absolument catastrophique à tous points de vue, alimente dans des proportions effrayantes cette surpopulation. Si l’on devait éliminer les « simples commerçants » des prisons, cette surpopulation serait notoirement diminuée. De surcroît, occuper les forces de l’ordre sur les seuls crimes et délits pour lesquels des victimes sont clairement identifiées permettrait de recentrer leurs efforts et entraînerait moins de fatigue et d’épuisement des corps concernés. Parallèlement, cette approche permettrait aussi de rendre bien plus efficaces l’application des peines et surtout l’écartement des éléments dangereux de la société, seul but valable de la prison, celui de la rééducation ou de la réadaptation du criminel à la société n’étant pour le moment qu’une vaste plaisanterie pour bobo effarouché.
Cependant, à cette explosion du nombre de coupables typiquement liée à l’avalanche répressive et moraliste du moment, on doit aussi ajouter l’idéologie très particulière qui semble percoler dans le milieu de la magistrature française : tout doit être fait pour abolir la prison et la remplacer par toutes les alternatives possibles, et ce d’autant plus si ces alternatives sont ludiques ou répondent au désir de ceux qui les prônent de paraître encore plus humains.
En somme, tout comme il est impensable de gronder un vilain garçon qui enchaînerait bêtise sur bêtise, l’incarcération de ceux qui foutent la merde, c’est vraiment pas trop tendance. En revanche, pour ceux qui réclameront un peu de Justice ou que les forces de l’ordre fassent enfin leur travail (à savoir ramener l’ordre), on trouvera sans mal une place en cellule.
Et plus fondamentalement, alors que l’État fait tout pour être fort avec les faibles et faible avec les forts, on retrouve jusqu’aux plus hautes instances cette mentalité où la correction, la sanction n’a plus lieu d’être : la prison ne doit plus être que l’ultime recours, les peines doivent être aménagées, le sursis par défaut et, dans une magnifique inversion de logique, on en arrive aux déclarations ahurissantes d’Adeline Hazan, Contrôleur général des lieux de privation de liberté :
« Je pense que plus on construira de places de prison, plus elles seront occupées et que ça n’est pas une bonne solution, cette inflation carcérale d’année en année ou de décennie ou décennie. (…) L’Histoire a montré que plus on construisait de places, plus elles étaient remplies. »
Eh oui, la prison, c’est comme le débit internet, les enfants : plus on en offre, plus les gens en veulent, c’est évident ! Mieux que ça : outre l’adaptation permanente de la société à ses rejetons (et non l’inverse qui permet à toute société de conserver un minimum de cohérence), notre aimable Contrôleur propose même d’instaurer (je cite en me facepalmant) « un numerus clausus, un seuil au-delà duquel il ne serait plus possible d’incarcérer », ce qui est probablement la proposition la plus incroyablement stupide et destructrice que j’aie jamais lue ces dernières années dans le domaine.
La France manque de prisons, mais devant ce constat et les déclarations qu’on vient de lire, on comprend que son problème n’est pas immobilier, ni carcéral, ni même, loin s’en faut, législatif tant tous les domaines, mêmes les plus farfelus, disposent à présent de leur petite loi taillée pour eux. Le problème essentiel du pays est idéologique, et il a, très clairement, abdiqué devant la méchanceté de la réalité. La classe politique, les classes jacassantes, la magistrature et une bonne partie de la société elle-même ont manifestement renoncé à regarder en face l’état lamentable dans lequel est le pays, son niveau d’insécurité, l’insalubrité de ses prisons, l’incurie de ses politiciens, l’inadaptation chronique de ses lois mal écrites et mal pensées. Par idéologie, on a systématiquement refusé d’arrêter ce qui ne marche pas, et on continue donc avec les mêmes recettes pourries, le déni en bandoulière.
Depuis plus de 40 ans, on s’est évertué à croire, dur comme fer, que la gentillesse, la compréhension, l’ouverture d’esprit, l’adaptabilité, les solutions alternatives et l’humanisme à doses chevalines permettraient d’édifier une société douce, humaine et joyeuse dans laquelle l’égalité parfaite régnerait enfin. Ce faisant, on a consciencieusement pavé l’enfer, celui de nos cités, de nos quartiers infréquentables, de nos prisons et de nos villes.