|
La presse s’est trémoussée comme la
groupie qu’elle est devant l’exubérance de Mitt Romney lors du fameux premier débat de la
présidentielle américaine, qui n’était pour moi
qu’un autre de ces entretiens mixtes que l’on voit
aujourd’hui partout. Regardez la désinvolture dont a su faire
preuve Romney, face à ce pauvre Obama, engoncé dans sa
morosité présidentielle et le malheur fatiguant de
l’importance de sa personne – ou peut-être avait-il
simplement avalé une gourmandise indigeste sortie des placards de la
cuisine d’Air Force One, bu un mauvais cocktail, croqué dans une
crevette à la trop forte personnalité, ou dégusté
une empanada contaminée à l’E
Coli, qui sait…
Ce qui est certain, c'est que l'exubérance de Mr
Romney avait une saveur quelque peu piquante, un peu comme ces bières
aromatisées à la citrouille que l’on trouve partout en
cette saison, simplement parce qu’il n’a employé cette
exubérance qu’au service du mensonge, de la fabulation
statistique et de l’auto-contradiction. De temps à autres, sa
frénésie frisait ce à quoi l’on faisait autrefois
référence sous le nom d’hébéphrénie,
un terme clinique utilisé pour décrire une personne dont
l’euphorie est telle qu’elle n’a plus aucune notion de la
réalité.
Ce manque de connexion avec la réalité
correspondant parfaitement à l’air du temps, le public
Américain ne peut qu’admirer une personne faisant preuve
d’un tel dédain pour ce qu’il se passe dans
l’univers. A mes yeux, Romney m’a donné l’impression
d’être une personne prête à tout pour être
élue, alors qu’Obama semblait manifester un sérieux doute
quant à sa capacité à tenir les rênes.
Il est clair que les débats d’aujourd’hui
ne reposent que sur l’idée que les raids politiques sur
l’économie peuvent continuer à perdurer – depuis
Fannie Mae à Medicare, jusqu’au pillage systématique de
notre futur par les opérations mesquines de la Réserve
Fédérale – et qui est en réalité tout le
contraire de ce que la réalité nous réserve. En
réalité, ce qui devrait caractériser notre temps
n’est autre que le renversement sans scrupule de ces rackets
jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.
Le plus triste, c’est que tout le monde, depuis le
gouvernement jusqu’aux bénéficiaires de coupons
alimentaires et d’allocations aux handicapés, est pris au
piège dans cette vaste structure de rackets que constitue notre vie
nationale et son ampleur est bien trop terrifiante pour qu’on ose la
regarder en face. Ce qui aux yeux de beaucoup apparaît comme
étant une ‘conspiration des élites’ n’est
autre que notre de manière de vivre. Citons comme preuve le
caractère de plus en plus sinistre des crimes financiers de ces
dernières années et la manière dont ils disparaissent
dans les boyaux de l’Histoire sans que personne, ni les médias
ni la police, ne daignent en parler. En des temps aussi sérieux que
les nôtres, il se trouve que nous ne soyons pas des êtres
sérieux. Tout peut bien se passer, plus rien n’a
d’importance.
La réalité que tout le monde semble ignorer
est la contraction inévitable des industries économiques tout
autour du globe. Cette contraction est tout particulièrement brutale
aux Etats-Unis, qui ont cessé de comprendre les rouages de la
production industrielle dès les années 1970, mais sont toutefois
parvenus à écrémer les efforts des autres nations
grâce à leur réserve de devise, leur contrôle des
fraudes et leur culture d’infrastructures de services clientèle
de part et d’autre de leur verte campagne qui donnent
l’impression qu’ils sont désormais incapables de toute
création de valeur – ce qui est également la
spécialité des escadrons prédateurs de capitaux
d’investissements de Bain Capital. Tout ceci a été rendu
possible par un pétrole peu cher et, sans lui, notre mode de vie
partirait en fumée jusqu’à ce qu’il n’en
reste qu’un tas de cendres froides. C’est cette maladie
économique de stage avancé qui se répand
aujourd’hui sur toute la planète.
Vous pourriez penser que la question de savoir quoi faire
contre tout cela devrait être le sujet central des campagnes
électorales actuelles – comment réorganiser
l’industrie agricole, le commerce, les transports, les banques,
l’éducation, et tous les autres aspects de notre existence. Il y
aurait beaucoup de sujets à aborder, et beaucoup à faire, mais
cela ne semble intéresser personne. Nous assistons à la place
à des campagnes électorales fantoches n’ayant pour but
que de perpétrer les vieux rackets et, sur ce point, il n’y a
aucune différence entre Mr Romney et Mr Obama. Le caractère
superficiel de l’apparat de ces débats ne fait que déguiser
une dangereuse folie en un spectacle de clowns.
Rien de tout cela ne restera sans conséquences,
mais dans une société qui au fil du temps a oublié
jusqu’au sens du terme ‘conséquence’, personne ne
semble plus prêter attention à rien. Le poète W.H. Auden
surnommait son époque une ‘décennie lente et
malhonnête’. Aussi terribles qu’aient pu être les
années 1930, les enjeux sont aujourd’hui bien plus importants et
notre manque d’attention clownesque cache derrière lui des
chimères bien plus terrifiantes qui pourraient donner à ces
années un caractère désuet.
|
|