On entend
souvent dire que la « mondialisation » est toute
relative car l’essentiel des échanges internationaux est
concentré entre pays industrialisés, le reste du monde étant
de facto exclu de cette intégration croissante des économies.
Plus
qu’un simple rappel des faits, une telle affirmation constitue
généralement un jugement de valeur : on entend pointer du
doigt que les « pays riches » se comportent comme une
sorte de club fermé, voire de groupe privilégié laissant
le reste de la planète sur le bord de la route du
développement.
Il y a
là, si l’on y réfléchit une seconde, une
contradiction manifeste. Les contempteurs de la mondialisation, qui supposent
ici que celle-ci est source de richesse, prétendent en effet par
ailleurs qu’elle est source d’appauvrissement
(délocalisations vers les pays à bas salaires pour les pays
anciennement industrialisés, exploitation pour les populations des
pays émergents…)
Mais tel
n’est pas le seul problème de cette critique. Certes, les
échanges internationaux se font au sein de cercles restreints et
fermés. Le dernier rapport de l’Organisation mondiale du
commerce souligne ainsi que les États-Unis, la Chine, et
l’Allemagne représentent à eux seuls 1/3 du commerce
international de marchandises, alors que l’Afrique entière en
représente moins de 1%.
Il n’y a
là rien de bien étonnant.. Les pays
les plus riches sont en effet ceux dont la production et les revenus sont les
plus importants. Il est donc logique que ceux-ci soient la source de
l’essentiel des exportations et des importations.
Certes, la
concentration est extrême, comme le révèle la carte
ci-dessous, réalisée par une équipe de
mathématiciens allemands, représentant les parcours annuels des
différentes routes maritimes de la planète pris par des cargos.
Ceci est particulièrement significatif puisque 90% du commerce
international fait appel à ce mode de transport. . Or, elle indique
clairement que l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest,
et l’Asie-Pacifique sont l’alpha et l’oméga de la
mondialisation.
Mais, quelle
est la raison de cette énième application du principe de
Pareto, selon lequel 80% des effets (ici, les échanges internationaux)
tendent à venir de 20% des causes (ici, les pays
développés) ?
L’explication
est-elle, comme on le suppose d’habitude, que la mondialisation est
injuste, une sorte de macrocosme des rapports entre
« classes » existant au sein de chaque nation ? Ou
plutôt que la mondialisation est juste, car elle récompense ceux
qui la développent?
Face à
ce constat, deux interprétations sont en effet possibles. La
première consiste à déplorer que les « pays
riches » accaparent le commerce international (comme si ceux-ci se
réservaient une sorte de ressource globale). L’autre consiste
à montrer que les pays les plus riches sont ceux qui échangent
le plus entre eux, depuis le plus longtemps, bref, ceux qui n’ont pas
hésité à miser sur la mondialisation (les
échanges internationaux) pour se développer.
Pour illustrer
que tel pourrait être le cas, comparons les performances
économiques du Kenya et de la Corée du Sud depuis 1960.
À
l’époque où l’un gagnait son indépendance et
l’autre sortait de la guerre, les deux pays étaient dans des
situations comparables. En 1960,
le PIB/habitant était de 95$ au Kenya, et de 92$ en Corée du
Sud. Cinquante ans plus tard, pourtant, le PIB/habitant était de 795$,
au Kenya… et de $20,757 en Corée du Sud.
De ce fait, la Corée
du Sud est aujourd’hui considérée comme un pays
développé, et participe largement au commerce international,
alors que le Kenya est un pays relativement pauvre et
« exclu » des échanges internationaux. Mais la
raison en est que la Corée du Sud a choisi, après la guerre, de
s’insérer dans le commerce international, alors que,
après son indépendance, le Kenya a rapidement opté,
comme de nombreux pays d’inspiration socialiste, pour une politique
dirigiste et protectionniste de « substitution aux
importations. »
Aujourd’hui encore, le
taux d’ouverture du Kenya (mesuré par le ratio exportations/PIB)
est en dessous de 16%, alors que ceui de la Corée du Sud frôle
les 45%. À elle seule, la Corée concentre 4% des exportations
mondiales, contre 0,00025% pour le Kenya, dont la population est pourtant
comparable (0,005% de la population mondiale.)
Les coréens sont ainsi
18 fois plus riches que les kenyans, avec 90% de taux d’emploi en plus,
et 26% d’inégalités sociales en moins. Leur
espérance de vie est de 20 ans supérieure, et leur risque de
mourir en bas âge 92% inférieure.
Cela n’est ni
l’effet du hasard, ni celui d’injustices globales mais in fine la
conséquence de choix politiques favorables, ou défavorables,
à la liberté économique et au développement.
Certes, il ne s’agit
ici que de deux pays. Mais la comparaison serait la même dans
n’importe quel autre cas. On a ainsi tendance à oublier la
situation des pays aujourd’hui les plus développés
à la fin de la seconde guerre mondiale, quelques années avant
la signature des accord du GATT et le coup d’envoi de la mondialisation
contemporaine.
Du point de vue de leurs
populations, comme de leurs infrastructures, des pays comme
l’Allemagne, le Japon, ou la France étaient
dévastés. Aujourd’hui, ce sont certains des pays les plus
riches du monde.
Pour prendre le cas de la
France, son PIB/habitant était, en 1946, largement inférieur
à ceux de l’Argentine, du Chili, de l’Uruguay, ou encore du Venezuela.
Aujourd’hui, il est à peu près double.
On objecte souvent à
ce genre de mise en perspective que l’Europe de l’Ouest a
bénéficié du Plan Marshall. Mais, en dollars de 2011,
celui-ci s’est monté, pour l’ensemble des pays
concernés, à 120 milliards de dollars, étalés sur
3 ans, soit environ 40 milliards. C’est le montant annuel de
l’aide internationale américaine depuis 60 ans et on n’a
pas vu dans les pays concernés un développement économique
comparable à celui de l’Europe de l’ouest.
Ce n’est
certainement pas l’aide mais plutôt le développement des
échanges internationaux, à savoir la mondialisation qui
expliquent la prospérité des pays riches.
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