Deux
interprétations contradictoires peuvent être données de
l’échec de l’émission des Bunds allemands
intervenue hier. Soit que les marchés craignaient que
l’Allemagne soit entraînée dans une solidarité
financière accrue au sein de la zone euro, soit qu’ils
entendaient au contraire s’opposer ainsi à cette perspective, en
donnant un avant-goût de ce qui allait se passer.
Les
partisans d’une intervention de la BCE, les Français au premier
rang, espéraient pour leur part que cet événement
imprévu allait contribuer à débloquer la situation
à Berlin.
La
fenêtre d’un accord de compromis a minima négocié
entre Allemands, Français, et cette fois-ci Italiens, est
néanmoins très étroite. En quoi celui-ci pourrait-il
consister, dans les circonstances actuelles ? Quelles seraient ses chances de
succès ?
Il
pourrait s’appuyer sur un projet musclé de révision des
Traités européens, en appui de la poursuite de la
stratégie de diminution des déficits et de la dette publique.
En contrepartie, l’émission d’euro-obligations serait
rendue possible, en choisissant la plus restrictive des options
proposées dans le « Livre Vert » de la Commission
européenne. Accessoirement, la BCE maintiendrait au niveau actuel ses
achats d’obligations sur le marché secondaire, et le FMI se
tiendrait prêt à aider les Espagnols et les Italiens avec le
filet de sécurité de ses prêts de précaution.
Dans
un premier temps, un accord portant sur la révision des Traités
pourrait être affiché, dans l’espoir d’une
évolution de la position allemande, lors du sommet du 9
décembre prochain par exemple. Mario Monti, favorable aux
euro-obligations mais opposé à l’intervention de la BCE,
pourrait y pousser et donner son accord à une telle révision,
à condition que les investissements stratégiques de croissance
soient exclus du calcul des déficits publics.
Si
ce compromis devait intervenir, il permettrait d’éviter
l’éclatement de la zone euro, mais il est condamné par
avance, pour deux simples raisons.
1/
Il fait l’impasse sur la crise montante de la dette privée et
sur les difficultés rencontrées au sein du système
bancaire européen.
Signe
des difficultés qu’elles rencontrent, les banques allemandes
viennent de demander à l’Autorité bancaire
européenne (EBA), un délai avant de soumettre leurs plans de
recapitalisation. Elles souhaitent également que soit revu l’exigence de valorisation des obligations
souveraines au prix du marché… car celle-ci accroît leur
vulnérabilité (c’est le monde à l’envers).
2/
Son application entraîne l’Union européenne plus profond
dans la récession, rendant encore plus aléatoire
l’objectif de réduction des déficits.
Estimant
qu’une récession peut encore être évitée,
mais reconnaissant « une croissance qui décline, et est
très faible », l’OCDE est très inquiète,
selon ses propres termes. Tout en s’inscrivant sans surprise dans le
schéma stratégique des dirigeants européens, elle se
raccroche à l’idée de l’intervention du Fonds européen
de stabilité, montrant combien elle est déconnectée de
la réalité.
Cette
stratégie s’appuie sur une analyse fausse à deux titres.
Elle voit dans le seul endettement public la cause de la crise
européenne, et elle s’oppose à toute intervention de la BCE,
au prétexte qu’elle déclencherait un dérapage
inflationniste.
Les
marchés ont pourtant clairement
signifié qu’ils ne croient pas à ses chances de
succès, ayant observé ses résultats là où
elle est appliquée. Paradoxalement, ce sont eux qui appellent à
la raison des autorités européennes, ne croyant plus
qu’à une intervention de la BCE pour étouffer le feu.
Sans doute même son annonce ne suffirait-elle pas, vu le contexte, et
il faudrait que celle-ci passe à l’acte.
Dans
le meilleur des cas, le lent processus en cours va donc se poursuivre,
associant mesures de rigueur budgétaire et détérioration
accrue de la situation sociale. Seule promesse possible de gouvernements
dépassés par l’implosion qu’ils constatent mais se
repliant sur de désastreuses solutions qu’ils croient
éprouvées.
|