Selon la gazette des communes
du 8 décembre 2008, voici un premier bilan chiffré de la loi
DALO, plus connue sous le nom de "Droit
Au Logement Opposable" (et éreintée par mes
soins dans Le Figaro), votée
début 2007 après les manifestations de l'association "Dom
Quichotte" près du canal St-Martin:
Dossiers
déposés : 50 636 (au 31/12)
Demandes examinées : 26 625 (par les
commissions de médiation)
Avis favorables: 13 845
Nombres de ménages relogés suite
à une offre de la préfecture: 3 374
Le nombre de
familles pudiquement considérées comme "aux portes du
logement" se situe aux alentours de 700 000, selon des estimations
officielles (difficiles
à corroborer, faute de pouvoir compter facilement des SDF et des
cabanes de fortune dans les bois et les fonds de jardins, sans oublier les
caves et les caravanes...) reprises par la fondation Abbé
Pierre. Sans parler des familles logées, mais mal, dans des
unités surpeuplées ou dans un état déplorable.
Bref, avec de
tels rendements, la loi "Droit au logement" devrait permettre de
résoudre la crise du mal-logement vers l'année 2140, toutes
choses égales par ailleurs.
La loi DALO, une
mauvaise farce politicienne
La plaisanterie
est mauvaise, certes, mais elle n'est pas de moi. En faisant passer ce texte,
les politiciens ont joué à l'opinion une bien mauvaise farce. A
la réflexion, à l'analyse rigoureuse et à la prise de décision
courageuse qui en aurait découlé, ils ont prétendu
substituer l'action incantatoire, la pensée magique, l'illusion
d'agir, et se sont de fait bien moqué des sans logis.
Hypocrisie sans
nom que de faire croire croire qu'une sorte de miracle législatif pourrait
permettre de satisfaire en quelques mois ou même quelques années
1,3 millions de demandes de logement social en souffrance dans un pays ou il
s'en construit péniblement 40 à 100 000 par an.
Hypocrisie
encore, que d'agir comme si le vote de la loi droit au logement allait faire pousser
les centaines de milliers de logements qui nous manquent comme des girolles
sous la pluie d'automne.
Il faut une foi
maladive dans l'incantation étatique -- prions la sainte énarchie, mes frères
et soeurs -- pour croire que dans un pays où la
pénurie de bons logements excède sûrement 1,5 millions
d'unités, où le nombre de foyers à loger augmentera
encore pour quelques années de 350 000 unités par ans, la loi
DALO permettra de construire plus que les 280 000 logements annuels
prévus en 2009, du fait d'une conjoncture désastreuse, ou
même que les 430 000 logements péniblement atteints lorsque
cette même conjoncture dans le bâtiment était porteuse.
Et encore, les
relogements actuels ne sont ils rendus possibles que par la
possibilité qu'ont les préfets de puiser dans leur contingent
préfectoral (celui
qui sert normalement à loger des fonctionnaires de catégorie C,
ce qui peut se comprendre, de catégorie B, ce qui est
déjà plus contestable, et aussi de catégorie A, ce qui est
une anomalie du système... et j'oublie de mentionner les scandales de
type "Bolufer"...) pour
répondre aux avis favorables délivrés par les
commissions. Substituer dans les logements sociaux des locataires en grande
difficulté à des fonctionnaires aux emplois garantis peut
apparaître comme une excellente chose, et il faut certes souligner ce
point comme étant positif.
Mais cette
stratégie a ses limites. Le contingent préfectoral n'est pas
extensible à l'infini, et déjà l'Union Sociale pour
l'Habitat (la toute puissante confédération des organismes HLM)
s'inquiète: "le travail de diversification sociale fait par les bailleurs
sociaux pourrait être anéanti", selon son
délégué général, toujours cité par
la gazette.
Décryptons
ce charabia politiquement correct: si les offices HLM ne peuvent plus louer
aussi facilement à de bons fonctionnaires dont la carrière
évolue crescendo et les revenus sont assurés, et si ils doivent
attribuer une part importante de leur parc de logements à des familles
pauvres à qui l'on a mis dans la tête que le logement est un
droit, alors les organismes HLM peuvent craindre une explosion des loyers
impayés... Ce qui peut conduire à des difficultés
financières pour les plus fragiles. Un tel risque de défaut de
paiement obligerait l'état à faire jouer sa garantie pour
rembourser les emprunts consentis par ces OPHLM auprès de la caisse
des dépôts, mais l'état n'en est plus à quelques
milliards près, n'est-ce pas ?
La nécessité
d'équilibrer un compte d'exploitation tend à empêcher les offices HLM de jouer sans biaiser le
rôle social que leur assigne l'état.
Les associations
"représentatives" des mal logés ont la solution
à cet épineux problème: elles réclament plus de
moyens financiers spécifiques pour la loi DALO. Après le DALO,
le Droit Au Financement Opposable (DAFO), sans aucun doute. Le DAFO, vous
savez, cette invention de l'état qui fait pousser les milliards comme
les chanterelles... Quel que soit la façon dont on envisage sa mise en
oeuvre, le DALO constitue structurellement une impasse
financière.
Crise de
l'étatisme, remèdes libéraux !
Les solutions
à la crise du logement, pourtant, existent. Mais leur application ne
suppose que du courage politique, pas le recours au vaudou opposable. Elles
ne visent pas à créer de faux droits, des illusions de droits,
que personne ne peut réellement garantir. Ces solutions ne visent
qu'à redonner au marché du logement sa fonction
première, à savoir permettre à une demande
diversifiée de rencontrer une offre adaptée, limitant les
interventions de nature sociale au logement d'urgence de certains profils
marginaux chroniquement insolvables. Rappelons ce que je proposais dans mon
ouvrage, "Logement, crise publique, remèdes
privés":
- Préalable indispensable: une
loi de libération foncière. Si cela n'est pas d'abord
promulgué, on peut oublier les 5 items qui suivent...
- Unification du marché du
logement par la privatisation des logements sociaux publics au
bénéfices de leurs occupants.
- Retour à la liberté
des baux, à un droit de la responsabilité neutre entre
locataires et propriétaires) et à une plus grande
célérité pour régler les litiges entre
locataires et bailleurs.
- Remplacement des 50 dispositifs
actuels recensés par les comptes du logement par un chèque
logement dégressif (pour éviter les effets de seuil),
attribué par le trésor en fonction des revenus
déclarés.
- Libération du marché
du travail des barrières anti-immigration, au moins au sein de
l'UE.
- Fiscalité
générale au moins neutre vis à vis du placement
"logement".
Mais évidemment, ces mesures supposent de sacrifier une centaine de
milliers d'emplois dans les bureaucraties de l'urbanisme et du logement
social, tout en retirant aux élus locaux un des attributs majeur de
leur pouvoir. Inacceptable ! Mieux vaut des lois en trompe-l'oeil qui
permettent de faire croire que "l'état fait ce qu'il peut",
mais surtout, ne remettre en cause aucune des sinécures
financées par le contribuables créées par cette
situation ! Mais après cent années d'interventions à
tort et à travers dans le logement, ne serait-il pas temps de se
rendre compte que tout ce que peut l'état, c'est empirer la situation
du logement ?
Au lieu de cela,
depuis le 1er décembre, les familles insatisfaites par le droit au
logement peuvent attaquer les pouvoirs publics en justice. Je suppose que les
juges devront construire les logements manquants, eux aussi...
La loi DALO
représente ce que la politique produit de pire, l'absolu
démagogique, l'escroquerie aux bons sentiments, l'aubaine
bureaucratique.
____________
Dommages
collatéraux en vue
Si le DALO
n'était "que" inefficace ! Mais cette incapacité
à résoudre les problèmes posés n'est rien
à côté des effets pervers escomptables de la loi. Comme
toute intervention publique sur le marché du logement, la loi DALO
devrait à terme engendrer son lot de dommages collatéraux qui
ne feront qu'empirer la situation des mal logés.
Je copie colle ci
dessous ce que j'écrivais sur la loi DALO
lorsqu'elle n'était qu'en projet. Le texte n'a pas pris une ride:
Certaines personnes
pensent, de bonne foi, qu'un logement décent est un « droit
» qui doit être constitutionnalisé. De fait, suite
à des manifestations très médiatisées de sans
logis, une loi instaurant un droit au logement « opposable »
à l'état et aux collectivités locales devrait être
promulguée au cours du premier trimestre 2007. Une telle
promulgation est bien plus qu'une erreur économique, c'est une faute
politique grave.
L'inscription d'une telle
clause législative permettra sans aucun doute de donner bonne
conscience à ses promoteurs, mais en aucun cas ne résoudra les
problèmes actuels. Elle ira à l'encontre des
personnes défavorisées qu'elle serait censée aider.
Les « droits »
attachés à un individu sont de deux natures: ceux qu'il peut
exercer par lui même sans exiger un transfert d'argent en provenance de
tiers, comme la liberté, ou la propriété, et ceux, qui,
pour trouver une concrétisation dans les faits, demandent que de
l'argent soit pris à d'autres individus pour financer ces
droits.
Inscrire le droit au
logement à l'égal de la liberté revient à
permettre implicitement à des personnes décidant de ne faire
aucun effort productif de se faire financer une partie de leur niveau de vie
par ceux qui acceptent de faire cet effort. « je ne paie plus mon loyer
? Pas grave, j'ai droit au logement » ! Personne ne conteste qu'un
logement ne soit indispensable aux individus pour mener une vie simplement
décente, tout comme le sont l'eau, l'électricité et la
nourriture.
Mais garantir la fourniture
de ces biens comme un droit de l'homme sans la moindre contrepartie incitera
une part croissante de profiteurs à vivre aux crochets des autres sans
rien donner en échange. Il en résultera un appauvrissement
considérable de la nation, et une exacerbation des tensions entre
« ceux qui travaillent pour rien » et un amalgame de tous les
« assistés », quand bien même une partie de ces
assistés sont des gens qui se donnent de la peine pour sortir de cette
condition.
Un « droit au
logement » revient à affirmer que toute personne doit occuper un
logement quand bien même elle ne serait pas en capacité d'en
payer le prix réel. Pour que ce droit au logement ait une quelconque
apparence d'effectivité, le législateur devra fixer
arbitrairement le « prix » du logement à des niveaux
très bas, voire en assurer une gratuité apparente à
l'occupant – apparente, car il y a toujours quelqu'un qui doit payer
les coûts réels de la construction et de l'entretien des
logements –, et interdire les possibilités d'expulsion des
locataires qui, malgré les conditions « offertes », ne se
sentiront pas obligés de respecter leur part du « contrat
» offert par le bailleur.
Naturellement, dans ces
conditions, les logeurs privés fuiront plus encore qu'aujourd'hui le
marché locatif, quand bien même l'état accorderait
toujours plus de carottes fiscales dans l'espoir vain de corriger les effets
pervers de ses lois. Toute tentative de respecter l'application du «
droit au logement » reposera donc uniquement sur la construction
massive de logements par la puissance publique, impossible à financer
en l'état actuel de ses comptes, et aux effets
immensément pervers.
Le « droit au
logement opposable» obligera les communes à fournir un toit,
décent de préférence, à toute personne mal
logée, selon des critères qui restent à définir.
Par conséquent, de nombreuses personnes en « limite » des
conditions permettant d'accéder à ce droit estimeront n'avoir
aucun intérêt à rechercher un logement dans le secteur
privé, mais au contraire essaieront de détériorer pour
un temps leurs conditions affichées de logement pour pouvoir
bénéficier du nouveau droit ainsi créé. La
pénurie sera donc exacerbée. La seule variable d'ajustement
permettant aux bâtisseurs public de limiter cet excès de demande
consistera à diminuer la qualité des logements offerts, seul
moyen de limiter à la fois le coût d'investissement induit par
le droit au logement, et le nombre de ménages souhaitant en
bénéficier. Ce droit deviendra de fait un droit à de
mauvais logements, voire à des chambres meublées insalubres
réquisitionnées par la force publique, où s'entasseront
les familles modestes. Quel progrès par rapport aux cités HLM
des années 60 !
Exagération ? Voire.
Le cas de l'Ecosse illustre cette problématique. Depuis 1987 existait
un « Homelessness Act » qui instaurait une priorité au
logements social aux SDF les plus socialement en difficulté, ce qui
part d'une bonne intention. Cette loi avait pour intention d'éradiquer
le phénomène. Résultat, depuis 1995, le nombre de SDF
déclarés a doublé en Ecosse. Belle efficacité !
Suivant sans doute les
préceptes de quelque docteur Knock politique, selon lequel
« si un remède ne marche pas, il faut quadrupler la dose
», le parlement écossais à promulgué en 2003
un nouvel « Homelessness Act » renforcé prévoyant
que le « droit au logement » soit opposable aux
collectivités locales en 2012 et que d'ici là, plusieurs
étapes soient franchies pour placer les municipalités en
capacités de respecter ce droit. Ainsi, l'éviction des mauvais
payeurs est rendue plus difficile dès 2006. Gageons que la mesure
diminuera l'offre locative privée, comme cela a toujours
été le cas partout dans le monde dès que de telles
mesures ont été votées. En outre, dès la
promulgation de la loi, une définition plus extensive de la condition
de SDF a été mise en place, améliorant le rang de
priorité des bénéficiaires afin d'obtenir un logement
public. Ce classement administratif a été associé
à la délivrance de bénéfices sociaux
spécifiques supposés augmenter la solvabilité des
allocataires, et dont la valeur brute est supérieure à une
année de travail au salaire minimal, non imposable.
Suite au vote de cette loi,
on a constaté une hausse de... 24% des candidatures en vue d'obtenir
des logements en tant que SDF sur la seule année 2004. Selon le quotidien
« the Scotsman », sur 55000 demandes, soit 1% (!) de la
population écossaise, 38000 (plus des deux tiers) ont
été validées par l'administration, alors que seules 350
de ces personnes sont effectivement recensées comme dormant dans la
rue, les autres se trouvant dans des phases de logement provisoire
(co-location, sous-location, aide familiale ou d'amis, etc...) certes pas
toujours agréables à vivre mais qui ne constituent pas non plus
des situations de grande détresse.
Si les mêmes
proportions étaient appliquées à la France, les
candidatures au « statut » de SDF excèderaient 600.000,
400.000 seraient acceptées par l'administration, qui recevraient
un surcroît de prestations sociales de 5 Milliards d'euros (une
année de SMIC hors charges incluses par bénéficiaire) !
Et nous n'en sommes qu'au début de l'application de la loi. Rien ne
semble permettre d'espérer un tassement de l'attrait ainsi
créé au pays des lochs pour le « statut » de SDF.
Visiblement, une part croissante de la population écossaise prend rang
pour bénéficier de la manne en provenance du contribuable, et
figurer parmi les « gagnants du droit au logement ». La crainte
de l'extension d'un « parasitisme social de masse » n'est donc
pas une vue de l'esprit.
Il existe des façons
plus autoritaires de faire respecter le « droit au logement ».
L'Union Soviétique, qui devait prouver au monde qu'elle logeait tous
ses assujétis, avait résolu le problème, si l'on peut
dire, en imposant par la force aux occupants des logements existants la
cohabitation avec d'autre familles. Environ 20% des logements de Moscou
étaient des « Komunalka », et les autorités
considéraient comme satisfaisant un ratio de... 9m2 par personnes ! Le
droit au logement poussé à l'absurde risquerait de nous
conduire à notre tour vers de telles extrémités. «
Vous vivez dans un grand HLM ? Vous accepterez bien de le partager avec une
seconde famille ? »
Il est en fait plus que
probable que face à ces perspectives, le « droit constitutionnel
» au logement ne devienne qu'un droit de façade, destiné
à donner l'apparence que l'état et les collectivités
« font quelque chose » pour loger les plus pauvres, mais que le
législateur et les tribunaux s'empresseront de vider de son sens par
quelque tour de passe-passe textuel dont notre technocratie est
coutumière.
Bienvenue dans
l'avenir radieux que nos élites nous préparent. La loi DALO
représente réellement tout ce que les politiciens peuvent
produire de pire.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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