La
cause est entendue : Barack Obama et David Cameron ont demandé aux
dirigeants de la zone euro une action immédiate, craignant le
télescopage des crises espagnole et grecque, et Angela Merkel a répondu en annonçant qu’il
ne faut pas attendre des merveilles du sommet de fin juin. Elle
prétend inscrire l’évolution de l’Europe dans le
cadre d’une union budgétaire et politique à long terme (d’ici
5 à 10 ans selon Mario Draghi) et freine des
quatre fers devant toutes les mesures qui assoupliraient la remise en ordre
préalable des finances publiques, selon le calendrier et les
critères qu’elle a déjà fait adopter.
Pour
l’appliquer, il lui faut de plus en plus passer par le chas d’une aiguille. La renégociation des
termes du sauvetage grec est inéluctable, sauf à
précipiter une sortie de l’euro avec toutes ses inconnues, comme
l’est une configuration à trouver pour le plan qui attend
l’Espagne. Dans les deux cas, les prétendants au pouvoir, ou le
gouvernement en place, cherchent de nouveaux gisements
d’économie afin de ne pas imposer des mesures
d’austérité supplémentaires. À
écouter Antónis Samarás,
le leader grec de Nouvelle Démocratie, il faut les trouver en prenant
des mesures contre la fraude fiscale et le gâchis. Chiche ! Dans les
deux cas, il va falloir étaler le désendettement public afin de
rendre son calendrier initial compatible avec cette nouvelle donne, sans plus
de garantie de résultat. Les négociations s’annoncent
tendues, favorisant par le climat qu’elles créent la contagion
à d’autres pays de la crise aiguë.
Le
système bancaire européen a été identifié
comme étant le vecteur de celle-ci. Mais l’équipe
allemande au pouvoir n’entend pas dévier de la route
qu’elle a tracée sur ce sujet comme sur les autres. Pas question
d’aider directement les banques, si ce n’est par
l’intermédiaire des États, ce qui revient à
accroitre encore la charge de la dette publique et à resserrer le
nœud gordien qui unit celle-ci à la dette privée. Tout ce
qui pourrait inciter les gouvernements à lever le pied du frein
budgétaire est proscrit.
Quelles
hypothèses les experts appelés à analyser les besoins
financiers des banques espagnoles vont-il
retenir ? Deux curseurs doivent être positionnés : une
hypothèse de croissance (négative) et un ratio de fonds
propres, qui fait à ce stade l’impasse sur leur
définition précise et laisse tout ouvert. La suite est une
cuisine qui consiste à analyser les actifs des banques, les distribuer
suivant leurs qualités présumées, puis leur attribuer
une décote, le tout sur une période de temps définie.
Afin de ne pas négliger les incidences politiques de ces choix
économiques, la tentation est grande de faire les calculs à
l’envers et de partir du résultat final que l’on veut
atteindre pour en déduire les hypothèses de départ ! Les
estimations actuellement varient entre 40 et 200 milliards d’euros.
On
s’oriente vers un nouveau type de sauvetage permanent et
à petits pas de l’Espagne, à l’image de la
stratégie générale adoptée par Angela Merkel, qu’elle a su jusqu’à
aujourd’hui imposer. Durer, toujours durer…
Que
peuvent bien attendre les marchés de la BCE, qui fondent tous
leurs espoirs en elle ? Celle-ci maintient ses dispositifs d’assistance
aux banques, mais a interrompu ses achats obligataires sur le second
marché destinés à aider les États en
péril. Elle se réserve seulement la possibilité
d’intervenir en cas d’urgence, si la situation dérape
brusquement, mais se refuse à suivre l’exemple de ses
collègues américain et britannique et à endosser une
plus grande responsabilité qu’elle pense ne pas être de
son ressort (ou qu’elle se sent incapable d’assumer).
Un
détour vers la Fed et la Banque d’Angleterre aide à
mesurer les limites de l’action des banques centrales. Reprendre leurs
achats d’actifs financiers donnerait-il plus de résultats que
lors des épisodes précédents ? La Fed peut
accroître la maturité moyenne de son portefeuille
d’obligations souveraines pour peser sur les taux longs, comme elle
l’a déjà entrepris, mais les taux à 10 ans
étant déjà très bas, qu’est-ce que cela
pourra apporter de mieux ? Elle peut aussi à nouveau acheter des
prêts immobiliers, ce qui soulagera les établissements
financiers mais ne relancera pas un marché toujours sinistré.
Après un débat que l’on devine avoir été
dense, la Banque d’Angleterre vient de son côté de
décider de… ne rien faire. Ben Bernanke,
le président de la FED, a fait de même, décevant les
attentes. Rapportée à l’Europe, la leçon est
simple à en tirer : la boîte à outils des banques
centrales ne contient pas les moyens de relancer l’économie,
elle permet seulement de maintenir à flot le système financier.
La BCE n’est pas mieux lotie que ses consœurs et si sa
réserve actuelle peut être mise sur le compte d’un calcul
politique, elle correspond aussi à ce principe de
réalité.
La
théorie bien connue du sparadrap que l’on arrache ne souffre pas
de contestation : cela fait moins mal d’un seul coup ! Tout le
contraire de la stratégie qui est suivie. À force de
différer, le montant des additions monte, à commencer par
celles des sauvetages successifs des États et des banques. Il
en résulte un écart grandissant entre les moyens financiers qui
doivent être mobilisés et les effets de la récession qui
s’approfondit. Le coût de plus en plus inabordable de la crise
augmente en conséquence.
Au
congrès de l’Institute of International Finance, son directeur
général Charles Dallara vient de
déclarer que « le désendettement est allé trop
loin », sous-entendant que le futur cadre réglementaire de
Bâle III était de mauvaise incitation pour les banques. On
constate en effet que le crédit diminue et, bien pire pour les
banques, que d’autres acteurs dont les assurances viennent marcher sur
les brisées de l’intermédiation bancaire. Ou que les hedge funds laissés
à eux-mêmes connaissent une nouvelle vigueur, profitant sur les
marges des terrains délaissés par les banques.
Une
« pause » est réclamée pour les banques, comme si
celle qui se profile pour le désendettement des États ne
suffisait pas ! C’est toute une stratégie qui continue de
vaciller, dont l’effondrement est contenu dans l’improvisation,
ce à quoi elle se résume finalement.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
.
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