Désolé
de vous ennuyer avec mon néo-pessimisme rabat-joie juste avant les
vacances d'été. Je sais, vous voudriez croire à la
reprise déjà là, que la remontée du CAC à
3200 points souligne la confiance retrouvée des agents
économiques, que les plans de relance vont réussir, d'ailleurs
Marc Fiorentino l'a bien dit sur BFM... la France n'est pas
sur-endettée, le grand emprunt va financer des dépenses
"d'avenir", la reprise est pour demain... Et puis vous voudriez
partir en vacances tranquilles, profiter de la plage, des barbecues, et de
l'anisette sur une terrasse de café de vieux village en jouant aux
cartes.
Mais j'ai tout de
même décidé de jouer à nous faire peur.
L''annonce de la
situation "d'urgence fiscale" de la Californie, qui fait que cet
état ne peut plus faire face à ses obligations tant qu'un
accord budgétaire n'a pas trouvé une majorité des deux
tiers, a fait dire à certains que c'étaient l'ensemble des USA
qui risquaient d'être en cessation de paiement. C'est sans doute aller
un peu vite en besogne à très court terme, encore que la
faillite du Golden State puisse avoir des répercussions sur le moral
des investisseurs chargés en dette américaine.
Mais il ne faut
pas se le cacher: comme les tous derniers chiffres de l'emploi aux USA
viennent de le confirmer (encore -500 000 en juin), la très
légère embellie des marchés financiers ne doit pas
cacher que l'infernale glissade de l'économie américaine est
loin d'être terminée.
Pas plus tard que
vendredi
dernier, j'écrivais en substance, que "bien
malin qui peut prédire si nous allons vers une période de
déflation soutenue ou d'hyperinflation aux USA", tout en
penchant, avec moult précautions oratoires, pour un retour
prévisible de l'inflation, mais à échéance
inconnue.
Depuis, mon
pessimisme inflationniste concernant l'oncle Sam n'a fait que croître.
Et la chute pourrait être relativement rapide... Passons en revue
quelques uns des dangers qui pourraient transformer la crise actuelle en
cataclysme susceptible, ni plus ni moins, que de couler le dollar.
Prêts
immobiliers : nouvelle vague de faillites en vue
Tout d'abord, je
rappelle que selon le crédit suisse (cf.
graphes dans cette note), ce sont environ 600 milliards
de dollars de prêts immobiliers divers (prime, subprimes, ajustables,
fixes...) qui vont subir un réajustement contractuel entre fin 2009 et
fin 2012, que ces réajustements vont entrainer une hausse des
paiements mensuels des ménages concernés, et vont donc conduire
une partie de ces ménages à la faillite. La question est: quel
pourcentage ?
Selon une
étude de l'université de Chicago citée par the Economist,
actuellement, un ménage sur 4 se mettant en faillite est un
ménage qui "peut payer" mais choisit de ne pas le faire,
soit parce que la loi de l'état de résidence prévoit que
la récupération de la maison par la banque s'effectue pour
solde de tout compte, soit parce que même si l'emprunteur est encore
redevable à la banque de la différence entre le prix de la
maison et le capital restant dû, l'emprunteur parie sur
l'incapacité de la banque, débordée par les faillites,
de mettre quoi que ce soit en recouvrement. Sans parler des
possibilités de "bailout" offerts par les plans de
"sauvetage" de l'administration Obama.
Or, toujours
selon l'enquête, ce pourcentage de faillites
"stratégiques" augmente au fur et à mesure que les
barrières morales au fait de "planter sa banque"
s'effondrent: lorsque l'emprunteur connait quelqu'un qui a déjà
fait défaut, ou lorsqu'il habite un quartier ou les faillites
personnelles se multiplient, abaissant grandement la valeur des maisons du
quartier: pourquoi continuer à rembourser 250 000 $ sur une maison qui
n'en vaut plus que 150 000 et qui n'a aucune chance de ne retrouver qu'une
partie de sa valeur parce que le quartier se transforme en ville
fantôme ?
Aujourd'hui,
environ 3% des prêts immobiliers ont été forclos et 9%
sont en détresse. Tout porte à croire que cette proportion va
augmenter. Et comme les foreclosures se produisent en priorité sur les
propriétés les plus surévaluées (Californie,
Floride...), cela signifie probablement que 12% des prêts en
désarroi représentent plus de 18-20% de l'encours total des
prêts immobiliers... Et ce pourcentage va augmenter. Or, l'encours de
prêts au sommet de la bulle était d'environ 12 000 milliards.
Environ 1000 milliards de provisions ont été passées par
les grandes banques du monde en 2008. Combien de nouvelles pertes restent-t-elles
devant nous ?
Les plans de refinancement
des prêts d'emprunteurs en difficultés avec l'argent du
contribuable sont un demi-échec, et sans doute un 3/4 d'échec
dans les mois à venir : au bout de 6 mois, le taux de
re-défaillance atteint déjà 40%, et
dépasse 50% pour les prêts
renégociés il y a 12 mois, qui n'étaient pas
forcément les plus fragiles (les
critères d'accès à ce programme ont déjà
été assouplis depuis l'entrée en fonctions du nouveau
président). C'est sans doute parce que ces plans ne
marchent pas très bien que l'administration Obama... a
annoncé leur prochaine extension.
Quel montant de
pertes au final via la titrisation ?
Si l'on s'en
tient aux seuls prêts à réajustement contractuel, 600
Milliards de dollars sont déjà une somme en soi, mais rappelons
nous que le recours à la "titrisation par
tranches", déjà évoqué
ici -- et dont je
rappelle, avant que le nouveau lecteur ne crie à la faillite du
marché, que l'essor a été provoqué par la
stupidité des règles Bâle I et II, longuement
développée ici même, et législativement
adaptées par la plupart des grands états -- a
disséminé ces 600 milliards de prêts très
risqués dans une bien plus grande montagne d'obligations dites toxiques,
bien que notées AAA par les agences de notation lors de leur
émission initiale -- Dont
l'oligopole est consacré par la loi US, autre
rappel.
D'autre part, il
est impossible de savoir précisément quelle est la part de ces
obligations pourries détenues hors USA. L'abandon des règles de
mark-to-market, même si ces règles sont contestables, a de ce
point de vue un gros inconvénient: les banques profitent d'un instant
de répit pour tenter de rétablir leur situation de façon
relativement opaque. Et ce ne sont pas les "stress tests" qui vont
me rassurer outre mesure.
Quelle est la
part de ces actifs "toxiques" détenus par des banques US et
déjà rachetés par le trésor ou la FED ? Je ne
sais, personne ne le sait, puisque la FED maintient la plus grande
opacité sur ces achats, au point que bloomberg a porté plainte
contre la banque centrale au nom des lois sur l'accès à
l'information en vigueur aux USA en décembre. A ce jour, les
détails révélés par la FED sous la pression ne
permettent pas de savoir dans quelle mesure les actifs ci dessus
décrits sont déjà rachetés par la FED, par le
trésor dans le cadre du programme TARP, ou pas.
S'ils ne le sont pas, les banques vont devoir enregistrer une nouvelle vague
de pertes abyssales, qui aboutiront sûrement à de nouveaux
"bailouts". S'ils ont fait partie des actifs toxiques
rachetés par la FED, c'est le bilan de cette dernière qui perd
toute crédibilité. Ce qui veut dire que la FED aurait
augmenté les lignes de crédit de plus de 350 banques pour le
mois de mai bien au dessus de la valeur des actifs apportés en
contrepartie. Création monétaire sans création de valeur
associée: justement le carburant qui a causé la bulle immobilière
! (le comburant
étant la réglementation foncière, re-rappel)
L'immobilier
commercial : une bulle aussi
Sur le front des prêts
pour l'immobilier commercial (bureaux et commerces), la
situation n'est pas meilleure. Le boom immobilier a engendré un regain
des investissements commerciaux. Or aujourd'hui, nombre de bâtisseurs
et d'exploitants de "malls" sont au bord du gouffre, faute de
commerces en bonne santé. Le second d'entre eux aux USA, General
Growth Properties, vient de se déclarer en faillite.
Environ 530
milliards de dollars de prêts immobiliers commerciaux à
"cliquet", c'est à dire à réajustement
contractuel en cours de vie du prêt, arriveront à date de
réajustement entre 2009 et 2011. Les banques en manque de fonds
propres ayant dû considérablement resserrer leurs
critères d'attribution, certains estiment que jusqu'à 68% de
ces prêts pourraient ne pas pouvoir être refinancés.
Certes, les entreprises n'ont pas les mêmes "incitations" que
les ménages à se mettre en défaut. Tous ces prêts
ne finiront pas en pertes. Dans un certain nombre de cas, les emprunteurs
râcleront les fonds de tiroir et réduiront le total de leur
bilan. D'autres renégocieront avec leur banque, qui essaiera de
trouver un compromis pour limiter les pertes. Mais sur les 3,5 milliards de
dollars de prêts commerciaux en cours, le taux de défaillances
pourrait atteindre, selon plusieurs banques, 6% au quatrième trimestre
2009, contre 1,7 au premier. Là encore, les défaillances
risquent de toucher les prêts les plus coûteux, car les prix de
l'immobilier commercial obéissent à la même logique que
ceux de l'immobilier résidentiel: la rareté du terrain gouverne
la taille de la bulle. 6% de prêts défaillants
représenteront plus sûrement 9-10% de l'encours.
Là encore,
quelle est le degré de contamination de l'ensemble du papier
obligataire par ces prêts commerciaux ? Quelle est la part du sinistre
détenue par les banques US ? Européennes ? Ces actifs toxiques
ont ils déjà été repris dans le cadre du TARP ou
des programmes de rachat d'actifs douteux par la FED ? Si oui, dans quelle
proportion ? Celui qui trouve le renseignement gagne ma reconnaissance
éternelle.
La dette du
trésor : une bulle sur le dollar ?
Si votre
optimisme n'est pas encore douché, voici le coup de grâce.
Selon cette
étude très documentée d'un fonds d'investissement
dénommé Sprott associates (PDF, 5 pages),
le trésor US devra trouver des emprunteurs pour 2 000 milliards de
nouvelle dette, à comparer aux 705 milliards de l'année
précédente, ce qui était déjà beaucoup.
Sans parler, évidemment, des dettes arrivant à
échéance, dont il faudra que les emprunteurs les
renouvellent.
Or,
l'étude de Sprott montre que les détenteurs de dette, au mieux
augmentent leur exposition lentement, en privilégiant l'augmentation
des bons à court terme, au pire, réduisent leur exposition. Je
pense qu'il y a une part de dramatisation dans l'étude Sprott (après tout, toutes ces
liquidités injectées par la FED, les banques devront bien en
faire quelque chose... Comme les prêter au trésor ?)
mais la tendance qu'elle montre est tout de même réelle.
En effet, les fonds propres en débâcle des banquiers et
assureurs réduisent leur capacité d'emprunt hors
"injections". Or ces deux familles d'entreprises sont les
principaux détenteurs de papier du trésor. Ensuite, les
emprunteurs étrangers commencent à se montrer nerveux et n'ont
pas massivement augmenté leurs avoirs entre décembre 2008 et
avril 2009: +120 milliards environ,
ce qui est insuffisant pour combler les nouveaux besoins d'emprunts US. Pis
même: ils se renforcent de plus en plus en obligations à courts
termes (treasuries) mais augmentent très peu leur portefeuille en
Bonds et en Notes, malgré les émissions nombreuses
déjà mises aux enchères.
"Mieux"
encore, on apprend que les régimes de retraite ("social
security"), ainsi que les assurances maladies publiques, qui
investissaient leurs surplus en bons du trésor, seront vendeurs nets
dans les années à venir, à cause des déficits
naissants. Les caisses de retraite, et autres fonds mutuels, ne sont pas en
meilleure posture.
Bref, hormis
quelques investisseurs individuels, peu de groupes d'acheteurs seront
prêts à tripler leurs avoirs dans les émissions du
trésor. En tout cas pas aux taux actuels.
La FED, le
pompier pyromane
Tous, sauf un: la FED. Bernanke l'a dit: la FED rachètera directement
la dette au trésor par création monétaire si
nécessaire.
Mais en
déclarant que le "quantitative easing" ferait partie
de sa panoplie anti-crise, la FED n'a fait que précipiter la
défiance : les investisseurs ont peur pour la valeur future de leurs
placements. D'ores et déjà les taux exigés à long
terme remontent, provoquant une baisse de la valeur des bons
déjà émis.
Ajoutons que
nombre de pays vont dans le même temps augmenter leur appel à
l'épargne. Si l'Europe maintient sa ligne peu favorable (enfin, moins
ouvertement favorable...) au Quantitative Easing, il n'est pas impossible que
des prêteurs qui autrefois privilégiaient le dollar se reportent
sur l'Euro.
Or, si le
marché ne peut absorber la dette émise par le trésor US,
la FED aura le choix entre laisser l'état US se déclarer en
défaut de paiement (faillite déclarée), ce qui est très
peu probable au vu de la philosophie de l'administration actuelle, soit
racheter de la dette de l'état par QE à tour de bras (faillite
masquée par dévaluation progressive du dollar). Et par
conséquent, dès que cet argent reviendra dans les circuits financiers,
au lieu de dormir dans des fonds de bilan bancaires, une forte inflation fera
son très grand retour. Dans quelles proportions ? Je n'ai pas de boule
de cristal sur moi.
Si cette
hypothèse se vérifie, alors le dollar entamera un grand
plongeon, qui surpassera largement le pic de 1,60$ / 1€ atteint au
milieu de l'année 2008. Reste à prévoir le bon timing.
Demain ? Dans 18 mois ?
Conclusion :
Si
l'été sera chaud pour les vacanciers, la rentrée
2009-2010 sera bien plus que cela. Si la réplique du tremblement de
terre de septembre 2008 sera peut être moins spectaculaire, elle ne
sera pas moins dévastatrice, car les fondations du système
financier ont été fortement endommagées par la
première vague de sinistres.
Quant aux
conséquences en dehors des USA d'un plongeon du dollar... Allez, je
vous laisse partir en vacances, vous avez assez souffert.
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Et chez nous ?
Certains me
diront que la France pourrait plonger avant les USA, puisque nous aussi
multiplierons notre besoin de financement par 2 à 3 entre 2008 et
2009.
Certes, mais
nous, nous ne pouvons pas imprimer des euros, du moins la BCE nele peut pas
aussi ouvertement que la FED. Pas pour l'instant. Une incapacité
à trouver des prêteurs signifierait donc tout simplement la banqueroute
de l'état, avec des conséquences bancaires que je n'ose
même pas imaginer. Les USA, eux, choisiront sans doute la voie de
l'hyper-inflation, surtout s'ils sont persuadés de pouvoir la
"contrôler", c'est à dire la maintenir sous les
20%.
Un report de
prêteurs effrayés par le QE pratiqué par Bernanke vers
l'Euro pourrait toutefois donner un répit à nos trésors
européens. Mais peut être pas, et, de toute façon, ce
soulagement serait de courte durée, vu l'aggravation des dettes dans
toute l'union.
Sachant que
d'autres états devraient plonger avant nous (l'Italie est encore plus
mal en point), et que l'effet domino d'une telle faillite n'est pas
modélisable avec mes faibles moyens...
En gros, "on
est mal", mais on peine à deviner quelle est la première
de ces bombes à retardement qui va exploser, et j'ai beau chercher la
moindre raison d'espérer me tromper, je ne la trouve pas.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard,
ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek
(Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France,
"Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement à
l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il ose
proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog
"Objectif Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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