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Il y a quelques semaines, je m’envolais pour Chicago
avant de m’engager, au volant d’une voiture de location, sur la
voie rapide traversant l’ancienne région industrielle du
nord-ouest de l’Indiana, située en bordure du Lac Michigan,
entre les petites villes de Whiting et de Gary. Je
peux vous assurer que bien que les vestiges de constructions humaines gisant
sur ces sols désolés soient à donner la nausée, plus
vertigineuse encore est la rapidité à laquelle cette
région des Etats-Unis autrefois prospère a sombré dans
la misère et la ruine.
Il y a seulement 150 ans, cette région
n’était que marécages, dunes, fondrières et
étangs à perte de vue. Ses vastes espaces en ont rapidement
fait un endroit idéal où construire une multitude de voies de
chemins de fer, et il ne fallut pas attendre bien longtemps avant que de
grosses usines nées de l’ère industrielle ne viennent
s’y installer, profitant de leur proximité avec le nouvel
organisme urbain qu’était alors Chicago. Les aciéries de
Gary ont depuis longtemps disparu, et les murs d’anciennes boutiques
tenant encore aujourd’hui debout n’ont plus l’air que
d’abris fantômes en bordure de la voie rapide.
La seule entreprise autrefois implantée dans la
région qui existe encore aujourd’hui est la raffinerie BP,
anciennement Standard Oil. De son usine partait un
méli-mélo de tuyaux s’étendant sur plusieurs centaines
d’hectares, et qui il y a quelques dizaines d’années
crachait encore dans l’atmosphère des flammes de gaz oranges et
bleues avec pour toile de fond la couleur rosée du lac Michigan au
lever du Soleil. La raffinerie avait été construite afin de
supporter le seul secteur industriel de la région qui ait
survécu jusqu’à aujourd’hui: l’automobile.
Prenant conscience de la désolation des lieux, je n’ai
pu m’empêcher de me demander où pouvaient bien se rendre
toutes les voitures circulant en accordéon autour de moi. De temps
à autres, entre les carcasses d’usines se découpaient
contre le bleu du ciel de petites villes et d’anciens quartiers
d’habitation dans lesquels, il y a de cela cinq
générations, des immigrants d’Europe de l’Est étaient
venus s’installer. Une grande majorité des bâtisses
semblaient y avoir été saisie, à en juger par les
panneaux de bois cloués sur les multiples portes et fenêtres. Il
existe certains endroits comme celui-ci qui vous inspirent tant de nostalgie
que vous ne pouvez que vous sentir déprimé à
l’idée de ce qu’était autrefois la vie dans cet
étalage infini de cubes de briques pas plus grands que des
boîtes à chaussures. Le nombre de texmex implantés dans
la région laisse penser que l’ancienne population immigrante
d’Europe de l’Est a depuis quelques temps été
remplacée par une vague d’immigrants Mexicains, ayant
hérité d’infrastructure qui, déjà lors de
leur construction, faisaient preuve d’un manque profond de sens artistique,
et qui aujourd’hui ne ressemblent plus qu’à un amas
rouillé de matériaux se désintégrant de la
manière la plus spectaculaire qui soit, lui donnant à certains
endroits un caractère presque sublime, scintillant tel une flaque de
pétrole à la lumière du Soleil. Il y avait en ces lieux
une grandeur que l’on aurait pu comparer à celle de la
région de Tchernobyl, le souvenir de quelque chose qui n’aurait pas
fonctionné aussi bien qu’on ne l’aurait
espéré.
Et les gens allaient et venaient, depuis la banlieue de l’est
de Chicago jusqu’aux squelettes d’anciennes bâtisses qui
faisaient autrefois la grandeur de la ville de Gary, où les vieux
porches de bois disparaissent aujourd’hui sous la
végétation, se fondant aux prairies alentours, et où le
XXe ne paraît plus être qu’un mythe lointain. Je suppose
que la naissance de Michael Jackson en ces lieux a à une époque
pu intéresser certains curieux, mais elle aussi ne fait
désormais plus partie que de l’histoire ancienne, se fondant aux
fables en Wyandot et aux aventures du Grand Ouest.
Il semblerait que se déplacer au volant d’un véhicule
à moteur soit la seule activité humaine qui soit encore
pratiquée dans cette région des Etats-Unis. Bon nombre de
véhicules que j’aie pu observer dans ce
coin oublié de l’Ouest des Etats-Unis n’étaient pas
plus que des tas de ferrailles occupés généralement par
deux jeunes hommes semblant chercher quelque chose. Je me demande ce qui
pouvait bien les pousser à parcourir
désespérément ces lieux à la recherche de quelque
chose qui ne semblait certainement pas y exister.
Je n’ai jamais été aussi heureux qu’après
avoir quitté cet amer vestige de Rêve Américain de
plusieurs centaines de kilomètres carrés. Je conduisais, comme
toutes les autres personnes autour de moi, sur le Dan Ryan Expressway (US I-94), et sur plus de 30
kilomètres, entre Pullman et West Loop, le
trafic routier ressemblait plus à un contenu gastro-intestinal qu’à
autre chose. Voici ce qu’il reste de ce qui autrefois était le
pouls des Etats-Unis : un endroit si sinistre que vous n’aspirez
qu’à vous en échapper le plus rapidement possible et
oublier ce que vous avez pu y voir. Le retour de cette région à
la nature – ou du moins à ce qu’il reste aujourd’hui
de la nature – ne sera certainement pas dérangé par les
projets politiques de Barack Obama et de Mitt
Romney. J’espère simplement ne plus être là lorsque
plus aucune voiture n’y circulera.
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