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L’actualité,
disait à peu près le philosophe Friedrich Nietzsche, change de
sens selon les forces qui s’en emparent. Vus depuis les Etats-Unis, les
déboires de la Grèce prennent ainsi un tour tout à fait
singulier. Ici, les questions de monnaie commune et de construction
européennes sont largement perdues de vue, et ce sont les
considérations fiscales qui occupent le premier plan.
C’est
que ces dernières sont brûlantes, en cette année
d’élection où l’échec unanimement admis du
Président ‘‘Oh, bummer’’
(que l’on pourrait traduire par ‘‘Quelle
poisse!’’) laisse face à face des candidats
Républicains en opération séduction auprès du Tea Party et une mouvance Démocrate
en quête d’un nouveau Messie porteur d’espoir et de
lendemains radieux.
Vous voulez,
au fond, rapprocher notre chère Amérique des États
Providence d’Europe, fanfaronnent les Conservateurs; eh bien
voilà ce qu’il en coûte : dette et ruine publiques.
Tel est le cercle vicieux de la démocratie sociale : plus
l’État dépense, plus il freine l’activité,
creuse son endettement, et empêche la croissance. La solution ? Équilibrer - en le restreignant - son budget. Le
marché fera le reste.
Contre cette
profession de foi en la Main Invisible, la gauche américaine articule
de plus en plus bruyamment l’objection suivante - faisant écho
aux vociférations des Indignés :
certes, l’État accapare en Grèce la moitié du
PIB, dont les trois quarts pour les seules rémunérations des
fonctionnaires et prestations sociales… mais, cela le classe dans la
moyenne des pays européens, à une dizaine de points de la
Suède, ou encore de la France.
Le
problème n’est donc pas celui des dépenses publiques,
mais des recettes fiscales. Depuis 2000, celles-ci n’ont-elles pas
diminué de près de 20%, en proportion des richesses
produites ? Comment des déficits monstres et un endettement fou
pourraient-ils être évités, dès lors que taxes et
impôts prélèvent à peine plus de 35% du PIB ?
La solution ? Une plus juste répartition des richesses par une
imposition plus progressive.
Entre ces deux
argumentaires, où peut donc bien se trouver la
vérité ? Quelque part au milieu, serait-on tenté de
répondre. Mais c’est là une mauvaise habitude
démocratique, le dogme selon lequel compromis et relativisme sont des
valeurs absolues. Or cela est, plus encore qu’une erreur, une faute
logique.
Lorsque deux
avis s’opposent, en effet, ou bien l’un et l’autre sont
erronés, et alors la vérité est ailleurs, dans une tierce
position ; ou bien l’un l’emporte en fin de compte,
serait-ce pour une raison qui reste à découvrir. De fait, tel
est le cas, ici.
Comme
l’affirment les Républicains, la tragédie grecque
provient bien d’un excès de dépenses publiques.
Abstraitement, les Démocrates ont raison : n’importe quel
budget de l’État peut être équilibré par un
niveau correspondant de prélèvements obligatoires. C’est
là une considération bêtement mathématique,
cependant.
En
réalité, les taux d’imposition requis ont toutes les
chances, dès lors qu’ils doivent être confiscatoires,
de brider, voire de restreindre, les montants collectés. Qu’il
s’agisse de l’impôt sur les revenus, la valeur
ajoutée, ou les bénéfices, ou encore du montant des
charges sociales, la Grèce se classe largement au-dessus de la moyenne
européenne. Or, comme l’expliquait Arthur Laffer
avec sa fameuse courbe, une spoliation croissante finit par jouer contre
elle-même, de telle sorte que l’impôt tue
l’impôt.
Les raisons
sont multiples: dés-incitation, fraude et évasion fiscales,
mais aussi développement de l’économie informelle. Une
étude récente estimait, par exemple, cette dernière
à 25% du PIB, en Grèce, avec une croissance de 1.5% pour chaque
point supplémentaire d’imposition.
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