Maintenant que l’affaire Cahuzac est bouclée, on
va pouvoir se concentrer sur les vraies questions essentielles du pays comme
le nombre de livrets LDD détenus par Montebourg (car deux, c’est mieux qu’un)
ou la réduction des vitesses maximales sur les autoroutes
(parce que si la vitesse tue, l’immobilisme tue aussi mais plus lentement
donc c’est mieux). Oh, et puis entre deux petits fours festifs, on va
peut-être parler budget, déficit et dette publics, monsieur Moscovici ? Non ?
Allez, si, un peu tout de même !
Et ça tombe bien, parce qu’il y a de quoi faire, finalement !
Lundi soir dernier, le peuple français découvrait, goguenard et agacé, que
nos ministres frôlaient la misère et montraient une absence de capacité assez
catastrophique en matière de gestion de leurs finances personnelles. Entre
des comptes courants abondants mais rikikis, la
multiplication dangereuse de prêts personnels sur un immobilier manifestement
vacillant ou en ruine (à en juger par les valorisations retenues), le tout à
des taux de crédit mal négociés, les pathétiques détenteurs d’un maroquin
républicain ont très clairement joué la carte de l’humour (ou du foutage de gueule, c’est selon).
Mais là, aujourd’hui, fini la rigolade ! Maintenant, on va parler un peu
de la France. C’est du sérieux ! Et comme le moral est un peu dans les
chaussettes actuellement, on va miser sur l’optimisme (béat ?) et la méthode
Coué, ainsi qu’une furieuse moisson d’objectifs youpis-youpis,
mélanges de chiffres ciselé dans ce bois dont on fait les pipeaux les plus
chantants et d’un enrobage communicationnel pétillant.
Et c’est ainsi que notre petit Moscovici, l’actuel patron du Ministère de
l’Absence d’Économie et des Trous dans les Finances, vient de nous présenter
son travail de fin de cycle pour remise de diplôme et qui lui permettra
peut-être de valider une UV pour l’année suivante. Qu’il était mignon, dans
son petit costume un peu étriqué, avec ses lunettes proprement posées sur son
nez, à venir présenter sa belle réalisation avec tout le sérieux qu’il
pouvait rassembler, la voix un peu nouée par le trac des débutants !
…
Non, je déconne. Ce que vous avez vu faire par le petit Pierre, si cela
paraît aussi rigolo, aussi facile, c’est parce que nous avons en réalité face
à nous un véritable professionnel. Ne faites pas cela chez vous, vous
pourriez vous faire pincer très très fort ! Ce
n’est pas un débutant et malgré les annonces consternantes qu’il a faites,
c’est bien une fort habile cascade que nous avons observé. Elle n’empêchera
pas, bien sûr, que nous nous fassions tous très mal ensuite, mais le petit
Pierre, lui, s’en sortira sans souci !
Et quelle cascade ! D’après lui, l’année 2013 – 2014 va roxxer ! Déficit à 3.7% du PIB en 2013, puis à moins de
3% en 2014, pour s’affaler mollement autour de 0.7% en 2017, croissance de
0.1% en 2013 (oui, 0.1% de croissance, c’est géniiiiiial,
toute cette belle croissance qui turgesce à fond
les ballons ! Le printemps est de retour, les enfants !) 1.2% en 2014 (parce
que nous valons au moins ça) et 2% (oui, oui, 2 Putains De Pourcent, Tout
Entiers) pendant le reste du quinquennat de Louis
Hollande ! Pas de doute, Pierre vient de faire décoller la fusée du
changement ! On va tout péter c’est Pierre qui vous le dit, y compris le peu
de crédibilité qui nous restait ! C’est, véritablement, exceptionnel !
Littéralement, c’est même incroyable.
Surtout pour les organismes internationaux comme la Commission Européenne,
et le FMI : ni l’une, ni l’autre ne partagent l’avis du ministre dans son
petit costume. D’ailleurs, le FMI prévoit carrément une récession pour la France (de 0.1%), chose qui semble
toujours aussi compactement impossible pour l’occupant
de Bercy, dont les doses d’euphorisant sont à l’évidence un
peu trop fortes. À ce wagon de contestataires s’ajoute aussi l’OFCE qui double la mise du FMI (-0.2%),
et permet de bien enfoncer le clou sur une chose évidente pour tous sauf pour
Pierre : le pays s’enfonce, de plus en plus vite, et personne d’un peu lucide
ne voit de sortie rapide du tunnel.
Et malheureusement, si Hollande a bien sorti sa boîte de bricolage, le
seul outil qu’en a extrait Moscovici est un marteau. Armé de cet unique
engin, tous les problèmes ressemblent à des clous, et le brave Pierre s’est
donc employé à cogner comme un sourd sur tous ceux qui dépassaient : les
impôts continueront donc de pleuvoir et la dette va continuer d’enfler. En
plus, ça tombe bien, les pipoconomistes sont de sortie
et ont finement analysé la conjoncture : c’est le bon moment de mettre des
gaz, c’est braderie, c’est pas cher en ce moment,
allons-y avant que les taux remontent ! Sur le papier, ils n’ont d’ailleurs
pas tort, lorsqu’on regarde la courbe des taux, on trouve ça même louche, tant de bonheur d’un coup :
Non ce n’est pas anormal tout va bien ne posez pas de question ce qui
se passe est parfaitement contrôlé circulez il n’y a rien à voir tout va bien
et reprenez votre souffle ici.
Et vu depuis Karine Berger, la situation est même plutôt sympathique :
s’il n’y avait pas la crise et tout ces problèmes,
avec du vilain chômage et des petites bisbilles fiscales européennes,
l’actuelle majorité ferait des étincelles, c’est évident :
Hors effet des mesures exceptionnelles – Dexia, les prélèvements sur
recettes européennes, les contentieux fiscaux européens -, le déficit public
2012 aurait bien été ramené à 4,5 % du PIB comme prévu au lieu des 4,8 %
constatés.
Ah ça pour sûr, m’ame Ginette, si on enlève tous
les problèmes et que la conjoncture est bonne, les gaffes, bévues et
boulettes de la fine équipe en place ne sont même pas suffisantes pour
entamer la bonne humeur, dites donc ! Et mieux que ça : avec tous ces beaux
efforts calibrés comme de la mortadelle artisanale à la coupe pour le repas
dominical, l’année prochaine va se dérouler comme sur du velours :
À partir de 2014, pour ce qui est du déficit structurel, on aura fait
l’essentiel du chemin.
Sauf que … Sauf
que ma brave Karine, mon pauvre Pierre, personne ne croit plus — même
de loin — aux affabulations que vous nous offrez régulièrement, bobards
encore moins crédibles qu’une dinde qui aurait trois vélos pour tout
patrimoine. Même la presse, pourtant tendrement à la manœuvre pour
panser les plaies que Cahuzac avait précédemment
ouvertes, n’arrive pas à gober vos escobarderies sans tiquer et ne cache pas
ses doutes devant l’optimisme pepsodent du ministre
de Bercy.
Et c’est bien logique, du reste : à la suite de la magnifique Opération Transparence, la crédibilité des politiciens,
déjà fort basse, a explosé en vol comme un clown au propergol, en tous petits
morceaux colorés. Tout le monde, depuis le Français le plus modeste jusqu’aux
fonctionnaires de Bercy (même si ces derniers sont très discrets à ce sujet),
tous comprennent bien, même si parfois un peu confusément, que le plan que
vous proposez est du pur bidon et que, conformément à toutes les précédentes
prévisions, vous allez vous planter.
La seule question pertinente qui reste maintenant est donc de savoir la
mesure de la dégelée que la France va se prendre. Et surtout, pourquoi aucun
d’entre vous, au gouvernement, n’aura jamais à en souffrir ?