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Non, la
planche à papier dont nous voulons parler n’est pas une simple
allusion à la politique monétaire expansionniste que la Banque Centrale
européenne (BCE) a menée depuis sa mise en place. Cette
fois-ci, il s’agit vraiment de sa production de billets stricto
sensu, de la monnaie scripturale par excellence. Ces billets qui,
combinés aux réserves des banques en compte courant
auprès de la BCE, constituent la monnaie dite de banque centrale, que
les anglo-saxons qualifient de « monnaie à haut
pouvoir », car capable d’influencer le volume de monnaie
fiduciaire émise par les banques. Ces mêmes billets encore que
leurs détenteurs recherchent pour leur service de moyen
d’échange ultime et universel, garantissant dès lors le
contrôle sur tout bien à vendre, à raison du pouvoir
d’achat des unités monétaires. Dans les systèmes monétaires
d’aujourd’hui, les billets seuls sont la monnaie irréductible,
toutes formes de dépôts ne tirant leur utilité
monétaire que de la promesse des banques de les convertir en billets.
Tant que cette promesse n’est pas remise en cause, les déposants
ne se soucient pas de la mettre à l’épreuve. Seulement,
les choses se déroulent différemment en situation de crise
où la demande de billets peut augmenter rapidement.
Il
semblerait que c’est bien ce qui serait en train de se produire. Depuis
la deuxième éruption du 15 septembre dernier de la crise
actuelle, la première ayant eu lieu en août 2007, la BCE a pris
toutes les précautions pour fournir aux banques toutes les
liquidités dont elles pourraient avoir besoin. A l’heure
actuelle, les banques disposent de quelques € 52 milliards de réserves
excédentaires sur leur compte courant à la BCE. Sans parler des
€ 183 milliards que la BCE leur a prêtés au moyen de ses
opérations d’open-market, mais que les banques lui ont en fait
rendus, en faisant usage de la facilité marginale de dépôt.
En effet, le système bancaire européen dans son ensemble est
littéralement inondé de liquidités depuis
déjà un bon mois. Une banque n’a besoin de
liquidités excessives que si elle s’attend à des fuites
de liquidité imprévues. Certes, l’exposition à des
produits financiers contenant un risque de contrepartie croissant en
situation de crise peut mener à un tel comportement de prudence. Mais
il est une autre fuite de liquidité pour une banque, bien plus
classique, mais tout aussi coûteuse – la demande de billets.
Une demande
accrue de billets par les clients d’une banque signifie d’abord
que des dépôts sont retirés. Les individus
exécutent le contrat de convertibilité qui la banque leur a promise.
Cependant, une banque n’est pas productrice de billets, elle
n’est qu’émettrice de dépôts. Il lui faut
alors acquérir les billets auprès de la BCE. Cette acquisition
se fait par le moyen des réserves détenues en compte courant
dans lesquelles la banque puisera autant que nécessaire, et dans la
mesure des disponibilités. Les réserves d’une banque sont
donc le moyen pour elle d’acquérir les billets dont elle a
besoin pour honorer son contrat à l’égard des
déposants. Dans la mesure où les banques anticipent une demande
accrue de billets par le public, elles ont intérêt à se
procurer plus de réserves, en empruntant des liquidités
à la BCE. Pouvons-nous dire que la réalité donne des
raisons objectives aux banquiers de former de telles anticipations ? Pour
y répondre, il suffit d’examiner la dynamique de la demande de
billets en zone euro que nous avons résumée
dans le tableau ci-après :
Source: BCE, Weekly Financial Statements
A croire les chiffres, la demande de billets a augmenté de
mi-septembre à mi-octobre d’un peu plus de € 29 milliards,
l’augmentation étant due aux développements les plus
récents sur les deux dernières semaines. Ceci représente
une hausse de 4,3%. Mais peut-être s’agit-il là d’un
effet saisonnier, à observer tous les ans à la même
période ? Les données écartent une telle
hypothèse. Les billets n’ont augmenté que de € 3
milliards à la même période de l’année
dernière (soit une hausse de 0,49%), et de € 5 milliards en 2006
(soit 0,86%).
Il est à conclure que durant les deux dernières
semaines les banques ont véritablement fait face à une fuite de
liquidités fort importante, manifestement
causée par des retraits de dépôts. Il est difficile de
spéculer sur la persistance du mouvement, qu’il faudra donc
continuer à suivre régulièrement dans les circonstances
présentes. Deux choses sont néanmoins sûres. D’une
part, la BCE estime que les banques devront faire face à des facteurs
de liquidité autonomes (c.à.d. distincts de la constitution de
réserves obligatoires) toujours croissants. En effet, pour la
période du 13 au 21 octobre la BCE anticipe une hausse de ces facteurs
de quelques € 55 milliards par rapport à la période précédente.
D’autre part, les injections récentes de liquidité sont
devenues tellement considérables que l’on est tenté de ne
pas voir grand-chose dans ces quelques € 29 milliards de billets en
plus. Il se peut qu’il en soit autrement…
Siméon
Brutskus
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