La semaine dernière, j'ai rédigé
un article portant sur le déclin de l'influence d'Angela Merkel en
Europe. Pour un certain nombre de raisons nationales et internationales, la
chancelière allemande ne peut plus promouvoir
l'austérité et les réformes économiques au sein
de la zone euro. L’apogée de sa puissance en la matière est
derrière elle.
Mais je n’ai pas expliqué
ce que cela signifiait pour la zone euro. Quid des États grecs et
italiens ? Et qu’en est-il de la Cour constitutionnelle
allemande ?
Économie ou astrologie ?
Je ne peux pas offrir de
réponses précises. Non seulement parce que, comme l’a
malicieusement dit Pierre Dac, la
prévision est difficile surtout lorsqu'elle concerne l'avenir. Mais
aussi – et surtout – parce qu’en matière de crise
des dettes publiques de la zone euro, nous n’avons pas affaire à
des problèmes purement économiques, mais aux résultats
de décisions avant tout politiques.
Même si la plupart des
économistes estiment que la zone euro est loin d'être une zone
monétaire optimale et que cette monnaie commune est mal conçue,
l'euro pourrait être maintenu à long terme si la volonté
politique existe.
Si les prévisions restent
difficiles à faire, il existe quelques développements dont nous
pouvons prédire l’avènement avec une certaine confiance
si, comme je l'ai observé la semaine dernière,
l'austérité est en train de perdre son principal promoteur
politique en la personne d’Angela Merkel.
Les origines de la crise de l’euro
La combinaison de nombreux
facteurs a déclenché la crise des dettes publiques de la
zone euro à la fin de 2009 et au début de 2010. Le plus
important d’entre eux a été le doute croissant que les
économies européennes et leurs États seraient en mesure
de rembourser leurs dettes publiques colossales.
Les complications
supplémentaires étaient principalement le manque de
règles budgétaires politiquement applicables, une grave crise
bancaire, d'énormes écarts de productivité entre les
différents pays du continent, tout cela couplé à une
absence palpable de leadership politique, à la fois au niveau national
et européen.
En regardant l’état
de la zone euro aujourd'hui, il est évident que bon nombre de ces facteurs
initiaux sont toujours présents. Peu de choses ont changé au
cours des cinq dernières années mais la
panique accompagnant la phase initiale de la crise des dettes publiques de la
zone euro a pourtant disparu. Pourquoi ?
Vous auriez besoin d'un
dictionnaire pour lister et définir toutes les mesures palliatives qui
ont été mises en place pour contenir la crise : FESF, MES,
LTRO, TLTRO, OMT, SMP, ELA, SSM, etc. Qu'avaient tous ces programmes en
commun ? Il s’agissait avant tout de gagner du temps.
L'idée était de donner aux États européens une
marge temporelle de manœuvre pour se réformer, augmenter leur
compétitivité et réduire leur endettement.
Aucun de ces programmes n’était
spécifiquement conçu pour résoudre la racine du mal européen.
Cela n’était possible que par des réformes notamment
monétaires et des mesures d’austérité au niveau
national. L'aide financière n’était là que pour
accompagner les pays concernés dans ce processus. Elle
n’était certainement pas destinée à être une
politique non-discriminante à durée indéterminée.
Malheureusement, les mesures
palliatives ont été victimes de leur succès. En jouant
les pare-feu entre les pays concernés et la crise, elles ont
réduit le coût des bons du Trésor des pays de la
périphérie de la zone euro, permettant aux États les
plus endettés de se refinancer plus facilement en créant encore
plus de dettes.
Ces mesures palliatives ont ainsi
diminué la pression sur les États les plus endettés,
leur permettant de ne pas mettre en œuvre les réformes
économiques significatives nécessaires. La réaction que
l’on observe actuellement contre les politiques de réformes et
d’austérité n’est par conséquent
guère surprenante. Pourquoi continuer à prendre un
médicament amer une fois que les symptômes de la maladie ont
disparu ?
Aujourd’hui pire qu’hier
Nous ne devons pas oublier que
même si les symptômes ont disparu, la maladie, elle, existe
toujours. On pourrait même dire que les problèmes structurels sont
pires aujourd'hui qu'ils ne l'étaient en 2009.
Après cinq ans de « fausterité » (une absence de réformes structurelles et une
austérité pour les contribuables mais pas pour
l’État), les niveaux d'endettement en Europe ont augmenté.
Selon les données de la Commission européenne, la dette
publique dépasse 100% du PIB dans six pays de la zone euro
(Grèce, Italie, Portugal, Irlande, Chypre et Belgique) en 2013. En
extrapolant leurs trajectoires actuelles, l’Espagne et la France
pourraient rejoindre ce club dans quelques années.
Un assouplissement des
règles d'austérité, comme cela est maintenant
proposé par une coalition de décideurs politiques
européens (voir mon article précèdent), ne fera
qu'accélérer la chute de l’Europe dans le piège de
la dette publique – un piège dont on ne peut s'échapper
sans passer par l’inflation ou le défaut de paiement.
Est-ce inévitable?
Peut-être pas techniquement mais pour un pays comme l'Italie, ayant une
dette étatique égale à 132% de son PIB, une croissance
nulle et un profil démographique défavorable, il est difficile
de voir une option plus plausible.
Une deuxième crise est inévitable, mais quand
surviendra-t-elle ?
La fin de l'ère
éphémère de fausterité
en Europe va donc jeter les bases de la prochaine étape de la crise des
dettes publiques de la zone euro. Des doutes émergent de nouveau quant
à la viabilité financière des États
européens les plus endettés, déclenchant à
nouveau un questionnement sur l'avenir de l'euro en tant que monnaie commune.
Bien sûr, la Banque centrale européenne fera tout son possible pour endiguer une nouvelle crise. Elle
créera plus d’argent qu’elle donnera aux banques afin que
celles-ci le prêtent aux États européens. Les mesures
palliatives actuelles seront étendues. De nouveaux plans de sauvetage seront
conçus. De telles mesures pourront continuer aussi longtemps que la
volonté politique de le faire existera. Mais les interventions
nécessaires pour maintenir en vie une monnaie en train de mourir, des
banques en faillite et des États surendettés devront devenir de
plus en plus extrêmes au fil du temps.
Jusqu’à ce que la
volonté politique s’érode et disparaisse dans tel ou tel
pays-clef, dissipant soudainement le voile de brume cachant le gouffre des
dettes d’État européennes. Quand cela arrivera-t-il ?
Où sont les astrologues fiables
lorsqu’on en a besoin ? Ne comptez pas sur moi. Je ne suis
qu’économiste.
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