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Faut-il dissoudre le franc CFA ?

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Publié le 07 décembre 2017
1320 mots - Temps de lecture : 3 - 5 minutes
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24hGold - Faut-il dissoudre le...

Vous trouverez ci-dessous l’avis de Jacques Sapir sur le franc CFA.

Mon avis personnel est que le franc CFA souffre des mêmes problèmes que l’euro, à savoir qu’il s’agit d’une monnaie unique “africaine” qui s’impose de la même façon à plusieurs pays africains qui n’ont pas forcément des résultats économiques homogènes. Certains ont besoin d’une monnaie plus faible que d’autres !

Économiquement, le franc CFA est une monnaie qui avantage grandement les élites corrompues de ces pays et entretient un système malsain. Mettre fin au franc CFA, c’est envoyer un signal fort à nos amis et partenaires africains sur leur indispensable et nécessaire souveraineté. Cela ne doit pas vouloir dire non plus que la France se désintéresse de l’Afrique. Loin de là.

Mais c’est aux Africains de prendre définitivement leur destin en main.

Le récent voyage en Afrique du Président français, M. Emmanuel Macron, a montré que la question du franc CFA continuait de préoccuper les élites des pays concernés. Emmanuel Macron a été directement confronté à ce problème.
Cependant, de nombreuses idées fausses continuent de circuler sur la question du franc CFA, que ce soit chez ses partisans, et Emmanuel Macron a repris certaines de ces idées fausses, ou que ce soit chez les opposants de ce système. Certaines de ses idées correspondent trop bien aux intérêts de ceux qui les propagent pour que l’on ne soit pas tenté de penser que, plus que d’idées fausses, il s’agit en réalité d’idées qui sont justement et sciemment produites pour obtenir certains effets, et par des gens qui savent parfaitement qu’elles n’entretiennent aucun rapport avec la réalité.

Les origines du franc CFA

Le franc CFA fut pensé avant la Seconde Guerre mondiale, avec son proche parent le franc CFP pour les colonies françaises du Pacifique. Il n’entra dans le monde des réalités qu’avec la fin de la guerre, et dans le cadre de la participation de la France aux accords de Bretton Woods.

Il est important de rappeler que la décolonisation n’entraîna pas, et souvent à la demande même des nouveaux pouvoirs dans les pays ayant gagné leur indépendance, une remise en cause de ce système (sauf sans le cas de la Guinée). Rappelons aussi que, lors des négociations de 1945-1946 entre Hô Chi Minh et le gouvernement français, le dirigeant vietnamien (communiste, il convient de s’en souvenir) avait accepté que le Vietnam indépendant délègue sa souveraineté monétaire à la France. Il y avait donc, et ce en dépit de l’amère contexte de décolonisation, comme une évidence qui s’imposait aux nouveaux dirigeants : le maintien d’un système géré par la Banque de France serait, au moins à court terme, plus avantageux pour les pays décolonisés que s’ils devaient créer leur propre monnaie.
Mais ce système a aujourd’hui largement changé de sens, et en particulier depuis son accrochage à l’euro.

Les arguments pour le maintien du franc CFA

Plusieurs raisons militaient pour le maintien de la situation héritée de la colonisation. Acquérir sa souveraineté monétaire impliquait de dépenser de l’argent, mais aussi des compétences, qui étaient rares pour se doter d’une banque centrale. La situation, ici, ne se compare nullement avec celle des pays de la zone euro. Ceux-ci ont tous conservé leur banque centrale, et avec elle l’ensemble des compétences nécessaires à la gestion d’une souveraineté monétaire. Bien entendu, la pertinence de cet argument tend à s’amoindrir avec le temps. Ce qui était vrai en 1959 et 1960 ne l’était plus dans les années 1970 et les années 1980.

Outre ces dépenses se posait aussi la question de la crédibilité de la politique monétaire des nouveaux États. Or cette crédibilité était nécessaire à la défense d’une convertibilité raisonnable. Enfin, il y avait la question du risque inflationniste. Un pays aux structures étatiques faibles car juste naissantes, dans une situation économique rendue complexe par les contraintes du développement, peut très bien sombrer dans l’hyperinflation, ou au moins dans une inflation très forte. D’ailleurs, les pays qui ont gardé le franc CFA ont connu, en moyenne, dans les années 1960 et jusqu’aux années 1980, des taux d’inflation plus faibles que leurs voisins.

Les problèmes que pose le maintien du franc CFA

Mais le maintien du franc CFA soulevait, et soulève toujours, de nombreux problèmes. Le premier tient à sa structure même. Le franc CFA repose largement sur une structure liant les pays concernés à la France. Les réserves de change sont détenues par le Trésor français (non, contrairement à ce qu’a dit Emmanuel Macron, elles ne sont pas sous le contrôle de la BCE). La politique monétaire est très largement supervisée par la Banque de France et par le Trésor français, une situation qui n’est pas favorable – et c’est un euphémisme – au développement d’une responsabilité dans les affaires monétaires dans les pays concernés.

Peut-être plus important, le lien entre le franc CFA et la monnaie française (franc puis euro) conduit à une surévaluation du franc CFA. Cette surévaluation permet aux classes moyennes émergentes, et à la petite minorité aisée d’acquérir à moindre coût des produits importés. En revanche, du fait de la perte de pouvoir d’achat qui survient du fait de cette surévaluation pour les exportations (faites en dollars ou en euro et converties ensuite en franc CFA), le franc CFA pénalise l’économie des pays concernés. Cela devient particulièrement évident quand les prix mondiaux des matières premières (arachide, cacao, café ou encore pétrole…) baissent. Logiquement, les monnaies des pays exportateurs devraient baisser. Mais du fait du système du franc CFA, cela ne peut se produire. Il en découle de nombreux déséquilibres, et en particulier une pression très forte sur les investissements publics qui contribue à maintenir de nombreux pays dans la trappe du sous-développement.

Vrais problèmes et fausses évidences

Les problèmes créés par le franc CFA sont aujourd’hui devenus sans doute plus évidents que ses avantages. D’où l’importance prise par la question de la dissolution du franc CFA.

Mais cette question tend à être obscurcie par diverses fantaisies que l’on entend au sujet du franc CFA. Sa fonction est moins d’assurer une domination directe de la France sur ses anciennes colonies, contrairement à ce que prétendent de nombreuses voix en Afrique, que de donner à une (petite) fraction de la population (les classes moyennes embryonnaires et la bourgeoisie, qui est largement “compradores”) la possibilité d’acheter à des prix raisonnables des produits d’importation. Le franc CFA permet aussi à ces fractions de transférer sans risque de change leurs avoirs, qu’ils aient été bien ou mal acquis, en euro ou en dollar. C’est en cela que le franc CFA est bien un outil du néocolonialisme, mais de manière très indirecte.
Le franc CFA contribue à acheter des fractions des populations et à leur faire penser qu’elles n’ont pas d’avenir hors du cadre néocolonial. Par ailleurs, l’idée d’utiliser les réserves aujourd’hui détenues par le Trésor français pour financer le développement est un non-sens car un pays avec sa propre monnaie aura encore plus besoin de réserves que s’il était dans le cadre du franc CFA. Par contre, un pays avec sa propre monnaie, et donc non-lié au franc CFA, pourrait laisser cette monnaie se déprécier quand les prix des matières premières baissent, et ainsi maintenir le volume (en monnaie locale) des investissements.

La centralité du problème politique

L’un des principaux défis posés par le franc CFA est qu’il maintient les pays qui l’utilisent dans l’illusion qu’ils pourront se passer d’institutions qui sont néanmoins nécessaires, et qu’ils peuvent continuer avec des systèmes de gouvernement qui sont largement corrompus ou plus précisément des systèmes patrimoniaux et prédateurs. Ces défis doivent être relevés. De ce point de vue, la critique la plus radicale que l’on peut faire au franc CFA est le fait qu’il contribue à maintenir les pays qui l’utilisent dans un système politique archaïque et pervers. Ce simple fait est largement suffisant pour le condamner aux yeux de l’histoire, mais aussi des peuples.

Les opinions exprimées dans ce contenu n’engagent que la responsabilité de l’auteur.

 

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Charles Sannat est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires Il a exercé les fonction de directeur des études économiques de la société Aucoffre.com de 2012 à 2015, et créé le Contrarien Matin un site de « décryptage quotidien, sans concession, humoristique et sarcastique de l’actualité économique ». Il a fondé en Septembre 2015 le site Insolentiae.com et se consacre depuis pleinement à ce nouveau projet éditorial.
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