Dans
le contexte de la crise financière grecque, Wolfgang Schäuble, le
ministre de l’économie et des finances allemand, propose de
créer un fonds monétaire européen (FME).
Cette nouvelle organisation servirait à doter la zone euro d’un
instrument pour assainir les comptes d'un Etat de l'Union monétaire
menacé de faillite en le subventionnant selon des principes
budgétaires stricts. « Pour la stabilité de la zone euro,
nous avons besoin d'une institution qui dispose des expériences du FMI
et de pouvoirs d'intervention analogues », a déclaré le
ministre chrétien-démocrate.
De quoi
s’agit-il ?
Depuis la création de l'Union monétaire, voici dix ans, les
traités interdisent de renflouer un Etat membre. Une clause à
laquelle les Allemands demeurent très attachés, et qui
complique les tractations en cours pour soutenir Athènes si
nécessaire.
L'émergence d'un FME pourrait permettre de court-circuiter ce principe
de non-renflouement, tout en disposant d'un levier pour imposer des
conditions strictes, voire des sanctions aux pays qui ne respecteraient pas
leurs engagements (notamment la suspension des droits de vote dans les
instances européennes, ou celle de certaines subventions).
Vers un gouvernement
économique européen ?
Quels seraient les outils à disposition du FME ?
Pour punir les Etats incapables de contrôler leur dette publique et
leurs déficits, le FME aurait le pouvoir de suspendre les fonds de
cohésion européens et de suspendre le droit de vote des pays
fautifs lors des réunions du Conseil de l’Union
Européenne.
La décision de venir ou non en aide à un Etat donné
serait ainsi prise à l’unanimité moins la voix de
l’Etat concerné par les ministres des finances de la zone euro.
Le débat est ouvert pour savoir si ce FME concernerait seulement les
16 Etats membres de la zone euro ou bien les 27 Etats-Membres de
l’Union Européenne. Il est probable que c’est la
réaction du gouvernement britannique qui fera pencher la balance
d’un côté ou de l’autre.
Le porte-parole chargé des affaires économiques de la
Commission, Amadeu Altafaj Tardio, a précisé que la Commission
européenne en profiterait pour proposer la création de nouveaux
outils allant vers un gouvernement économique coordonné et des
moyens de surveillance plus importants. Il est même question de
nouveaux pouvoirs donnant à la Commission un droit de regard sur le
niveau de rémunération des fonctionnaires nationaux.
Le FME
destiné à assurer l’indépendance de la zone euro
envers le FMI ?
Les membres de la zone euro seraient aussi dans l’obligation de refuser
toute aide issue du FMI, ce qui permettrait à la zone euro de ne pas
être dépendante de la Chine ou des Etats-Unis.
Du moins, c’est ce que tout le monde dit. Mais pourquoi dit-on cela ?
Certains disent que le FMI roule pour Washington en soulignant que, du fait
du système de vote actuel, les Etats-Unis ont effectivement un pouvoir
de veto sur les décisions prises par le FMI. D’autres avancent
que Nicolas Sarkozy verrait d’un mauvais œil la perspective de
laisser le FMI dirigé par le socialiste et probable présidentiable
Dominique Strauss-Kahn sauver la mise à un pays européen avant
2012. Ces explications semblent trop simples ou trop compliquées pour
être vraies.
Il existe sans doute une dose de fierté européenne dans ce
projet. Mais le FMI n’est pas le faux-nez de Washington ; il
s’agit plutôt d’une organisation internationale complexe,
composée d’économistes capables et de technocrates issus
de nombreux pays différents. De même, en 2012, il est peu
probable que les électeurs français érigent Dominique
Strauss-Kahn au rang de sauveur national parce qu’il a dirigé
une opération sur les bons du trésor grecs.
De nouveaux bruits de couloir circulent à la Commission
européenne. Certains dirigeants n’auraient pas
apprécié les recommandations que le FMI avait données
à la Lettonie quand celle-ci a eu besoin d’aide d’urgence
en 2009. Le FMI avait en particulier suggéré au pays balte de
dévaluer sa monnaie, ce qui est une composante du package de secours
habituel du Fonds. Le commissaire européen aux affaires économiques
et monétaires de l’époque, Joaquín Almunia, avait
quant-à lui fermement conseillé à la Lettonie de ne pas
dévaluer le Lats letton, celui-ci étant chevillé
à l’euro. Lors de la crise lettone, la Commission
européenne aurait donc été frappée par le fait
que le FMI ne propose qu’une solution par défaut ne tenant pas
compte des particularités européennes de la situation du pays
en difficulté.
Plus concrètement, l’alternative entre FMI et FME est sans doute
liée aux raisons suivantes. Lorsqu’il est confronté
à une situation où un pays est dans une situation très
difficile, le FMI continue de jouir d’une grande indépendance
envers ce pays (le FMI ne sera pas impacté si le pays ne s’en
sort pas) ce qui lui permet de demander beaucoup de concessions (des
réformes structurelles importantes) au pays en question en
échange de l’aide financière internationale.
Or,
comme on le voit avec la crise grecque, les Etats-Membres de l’UE sont
moins capables de simuler l’indifférence lorsqu’un des
leurs est en situation très périlleuse. Cela pour deux raisons
: les pays européens sont constamment en négociations
croisées les uns avec les autres (un pays A demande le soutient
d’un pays B sur le dossier 1 contre son soutient au pays B sur le
dossier 2) ; du fait de leur imbrication économique, les pays
européens (surtout ceux qui sont membres de la zone euro) sont
menacés par la contagion d’une crise financière
émanant d’un de leurs membres. En d’autres termes, les
pays de l’UE (donc le potentiel FME) sont moins indépendants,
jouissent moins d’un avantage dans les négociations avec un pays
en difficultés que le FMI. Si la Grèce dévisse pour de
bon, l’Allemagne n’a que deux options : ou bien elle vient en
aide au pays en défaut, ou bien elle abandonne le système
monétaire européen. Donc, à l’inverse du FMI, le
FME aura le devoir de faire de la prévention pour éviter les
défauts plutôt que de porter secours aux pays en
difficultés et le FME subira l’influence politique du pays en
défaut sur les autres dirigeants européens qui
présideront à la destinée du Fonds.
Une réponse
de l’UE à l’instabilité de la zone euro
Il existe déjà un «
Fonds d’aide européen à la balance des paiements »
doté de 50 milliards d’euros (15 milliards avant la crise de
2008) qui a bénéficié à la Lettonie, à la
Hongrie et à la Roumanie. Mais ses destinataires ne peuvent en aucun
cas être des États membres de la zone euro, les traités
interdisant toute aide budgétaire en son sein.
L’idée qui sous-tend cet interdit est que chaque pays de la
zone, même partageant la même monnaie, demeure responsable de ses
finances publiques, les marchés se chargeant de sanctionner les
« mauvais élèves » en demandant des taux
d’intérêt plus élevés pour prêter de
l’argent. L’Allemagne redoutait, en particulier, que ses
partenaires ne contrôlent plus leurs finances publiques une fois dans
l’euro s’ils avaient la certitude que la Banque centrale
européenne (BCE) ou les membres de la zone euro voleraient à
leur secours en cas de problème grave.
En outre, cela aurait posé un problème démocratique :
une clause de solidarité reviendrait à rendre responsable les
citoyens allemands ou français de dépenses engagées par
un gouvernement qui n’est pas responsable politiquement devant eux.
Mais la crise grecque a montré que la défaillance d’un
pays pouvait mettre en péril l’existence de l’euro, comme
le pensaient depuis l’origine les économistes opposés
à la monnaie unique. Or, aucun instrument n’a été
prévu dans un tel cas. D’où la préparation, dans
la panique, d’un plan d’aide destiné à acheter
entre 20 et 25 milliards de dettes grecques au cas où les marchés
exigeraient des taux d’intérêt trop élevés.
La création d’un FME ne permettra pas d'aider la Grèce
à court terme. Mais c'est une façon de muscler la surveillance
et la coordination des politiques économiques et budgétaires,
le pacte de stabilité ayant montré ses limites.
Un FME qui fait
débat et qui dresse la Banque Centrale Européenne contre les
gouvernements nationaux
Du bout des lèvres, Angela Merkel a apporté son soutien
à ce projet lors d'une rencontre au Luxembourg le 9 mars avec le
Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, soulignant que la crise
des finances publiques grecques démontraient que les moyens à
dispositions de l’UE n’étaient pas suffisamment bons pour
trouver des réponses lorsque l'un de ses membres, lourdement
endetté, fait face à une crise de confiance. Pour Angela
Merkel, les partenaires de la zone euro portent désormais la
responsabilité commune d'assurer à la monnaie unique une
stabilité nouvelle. Elle a aussi exprimé son accord en
précisant que cela permettrait à l’UE de ne pas
être dépendante du Fonds Monétaire International en
période de crise grave. La chancelière allemande a toutefois
rappelé que cela nécessiterait un changement des traités
européens et l’accord des 27 Etats-Membres. Selon elle, les
traités actuels ne sont « pas la fin de l’histoire. Nous
ne sommes pas dans un système statique, je ne veux pas de cela. Je
veux une Europe capable de réagir ».
Paris a également accueilli ce projet avec un enthousiasme
tempéré. Un porte-parole de Christine Lagarde aurait ainsi
déclaré : « C’est une idée
intéressante mais nous avons encore à voir comment elle pourra
être articulée avec d’autres propositions ». La
ministre française de l’économie et des finances a aussi
déclaré que ce projet de FME n’était pas une
priorité absolue à court terme.
L'opposition la plus frontale, est, à ce jour, venue de la BCE.
« Un tel mécanisme ne serait pas compatible avec les fondements
de l'Union monétaire », a estimé son chef
économiste, l'Allemand
Jürgen Stark, dans une tribune au quotidien Handelsblatt, mardi 2
mars : « Ce serait le début d'une péréquation
financière, qui pourrait coûter cher, qui ne stimulerait pas
dans le bon sens et qui alourdirait la charge de pays aux finances publiques
solides. » Il a affirmé que la création d’un tel organisme
serait un signal pervers envoyé aux membres de la zone euro et ne
ferait qu’accentuer l’aléa moral propre à cette
situation: « Les pays qui n’ont pas respecté les
règles de l’union monétaire et qui ont profité de
l’euro sans se plier aux conditions permettant d’y avoir
accès ne devraient pas être récompensés pour leur
mauvaise conduite ». Plutôt qu'un FME, M. Stark
préfère une nouvelle réforme du pacte de
stabilité.
Wolfgang Münchau, éditorialiste au Financial Times, estime
quant-à lui que ce projet de FME est un écran de fumée
destiné à cacher que ce qui est effectivement proposé
est un mécanisme permettant à certains membres de la zone euro
de sortir de celle-ci sans sortir de l’Union Européenne. Il ne
s’agit donc pas d’aider les pays en difficultés à
résoudre leurs problèmes à l’intérieur de
la zone euro : il s’agit de les faire sortir de la zone euro afin de
résoudre leurs problèmes.
Il est très probable que la Banque Centrale allemande montrera la plus
grande réticence à transférer ses réserves
d’or au FME, puisque celle-ci est habilitée à
décider du devenir de son or de manière indépendante.
Pourtant, malgré ces réactions en demi-teinte et ces franches
oppositions, la Commission européenne a annoncé la semaine
dernière qu’elle allait présenter un projet avant le mois
de juillet pour créer un EMF dès que possible.
Nouvelle
réforme des traités en vue…
Même si le commissaire européen aux affaires économiques
et monétaires, Olli Rehn, a indiqué qu’il était
encore trop tôt pour statuer sur la nécessité de modifier
les traités existants pour créer cet organisme, il semble clair
que le traité de Maastricht interdit aux Etats membres de la zone euro
d’accorder une aide financière directe à un de leur membre.
La création d’un FME nécessiterait donc un nouveau
traité européen, un processus complexe comme l'a montré
la ratification chaotique et très discutable du traité de
Lisbonne.
Ainsi, selon le Irish Times, suite aux difficultés qu’il a
rencontrées à ratifier le traité de Lisbonne
malgré l’opposition de la majorité des citoyens du pays,
le gouvernement français apparaît très réticent
à engager un débat institutionnel public ayant pour
thème la création d’un FME.
… ou passage
en douce sans demander leur avis aux citoyens européens ?
A Paris, on considère que cette initiative va dans la bonne direction.
Mais on fait aussi valoir que la création d'un FME exigerait une
nouvelle réforme des traités. Ce qui prend du temps. Or, la
gestion de la crise grecque pourrait, si la situation devait de nouveau se dégrader,
nécessiter une intervention dans les prochaines semaines. « Les
problèmes grecs ne nous permettent pas vraiment d'attendre »,
souligne un expert des questions financières.
Il semble bien que le plus grand obstacle à la création
d’un FME soit la nécessité de modifier les traités
européens existants. Les gouvernements européens vont donc
peut-être proposer que cette nouvelle institution soit
créée en dehors de l’Union Européenne, ce qui
permettrait de passer outre la ratification du projet par les citoyens des 27
Etats-Membres.
Mais il existe une seconde solution. Plusieurs bruits de couloirs font
état d’une note préparée par les services
juridiques du Conseil des ministres de l’Union Européenne qui
affirme que la création d’un FME ne nécessiterait pas de
modifier les traités existant : sa mise en place pourrait être
votée à l’unanimité par les 27 chefs d’Etat
et de gouvernements.
Et si tout cela
n’était que des paroles en l’air ?
On est bien en peine d’imaginer Paris et Berlin se mettre
d’accord sur ce que serait une bonne politique économique, des
comptes publics équilibrés et une situation financière
saine. La solution esquissée par le ministre allemand des finances
reviendrait alors à centraliser un problème
décentralisé, sans résoudre le problème
lui-même.
La façon dont Schäuble envisage le FME (un organisme
chargé de faire régner la discipline budgétaire et de
sanctionner les pays qui ne parviennent pas à aligner leurs
déficits sur les critères de Maastricht) ne plaît pas
à un gouvernement français peu enclin à la rigueur des
comptes publics.
Berlin a bien conscience de ces divergences de point de vue entre les deux
pays. Donc comment interpréter cet appel à la création
d’un FME ? Peut-être que, après avoir été
accusée de trainer les pieds pour sauver le soldat grec,
l’Allemagne a choisi de s’afficher solidaire en faisant beaucoup
de bruit sans débourser un centime à propos d’un projet
qui n’aboutira certainement pas.
Deux grandes options permettraient de tenter de résoudre les
problèmes de la zone euro : un fédéralisme fiscal ou une
assistance financière au pays en difficultés. Etant
donné que la voie du fédéralisme fiscal ne paraît
pas réaliste à court et moyen terme, la seule option plausible
reste la seconde.
Celle-ci peut être déclinée de deux façons
différentes : soit le FMI intervient, soit l’Union
Européenne intervient. Pour l’instant, il est peu probable que
l’Union Européenne intervienne car elle ne dispose ni des bases
juridiques solides pour le faire, ni du mécanisme organisationnel
nécessaire, ni de l’instrument financier adéquat, ni du
savoir-faire historique. Tout semble donc indiquer que c’est le FMI qui
interviendra si la situation le demande.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos