Un
vent d’inquiétude nouveau s’est levé dans les
hautes sphères, qui se manifeste de multiples façons ces jours
derniers. Le soudain sentiment de compréhension envers les
indignés qui rallie tous les grands de ce monde en est la plus
extraordinaire illustration. Mais cela ne s’arrête pas là.
En
avertissant, pour une fois, que le prochain sommet européen ne
réglera pas la crise européenne, Angela Merkel
et Wolfgang Schaüble, son ministre des
finances, ont voulu couper court aux espoirs qui montaient et allaient
être déçus. Comme si les grandes inquiétudes
suscitaient nécessairement les plus fortes illusions.
Premiers
signes, Jean-Claude Trichet vient d’affirmer que la régulation
financière était « au milieu du
gué » et qu’il fallait la poursuivre, après
avoir confirmé la nécessité de renforcer les fonds
propres des banques : « Il n’est pas possible de
laisser un système financier, et par voie de conséquence un
système économique au niveau mondial, qui soit aussi
fragile », a-t-il insisté. Le G20 finance adoptait à
ce propos la semaine dernière les propositions du Comité de
Bâle à propos du renforcement supplémentaire des fonds
propres des établissements systémiques, après un
vigoureux bras de fer avec ceux-ci, un de plus.
Plus
insidieusement, des interrogations se font jour là où
auparavant des certitudes étaient affichées. Elles portent sur
la mesure phare de la régulation financière – la hausse
des normes de fonds propre des banques – découvrant tardivement
que Lehman Brothers serait
aujourd’hui considéré comme solide, au regard de celles
qui vont devoir être respectées. Ou que Dexia également y
répondait, avant de s’effondrer elle aussi. A quoi sert
d’être précautionneux et vigilant sur un terrain si
d’autres points de faiblesse vitaux sont ignorés et ne sont
découverts que lorsqu’il est trop tard, alors que les
obligations en matière de liquidité continuent de faire
débat avec les banques ?
Une
autre idée revient en conséquence à la surface chez les
socialistes allemands et français, mais aussi au sein de la CSU
bavaroise : la séparation des activités de dépôt
et de crédit des activités de banque d’affaire et la
référence au Glass Steagall Act américain. Le terrain sur lequel les
autorités américaines se sont d’origine placées,
avec la « réglementation Volcker »,
suivis par les Britanniques emmenés par la commission Vickers, mais
sur lequel elles ont été toutes deux bloquées par les
représentants des banques. Sous-estimant, comme les débats aux
Etats-Unis l’on montré, la grande difficulté que
représente dans le monde financier d’aujourd’hui la
réalisation d’une telle scission, si l’on n’en vient
pas à purement et simplement prohiber certaines pratiques et
instruments financiers.
Comme
les mégabanques l’ont averti, afin de
freiner le mouvement, cette mesure a comme effet pervers de renforcer le shadow banking
– ce vaste secteur financier qui échappe à toute
régulation – oubliant de signaler qu’elles en seront les
premiers artisans.
Enfin,
les autorités françaises sont tétanisées par la
perspective de la perte de leur note AAA, faisant de ce danger un repoussoir
pour préparer l’opinion à des mesures de rigueur
budgétaire qui vont finalement faire entrer la France dans le vif du
sujet. Mais cela correspond également à une seconde crainte,
car une telle perte déséquilibrerait le montage financier qui a
présidé à la constitution du Fonds de stabilité
européen (FESF), dont l’assise repose sur la notation d’un
petit groupe de pays, dont la France. Du coup, le bras armé de la zone
euro perdrait sa note AAA, alors que ses missions viennent d’être
élargies, le rendant potentiellement inopérant.
Si
l’on cherche les causes de ces tardives prises de conscience, il faut
en priorité s’arrêter sur l’obstacle infranchissable
devant lequel les dirigeants européens se trouvent et qui les conduit
à s’interroger. Par eux-mêmes, ils n’ont aucun moyen
de réunir les un à deux milliers de milliards d’euros qui
seraient nécessaire pour, à la manière
américaine, tenter d’étouffer le feu qui consume le
système financier de la zone euro.
Les
effets de levier auxquels ils peuvent aboutir ne permettront, dans le
meilleur des cas, de réunir qu’une faible partie de ce montant,
sous forme de garanties qui plus est, tant que les coffres de la BCE
resteront obstinément clos et que l’accroissement des ressources
du FMI sera bloqué par les Américains, et semble-t-il les
Allemands. Un mécanisme de lignes de crédit par
précaution est bien envisagé par le Fonds pour colmater les brèches,
mais il serait très gourmand en capitaux, vu les besoins de
refinancement italiens, et pas dans ses moyens car mobilisant
l’essentiel de ses ressources.
Cela
revient à reconnaître, sans le crier sur les toits, qu’ils
se sentent démunis devant la perspective d’une entrée de
l’Espagne, au terme de sa lente glissade actuelle, dans la
« zone des tempêtes » où se trouvent
déjà la Grèce, le Portugal et l’Irlande. Et
qu’ils ne pourront pas aider l’Italie, si les taux que celle-ci doit
consentir pour se refinancer continuent de monter et finir par devenir insupportables.
Le
sauvetage de la zone euro reste une question sans solution, une fois la
question grecque réglée, si cela s’avère
même possible lors du sommet du 23 octobre.
Comme
un malheur ne vient jamais seul, le rétrécissement du
crédit aux entreprises apparaît comme la conséquence
inévitable des obligations de renforcement des fonds propres des
banques, celles-ci essayant en priorité de préserver leur
Return on Equity (rendement des capitaux propres),
n’ayant comme ressource alternative que de céder des actifs, un
processus déjà engagé.
Voilà
qui noircit encore le tableau, si l’on considère les
prévisions de baisse générale de la croissance (et de
récession accrue pour certains pays) et ses effets sur les
rentrées fiscales des Etats ainsi que sur les résultats des
banques… Moins de croissance implique plus de rigueur, à
réduction du déficit public constant. Cela crée une
spirale descendante irrésistible, comme on le constate en Grèce
et au Portugal.
A
l’arrivée, exiger des banques qu’elles se renforcent et
vouloir en même temps réduire les déficits publics ne
fonctionnent pas bien ensemble. Quand un trou est bouché, un autre
apparaît, c’est sans fin. Ils en sont là et inquiets. Nous
serions plutôt indignés, sans se soucier de rencontrer ou non
leur compréhension…
Billet
rédigé par François Leclerc
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