L’année que Hollande s’était donnée pour inverser la courbe du chômage est passée. Patatras, la courbe ne s’est pas inversée, il s’est banané. Les impôts ne baissent pas, tout comme les déficits ; ils augmentent même, à bon rythme. La croissance est anecdotique, tout comme les réformes. L’avenir semble vide.
Oui, vide.
C’est bien de vide dont on peut parler lorsqu’on évoque Hollande. Si Sarkozy avait placé son quinquennat sous le signe résolu de l’effervescence insupportable et de l’épilepsie médiatique en mode continu, la première année de Hollande se caractérise par un dégonflement progressif et inexorable de la baudruche socialiste pour terminer sur un grand vide sidérant.
Cette vacuité politique, dont le fumet était sensible depuis le dernier mandat de Chirac, est devenue bien plus forte aux premiers mois du quinquennat pédaloflambiste : fixant de façon approximative les tendances floues et molles d’une politique inscrite dans la réaction précipitée aux événements extérieurs, le président se sera lentement laissé balloter par l’actualité. Toutes ses démarches ont suivi deux sillons : celui de l’opposition systématique à son prédécesseur qu’il ne peut absolument pas encaisser, et celui des petits cadeaux aux amis et sa famille politique pour se ménager de larges tranches de tranquillité politique.
Ainsi — et c’est un simple exemple parmi tant d’autres — pour des raisons purement dogmatiques, on l’a vu supprimer les heures supplémentaires défiscalisées, pour, un an plus tard, se rendre compte que cette idée avait un impact flagrant sur le pouvoir d’achat et l’emploi, y compris et notamment celui de sa base électorale. La marche-arrière, vaguement évoquée par le truchement de son ministre du budget, ne pourra politiquement pas passer, mais le type en charge de l’exécutif a bien senti qu’il avait fait une belle bourde (et ses députés le lui ont dit). Tant pis pour lui, trop tard. Et trop tard pour les Français.
Ainsi, on laisse gentiment libres Taubira, Peillon et Vallaud-Belkacem dans leurs délires constructivistes. Bien évidemment, les histoires de mariage homosexuel, de genre et d’éducation sexuelle à l’école, de laïcité qui cogne, de prisons plus bisou-compatibles, tout cela, c’est très loin d’être neutre pour la société. Mais voilà : ce ne sont, du point de vue de Hollande, que des concessions lâchées à ses petits camarades politiques, des faveurs qui lui permettront d’acheter leur silence, leur obéissance ou leur retour d’ascenseur le jour utile. On est là encore et en pratique dans la petite politique politicienne, rien qui serve les intérêts de la France ou ceux du peuple en général.
Le cœur du problème, à savoir une économie qui part en quenouille, une société qui se clive de plus en plus, une France qui se délite à l’intérieur et à l’extérieur, le président s’en contrefiche : il est dans sa bulle, dans son espace-temps personnel protégé, son vide presque total où rien n’a réellement d’importance que la préparation de ses prochains coups politiques, lui assurant une conservation du pouvoir sans douleur.
Les habituels commentateurs, socialistes notamment, diront ici que j’exagère : allons, le pauvre homme n’est pas si détaché des contingences matérielles ! Le président a un vrai travail, avec de la sueur et des décisions difficiles, des dossiers à compulser fiévreusement, des quantités de données à synthétiser, des douzaines de rendez-vous à avoir pour bien saisir la situation ! C’est évident qu’être président est un vrai sacerdoce, un travail épuisant !
Non. Pas du tout.
Comment croire qu’il connaît ses dossiers lorsqu’il lance des désirs de punition à l’encontre du dirigeant syrien ? Se rend-il compte que tout le monde voit, de façon limpide, qu’il tente d’obtenir un peu de la patine présidentielle américaine en lui léchant l’arrière-train servilement ? Comprend-il qu’il est parfaitement, totalement ridicule à s’obstiner alors que la France n’a pas les moyens de jouer dans ce jeu là, coincée entre la Russie, la Chine, le reste de l’Europe d’un côté, et les États-Unis de l’autre ? N’a-t-il pas compris que Cameron, bien plus fin, avait délibérément choisi d’en passer par le vote parlementaire pour trouver une solide excuse de non-action ?
Non, décidément, le président Hollande n’a absolument rien à faire ni de ses dossiers, ni même du peuple français en général.
Du reste, il a raison.
À quoi bon prendre connaissance des uns et tenir compte des autres puisque la presse, qu’on aura rarement vue aussi servile, lui arrondit tous les angles ? À quoi bon s’enquiquiner puisque les socialistes, son camp, sont aux manettes des villes au Sénat en passant par les régions, les départements et l’Assemblée Nationale ?
À quoi bon tenir compte de l’opinion publique puisqu’il a montré, par la pratique, qu’il pouvait s’asseoir dessus sans qu’il n’arrive rien de fâcheux ? Regardez : l’opposition au mariage homosexuel aura réussi l’exploit d’agglomérer entre eux des Français de différentes origines, de rassembler dans les rues, par de froids matins d’hiver et dans un printemps franchement pluvieux des centaines de milliers (des millions ?) de personnes, choses que même une droite excitée ne sera pas parvenue à réaliser dans les 10 ou 15 années précédentes. Hollande aura même réussi à faire perdurer cette opposition par-delà le vote de la loi, par-delà même l’été, normalement très démobilisateur pour les mouvements sociaux.
Et pourtant, rien n’aura changé, aucune remise en question ne fut même envisagée.
Dès lors, devant telle démonstration, pourquoi tiendrait-il compte, subitement, de cette si inutile opinion publique qui s’opposerait à une intervention en Syrie ? Pourquoi diable s’enquiquinerait-il avec celle-ci ? S’il renonce, ce sera pour d’autres motifs comme ménager sa superbe. Mais tenir compte de l’opinion publique ? Pouah !
Mieux : non seulement, il peut se permettre d’oublier complètement la rue, puisque celle-ci est presqu’aphone au-delà d’internet, mais il peut aussi compter sur une opposition parlementaire aussi vide que sa propre politique : il n’y a personne en face, ou lorsqu’il y a quelqu’un, il est aussi comique que lui, aussi creux, aussi déconnecté de la réalité.
En s’opposant à Hollande contre toute intervention en Syrie, en cristallisant et capitalisant sur l’opinion de l’écrasante majorité des Français, l’opposition parlementaire aurait actuellement un boulevard devant elle. De la même façon, elle pourrait largement s’unifier une bonne fois pour dénoncer le tabassage inouï que le peuple subit actuellement avec les impôts, tabassage qui fédère actuellement très au-delà de l’opposition pure et dure de droite…
Mais montrant à l’évidence qu’elle n’est qu’un autre parfum de la même soupe, qu’elle ne s’oppose en rien si ce n’est en détails sans importance, cette droite-là préfère se déchirer sur des broutilles et se perdre en petites considérations ridicules sur les prochaines municipales. Au passage, que des centaines de milliers (des millions) de Français trouvent un peu d’argent pour renflouer ces guignols en dit très long sur l’absence totale de désir d’avenir de cette part momifiée de la population, et explique aussi très bien pourquoi Hollande peut continuer son petit manège sans craindre pour son matricule.
La réalité, sans fard, est grise : Hollande n’a strictement rien à faire de l’opinion publique, que la presse lui façonne favorable, gentiment neutre, ou douillettement oubliable. Il n’a rien à faire de la conjoncture économique : il n’y est pas soumis. Il n’a rien à faire de la politique, si ce n’est le minimum évident pour ménager ses arrières. Élu, il ne fait plus guère qu’un peu de figuration, profitant des nombreux photographes pour tenter quelques catastrophiques grimaces ; en un an, il en est au même point que Chirac en douze.
Avec un tel courant d’air à sa tête, ce pays est foutu.