3.
Inflation et accroissement du crédit
1.
L'inflation
La
politique d'inflation, qui consiste à accroître la
quantité de monnaie ou de crédit, cherche à faire monter
les prix et les salaires nominaux (exprimés dans l'unité
monétaire) ou cherche à contrebalancer la baisse des prix et
des salaires nominaux qui se dessine et qui résulte de l'augmentation
de l'offre de biens de consommation.
Afin
de comprendre l'importance économique de la politique d'inflation, nous
devons revenir à la loi fondamentale de la théorie
monétaire. Cette loi dit : Le service que rend la monnaie
à la communauté économique est indépendante de la
quantité de monnaie. Que le niveau absolu de la quantité de
monnaie d'une économie fermé soit petit ou grand n'a pas
d'importance. A long terme, le pouvoir d'achat de l'unité
monétaire s'établira de lui-même au niveau où la
demande de monnaie sera en équilibre avec la quantité de
monnaie. Le fait que chaque individu voudrait posséder une plus grande
quantité de monnaie ne doit pas nous tromper. Tout le monde veut
être plus riche, avoir plus de biens, et l'exprime en disant qu'il veut
plus de monnaie. Mais s'il en avait plus, il la dépenserait en
augmentant sa consommation ou ses investissements : à long terme,
il n'augmenterait pas du tout la quantité d'argent liquide qu'il
conserve, et ne l'augmenterait pas non plus de manière significative
par rapport à l'augmentation de son offre de biens et de services. De
plus, la satisfaction qu'il retire de la monnaie supplémentaire
dépendra de ce qu'il recevra une part plus grande que les autres de
cette nouvelle monnaie, ou de ce qu'il la recevra plus tôt. Un habitant
de Berlin, qui aurait jubilé en 1914 s'il avait hérité
de manière inattendue de 1 000 marks, n'aurait pas trouvé
digne d'attention un montant de 1 000 000 000 marks au cours
de l'automne 1923.
Si
nous mettons de côté le rôle de la monnaie comme
étalon pour les paiements différés, c'est-à-dire
pour les obligations et les titres exprimés en montants fixes de
monnaie et devant être touchés dans le futur, nous comprenons
facilement qu'il est sans importance dans une économie fermée
que la quantité de monnaie soit de x millions ou de 100 x
millions d'unités monétaires. Dans le deuxième cas, prix
et salaires s'exprimeront simplement dans des quantités
d'unités monétaires plus grandes.
Ce
que souhaitent les avocats de l'inflation et ce à quoi s'opposent les
partisans d'une monnaie saine, ce n'est pas le résultat ultime de
l'inflation, à savoir l'augmentation de la quantité de monnaie
elle-même, mais plutôt les effets du processus par lequel la
monnaie supplémentaire entre dans le système économique
et modifie petit à petit les prix et les salaires. Les conséquences
de l'inflation sont doubles : (1) le sens des paiements
différés est altéré à l'avantage des
débiteurs et au détriment des créanciers, et (2) les
changements de prix ne se produisent pas simultanément ni dans la
même mesure pour tous les biens et tous les services. Par
conséquent, tant que l'inflation n'a pas fini d'exercer ses effets sur
les prix et sur les salaires, il y aura des groupes de la communauté
qui en profiteront, d'autres qui y perdront. Gagnent ceux qui sont en
position de vendre à des prix élevés les biens et les
services qu'ils proposent alors qu'ils continuent de payer aux anciens prix,
moins élevés, les biens et les services qu'ils achètent.
Perdent, d'un autre côté, ceux qui doivent payer des prix
élevés alors qu'ils vendent encore leurs propres produits et
services aux anciens prix. Si, par exemple, le gouvernement augmente la
quantité de monnaie afin de payer des armes, les entrepreneurs et les
salariés des industries d'armement seront les premiers à
réaliser des gains d'inflation. D'autres groupes souffriront de la
hausse des prix jusqu'à ce que les prix de leurs produits ou de leurs
services augmentent eux aussi. C'est sur ce décalage temporel entre
les changements de prix des divers biens et services que repose l'effet
favorisant les exportations et décourageant les importations, effet
qui résulte de la baisse du pouvoir d'achat de la devise nationale.
Comme
les effets recherchés par les partisans de l'inflation sont de nature
temporaire, il n'y aurait jamais assez d'inflation à leurs yeux. Une
fois que la quantité de monnaie cesse de croître, les groupes
qui retiraient des bénéfices de l'inflation perdent leur
position privilégiée. Ils peuvent conserver les gains
réalisés pendant la période d'inflation mais ne peuvent
en réaliser d'autres. La montée graduelle du prix des biens, qu'ils
achetaient auparavant à des prix relativement bas, porte atteinte
à leur situation parce qu'ils ne peuvent plus espérer continuer
d'augmenter leurs prix en tant que vendeurs. La demande d'inflation
persistera donc.
D'un
autre côté, l'inflation ne peut continuer indéfiniment.
Dès que le public comprend que le gouvernement ne cherche pas à
arrêter l'inflation, que la quantité de monnaie continue sa
croissance sans qu'on puisse en voir la fin, et que les prix monétaires
de tous les biens et de tous les services continueront donc à monter
sans qu'on puisse les arrêter, tout le monde cherchera à vendre
autant que possible et à conserver aussi peu de liquide que
nécessaire. Conserver de l'argent liquide dans ces conditions ne
comporte pas seulement les coûts traditionnellement associés
à l'intérêt, mais également des pertes
considérables dues à la baisse du pouvoir d'achat de la
monnaie. Les avantages de l'argent liquide doivent être payés
par des sacrifices qui semblent si élevés que les gens
renoncent de plus en plus à en conserver. Durant les grandes
inflations de la Première Guerre Mondiale, on appelait ceci "une
fuite vers les valeurs réelles" et la "hausse de panique [crack-up
boom]". Le système monétaire est alors au bord de
l'effondrement : une panique s'ensuit, et tout finit par une
dévaluation complète de la monnaie. On a recours au troc ou
à un nouveau type de monnaie. On peut trouver des illustrations de ce
schéma avec la devise continentale de 1781, les assignats français
de 1796 et le mark allemand de 1923.
On
a offert de nombreux arguments erronés pour défendre la
politique d'inflation. La moins dangereuse consiste à dire qu'une
faible inflation ne fait pas beaucoup de mal. Il faut bien l'admettre. Une
faible de dose de poison est moins dangereuse qu'une forte dose. Mais cela ne
justifie pas l'administration de poison.
On
affirme que dans des périodes d'urgence grave , il serait
justifié d'utiliser des moyens qui ne seraient pas normalement
envisagés. Mais qui décide que la situation est suffisamment
urgente pour autoriser l'usage de mesures dangereuses ? Tout
gouvernement ou tout parti politique au pouvoir est enclin à
considérer les difficultés auxquelles il a affaire comme
plutôt exceptionnelles et à en concure que tous les moyens de
les combattre sont justifiés. Le drogué qui dit qu'il va
s'arrêter demain ne surmontera jamais sa mauvaise habitude. C'est
aujourd'hui que nous devons adopter une politique saine, pas demain.
On
prétend souvent qu'une inflation est impossible tant qu'il y a du
chômage et des machines non utilisées. Ceci aussi est une
dangereuse erreur. Si, au cours d'une inflation, les salaires nominaux
restent inchangés et que donc les salaires réels diminuent, il
sera possible d'employer plus de travailleurs dans les mêmes conditions.
Mais cela ne modifie pas les autres effets de l'inflation. Que les usines non
utilisées reprennent ou non dépend du fait que les prix des
biens qu'elles peuvent produire figurent ou non parmi ceux qui sont
affectés en premier par la montée des prix due à
l'inflation. Si tel n'est pas le cas, l'inflation ne conduira pas à
leur réouverture.
On
commet une erreur pire encore quand on affirme que l'on ne peut pas parler
d'inflation quand la quantité accrue de monnaie correspond à un
accroissement de la production et des capacités productives. Les
raisons pour lesquelles la monnaie supplémenbtaire est
dépensée n'a aucune importance tant que l'on ne se
préoccupe que des changements des prix et des salaires
consécutifs à l'inflation. Quelle que soit la manière dont
on se procure les moyens pour dépenser, les intérêts de
la communauté et de ses citoyens sont toujours mieux servis quand on
construit des rues, des maisons et des usines qu'en les détruisant.
Mais cela n'a rien à voir avec le problème de l'inflation. Ses
effets sur les prix et sur la production se font sentir même si on
l'utilise pour financer des projets utiles.
L'inflation,
l'impression de papier-monnaie supplémentaire et l'expansion du
crédit sont toujours intentionnelles : elles ne sont pas des actes
de Dieu qui nous tombent dessus, à l'image d'un tremblemnt de terre.
Quelque important ou pressant que puisse être un besoin, il ne peut
être satisfait que grâce aux biens disponibles, à l'aide
de biens produits grâce à la réduction d'une autre
consommation. L'inflation ne produit pas de biens supplémentaires,
elle ne fait que déterminer combien chaque citoyen devra sacrifier.
Comme l'impôt ou l'emprunt d'État, elle est un moyen de
financement, pas un moyen de satisfaire la demande.
On
prétend que l'inflation serait inévitable en temps de guerre.
C'est aussi une erreur. Un accroissement de la quantité de monnaie ne
crée pas le matériel de guerre — ni directement ni
indirectement. On devrait plutôt dire, quand un gouvernement n'ose pas
révéler au public la facture des dépenses de guerre et
n'ose pas imposer les restrictions à la consommation qu'il ne peut
éviter, qu'il préfèrera l'inflation aux deux autres
méthodes de financement, à savoir les impôts et
l'emprunt. De toute façon, il faut payer la guerre et le
surcroît d'armes et les gens devront donc diminuer leur consommation
d'autres biens. Mais il est politiquement opportun — même si
c'est fondamentalement antidémocratique — de dire aux gens que
la guerre et l'accroissement du nombre d'armes créeront les conditions
d'un boom économique et augmenteront la richesse. En tous cas,
l'inflation constitue une politique à courte vue.
De
nombreux groupes voient l'inflation d'un bon oeil parce qu'elle fait du tort
au créancier et vient en aide au débiteur. On pense que c'est
là une mesure en faveur des pauvres et contre les riches. Il est
surprenant de voir à quel point ces concepts traditionnels persistent
même dans des conditions radicalement différentes. Il fut un
temps où les riches étaient les créanciers, les pauvres
étant pour la plupart des débiteurs. Mais à notre
époque, avec les titres, les obligations, les caisses
d'épargne, les assurances et la sécurité sociale, les
choses ont bien changé. Les riches ont investi dans des usines, dans
des magasins, dans l'immobilier et dans les actions ordinaires. Par
conséquent ils sont plus souvent débiteurs que
créanciers. Au même moment, les pauvres — à
l'exception des agriculteurs — sont plus souvent créanciers que
débiteurs. En poursuivant une politique défavorable au créanciers,
on fait du tort à l'épargne des masses. On nuit
particulièrement aux classes moyennes, aux professions
libérales, aux fondations et aux universités. Même les
bénéficiaires de la sécurité sociale sont
victimes d'une politique s'attaquant aux créanciers.
Il
n'est pas nécessaire de parler en détail du contraire de
l'inflation, à savoir de la déflation. Cette dernière
n'est pas populaire pour la simple raison qu'elle favorise les
intérêts des créanciers aux dépens des
débiteurs. Aucun parti politique et aucun gouvernement n'a jamais
essayé de faire une tentative volontairement déflationniste.
L'impopularité de la déflation est clairement montrée
par le fait que les inflationnistes parlent tout le temps des maux de la
déflation afin de donner à leurs demandes d'inflation et
d'accroissement du crédit des apparences de justification.
2.
L'accroissement du crédit
Il
existe un fait fondamental de l'action humaine : les gens
préfèrent des biens de consommation immédiatement
disponible à des biens futurs. Un pomme que l'on peut manger tout de
suite a une plus grande valeur qu'une pomme qui ne sera disponible que
l'année prochaine. Et une pomme disponible l'année prochaine
aura a son tour une plus grande valeur qu'une pomme disponible dans cinq ans.
La différence des valeurs qu'on leur attribue se manifeste dans une
économie de marché sous la forme de l'escompte auquel sont
soumis les biens futurs quand on les compare aux biens actuels. Lors de
transactions monétaires, on appelle intérêt cet escompte.
L'intérêt
ne peut donc pas être aboli. Afin de l'éliminer, il faudrait
empêcher les gens de préférer une maison habitable
aujourd'hui à une maison disponible dans dix ans.
L'intérêt n'est pas particulier au seul système
capitaliste. Dans une communauté socialiste aussi, il faudra prendre
en compte le fait qu'une miche de pain non disponible pendant un an ne pourra
pas combler une faim actuelle.
L'intérêt
ne trouve pas son origine dans l'équilibre de l'offre et de la demande
de monnaie sur le marché du capital. C'est plutôt le rôle
des marchés de fonds prêtables, que l'on appelle dans le
métier marché de la monnaie (pour les crédits à
court terme) et marché des capitaux (pour les crédits à
long terme), que d'ajuster les taux d'intérêts des prêts
exprimés en monnaie à la différence d'évaluation
entre biens présents et biens futurs. Cette différence
d'évaluation est la véritable source de l'intérêt.
Un accroissement de la quantité de monnaie, aussi importante
soit-elle, ne peut pas influencer le taux d'intérêt à
long terme.
Aucune
autre loi économique n'est plus impopulaire que celle qui dit que les
taux d'intérêt sont, à long terme, indépendants de
la quantité de monnaie. L'opinion publique ne veut pas
reconnaître l'intérêt comme un phénomène du
marché. On pense que l'intérêt est un mal, un obstacle au
bien-être humain et on demande donc de l'éliminer ou au moins de
le réduire considérablement. L'accroissement du crédit
est considéré par ailleurs comme le moyen approprié pour
nous apporter de "l'argent facile".
Il
n'y a pas de doute que l'accroissement du crédit conduise à une
réduction du taux d'intérêt à court terme. Au
début, la quantité additionnelle de crédit oblige le
taux d'intérêt des prêts monétaires à se
situer à un niveau inférieur à ce qu'il aurait
été sur un marché non manipulé. Mais il est tout
aussi clair que même le plus important accroissement du crédit
ne peut pas modifier la différence d'évaluation entre biens
actuels et biens futurs. Le taux d'intérêt doit en fin de compte
revenir au niveau qui correspond à cette différence
d'évaluation. La description de ce processus d'ajustement est du
ressort de cette branche de l'économie que l'on appelle la
théorie des cycles.
Pour
chaque ensemble de prix, de salaires et de taux d'intérêts, il
se trouve des projets qui ne seront pas entrepris parce qu'un calcul de
rentabilité montre qu'ils n'offrent aucune chance de succès.
L'homme d'affaires n'a pas le courage de se lancer dans l'aventure parce que
ses calculs l'ont convaincu qu'il ne gagnera rien mais au contraire perdra de
l'argent.
Le
manque d'attrait du projet n'est pas une conséquence des conditions
monétaires ou du crédit ; il est dû à la
rareté des biens économiques et du travail et au fait qu'ils
doivent être consacrés à des usages plus pressants et donc
plus attractifs.
Quand
les taux d'intérêt sont artificiellement baissés par un
accroissement du crédit, on crée la fausse impression que des
entreprises considérées auparavant comme non rentables le
deviennent. La monnaie facile conduit les entrepreneurs à se lancer
dans des affaires qu'ils n'auraient pas entreprises à des taux
d'intérêt élevés. Grâce à la monnaie
empruntée, ils entrent sur le marché, augmentent la demande et
font monter les salaires et les prix des moyens de production. Ce boom
économique se serait évidemment arrêté
immédiatement en l'absence de nouveaux crédits
supplémentaires, parce que les hausses de prix auraient fait
réapparaître l'absence de rentabilité des nouvelles entreprises.
Mais si les banques continuent d'accroître le crédit, ce frein
ne fonctionne pas. Le boom continue.
Ce
boom ne peut pas continuer indéfiniment. Il n'y a qu'une alternative.
Soit les banques continuent d'accroître le crédit sans
restriction, et causent ainsi une montée constante des prix et une
orgie spéculative de plus en plus forte, ce qui se terminera comme
dans tous les cas d'inflation illimitée par une hausse de panique et
un effondrement du système monétaire et du système de
crédit [1]. Soit les banques s'arrêtent
avant d'atteindre cette limite et renoncent volontairement à tout
nouvel accroissement du crédit, causant ainsi une crise. Dans les deux
cas, il s'ensuit une dépression.
Il
est évident qu'un simple processus bancaire comme l'est
l'accroissement du crédit ne peut pas créer plus de biens et de
richesses. Le véritable résultat de l'accroissement du
crédit, c'est d'introduire une source d'erreur dans les calculs des
entrepreneurs et de les conduire à se tromper lors de
l'évaluation des projets commerciaux ou des projets d'investissement.
Les entrepreneurs agissent comme s'il y avait plus de biens de production
disponibles qu'il n'y en a en réalité. Ils prévoient
d'augmenter la production à un niveau pour lequel les quantités
disponibles de biens de production ne suffisent pas. Ces plans sont
destinés à échouer en raison de la quantité
insuffisante de biens de production. Il en résulte des usines qui ne peuvent
pas être utilisées parce que les biens complémentaires
manquent ; d'autres dont la construction ne peut pas être
achevée ; d'autres encore dont les produits ne peuvent pas
être vendus parce que les consommateurs en préfèrent
d'autres qui ne peuvent être produits en quantité suffisante,
les capacités productives nécessaires n'étant pas
là. Le boom économique n'est pas un surinvesissement
mais un investissement fourvoyé.
On
attaque souvent cette conclusion, qui ne serait vraie que s'il n'existait ni
capacités inusitées ni chômage au début de l'accroissement
du crédit. En cas de chômage et de capacités non
utilisées, les choses seraient différentes, nous affirme-t-on.
Or ces hypothèses ne changent rien au raisonnement.
Le
fait qu'une partie de la capacité de production ne pouvant être
utilisée pour un autre usage ne soit pas utilisée est la
conséquences d'erreurs commises par le passé. Des
investissements ont été faits autrefois, sous des
hypothèses qui se sont révélées erronées :
le marché veut aujourd'hui quelque chose d'autre que ce que peuvent produire
ces installations [2]. L'accumulation de stocks constitue
une spéculation. Le propriétaire ne veut pas vendre ses biens
aux prix actuels du marché parce qu'il espère en tirer de
meilleurs prix dans le futur. Le chômage des travailleurs est
également une facette de la spéculation. Le travailleur ne veut
pas déménager ou changer de métier, ne veut pas non plus
baisser ses exigences salariales parce qu'il espère trouver l'emploi
qu'il préfère au lieu qu'il préfère et à
un meilleur salaire. Les propriétaires de marchandises comme les
chômeurs refusent de s'ajuster aux conditions du marché parce
qu'ils espèrent de nouvelles données qui modifieront les
conditions du marché à leur avantage. Et comme ils ne veulent
pas réaliser les ajustements nécessaires, le système
économique ne peut pas atteindre "l'équilibre".
D'après
les avocats de l'accroissement du crédit, ce qu'il faut faire pour
utiliser à plein les capacités inusitées, pour vendre
les stocks à des prix acceptables par les propriétaires et pour
permettre aux travailleurs de trouver des emplois à des salaires qui
les satisfassent, c'est tout simplement les crédits
supplémentaires que permet l'accroissement qu'il défendent.
Telle est l'idée qui sous-tend tous les schémas cherchant
à "amorcer la pompe". Elle serait correcte en ce qui
concerne les stocks de biens et les chômeurs sous deux
conditions : (1) si la hausse des prix causée par la
quantité additionnelle de monnaie et de crédit affectait
simultanément et uniformément tous les autres prix et salaires,
et (2) si les propriétaires des surplus et les chômeurs
n'augmentaient pas les prix et les salaires qu'ils réclament. Ceci
conduirait alors à changer les rapports d'échange entre ces
biens et services d'une part, les autres biens et services d'autre part, de
la même façon qu'ils auraient changé en l'absence de
crédits supplémentaires par une diminution des prix et des
salaires destinées à trouver acheteurs et employeurs.
Le
déroulement du boom n'est pas modifié s'il y a, à son
commencement, des capacités productives non employées, des
stocks de biens invendus et des travailleurs au chômage. Nous pouvons
par exemple supposer que nous traitons de mines de cuivre, de stocks de
cuivre et de mineurs extrayant du cuivre, et que le prix du cuivre est
à un niveau où certaines mines ne peuvent pas continuer leur
production de manière rentable : leurs travailleurs doivent
rester sans rien faire s'ils ne veulent pas changer d'emploi et les
propriétaires de stocks de cuivre ne peuvent en vendre qu'une partie
s'ils refusent de baisser leurs prix. Ce qu'il faut pour remettre au travail
les mineurs et les mines et pour vendre les stocks sans baisser les prix,
c'est un accroissement p des biens de production en
général, ce qui permettrait d'augmenter la production
générale de sorte qu'une augmentation des prix, des salaires et
de la production de cuivre s'ensuivrait. Si cet accroissement p ne se
produit pas, mais que les entrepreneurs sont induits en erreur par
l'accroissement du crédit, qui les fait agir comme si p avait
eu lieu, les effets sur le marché du cuivre seront au début les
mêmes que si p s'était réellement produit. Mais
tout ce qui a été dit auparavant sur les effets de
l'accroissement du crédit se développe également dans ce
cas. La seul différence, c'est que l'investissement fourvoyé de
capital, pour ce qui concerne le cuivre, n'a pas besoin de retirer du capital
ou du travail aux autres secteurs de la production qui dans les conditions du
moment sont considérés comme prioritaires par les
consommateurs. Mais ceci n'est dû qu'à ce que le boom
résultant de l'accroissement du crédit, en ce qui concerne le
cuivre, touche des capitaux et des travailleurs préalablement mal
orientés mais ne s'étant pas encore ajustés par le
processus correcteur normal du mécanisme des prix.
Le
véritable sens du raisonnement concernant les capacités
inusitées, les stocks invendus — ou comme on le dit de
manière imprécise, invendables — et les travailleurs
inactifs devient dès lors évident. Tout accroissement du
crédit est confronté à son origine à de tels
vestiges d'investissements anciens et fourvoyés du capital, et semble
les "corriger". En réalité, il n'en fait rien et
perturbe le fonctionnement du processus d'ajustement. L'existence de moyens
de production inutilisés ne change en rien les conclusions de la
théorie monétaire des cycles économiques. Les
défenseurs de l'accroissement du crédit se trompent quand ils
croient qu'à cause de tels moyens de production non employés la
suppression de toute possibilité d'accroissement du crédit
perpétuerait la dépression. Les mesures qu'ils proposent ne
perpétueraient pas la véritable prospérité, mais
interférerait constamment avec le processus de réajustement et
de retour aux conditions normales.
Il
est impossible d'expliquer les changements cycliques de l'économie sur
une base autre que celle de la théorie habituellement appelée
théorie monétaire des cycles économiques. Même les
économistes qui refusent de reconnaître dans la théorie
monétaire l'explication correcte des cycles économiques n'ont
jamais essayer de nier la validité de ses conclusions sur les effets
d'un accroissement du crédit. Afin de défendre leurs
théories des cycles, qui diffèrent de la théorie
monétaire, ils doivent toutefois admettre que l'embellie ne peut pas
se produire sans accroissement simultané du crédit et que la
fin de ce dernier marque aussi le tournant du cycle. Les adversaires de la théorie
monétaire se bornent en effet à affirmer que l'embellie du
cycle n'est pas causée par l'expansion du crédit mais par
d'autres facteurs et que l'accroissement du crédit, sans lequel
l'embellie serait impossible, n'est pas la conséquence d'une politique
destinée à faire baisser les taux d'intérêt et
à inciter la mise en oeuvre de nouveaux projets commerciaux, mais
qu'il résulte de conditions conduisant d'une façon ou d'une
autre à cette embellie sans intervention des banques ou des autorités.
Certains
ont affirmé que l'accroissement du crédit résulte de la
hausse des taux d'intérêt venant de ce que les banques
n'arrivent pas à augmenter leurs taux d'intérêt
conformément à l'augmentation de taux "naturel" [3].
Cet argument ne saisit pas le point principal de la théorie
monétaire du cycle. Il importe peu que l'accroissement du
crédit provienne de ce que les banques facilitent l'accès au
crédit ou de ce qu'elles n'arrivent pas à s'aligner sur les
conditions du marché. Ce qui compte, c'est uniquement le fait qu'il y
ait accroissement du crédit en raison de l'existence d'institutions
considérant qu'il est de leur rôle d'influencer les taux
d'intérêts par l'octroi de crédits supplémentaires
[4]. Tous ceux qui croient que
l'accroissement du crédit est un facteur décisif du mouvement
qui conduit l'économie vers l'embellie, celle-ci devant
nécessairement être suivie d'une crise et d'une
dépression, devraient admettre que le moyen le plus sûr pour
éliminer les cycles du système économique consiste
à empêcher l'accroissement du crédit. Mais malgré
le consensus général sur le fait que des mesures devraient
être prises pour calmer les mouvements oscillants du cycle, les
propositions destinées à empêcher l'accroissement du
crédit ne sont pas entendues. On réclame une politique des
cycles économiques permettant de perpétuer l'embellie
créée par l'expansion du crédit tout en empêchant
la dépression. Les propositions d'arrêter l'accroissement du
crédit sont écartées parce qu'elle perpétueraient
la dépression. Il ne peut y avoir de preuve plus convaincante de la
théorie expliquant les cycles économiques comme
conséquence des interventions en faveur d'une politique d'argent
facile que cette obstination à refuser d'abandonner l'accroissement du
crédit.
Il
faudrait ignorer tous les événements de l'histoire
économique récente si l'on voulait nier que les mesures
cherchant à faire baisser les taux d'intérêt sont
considérées comme souhaitables et que l'accroissement du
crédit est quant à lui considéré comme le moyen
le plus fiable d'atteindre ce but. Le fait que le bon fonctionnement, le
développement harmonieux et le progrès constant de
l'économie sont toujours et encore perturbés par les booms
artificiels et les dépressions qui en résultent, ne constitue
pas une caractéristique intrinsèque de l'économie de
marché. C'est plutôt la conséquence inévitable des
interventions répétées et destinées à
mettre en place une politique d'argent facile au moyen de l'accroissement du
crédit.
3.
Le contrôle des changes
Toute
tentative du gouvernement de donner de force au papier-monnaie ou à la
monnaie nationale une valeur supérieure au prix du marché
entraîne les effets décrits par la loi de Gresham. Il en
résulte ce que l'on appelle communément une pénurie de
devises étrangères. Cette expression est trompeuse. Car tous
ceux qui offrent pour un bien donné un prix inférieur à
celui du marché sont incapables de l'acheter : ce qui est vrai
pour tous les autres biens l'est aussi pour les devises
érangères.
Le
fait qu'un bien économique n'est pas suffisamment abondant pour
satisfaire tous les usages souhaités constitue une de ses caractéristiques
essentielles. Un bien qui ne conduirait pas à une
"pénurie" dans cette acception du terme serait un bien
libre. Comme la monnaie est nécessairement un bien économique,
et pas un bien libre, il est inconcevable qu'il n'y pas
"pénurie" de monnaie. Les gouvernements qui adoptent une
politique d'inflation tout en prétendant en même temps ne pas
avoir fait baisser le pouvoir d'achat de la devise nationale ont autre chose
en tête lorsqu'ils se plaignent d'une pénurie de devises
étrangères. S'ils s'abstenaient de toute action
supplémentaire après avoir augmenté la quantité
de monnaie nationale par l'inflation, la valeur de la devise nationale
diminuerait par rapport à une monnaie métallique, son taux de change
et son pouvoir d'achat baisseraient. Il n'y aurait alors aucune
"pénurie" de monnaie métallique ou de devises
étrangères. Ceux qui seraient prêts à payer le
prix du marché pourraient obtenir contre leurs devises nationales
n'importe quel montant de monnaie métallique ou de devises
étrangères. Ceux qui achètent des biens doivent payer le
prix du marché après conversion par le taux de change du
marché : soit ils payent en monnaie métallique (ou en
devises étrangères), soit ils payent le montant correspondant
en devises nationales, ce montant étant déterminé par le
taux de change du marché.
Le
gouvernement ne veut cependant pas accepter ces conséquences.
Étant souverain, il se croit omnipotent. Il peut édicter des
lois pénales ; il dispose des tribunaux et de la police, de
potences et de prisons, il peut éliminer tous les opposants. Il
ordonne par conséquent de ne pas augmenter les prix. D'un
côté, le gouvernement imprime de nouveaux billets, entre sur le
marché avec cette nouvelle monnaie et crée donc une demande
supplémentaire de biens. De l'autre côté, il interdit
l'augmentation des prix, parce qu'il pense pouvoir faire tout ce qu'il veut.
Nous
avons déjà traité des tentatives de fixer le prix des
biens et des services. Nous allons désormais étudier les
tentatives de fixer les taux de change.
Le
gouvernement fait porter la responsabilité de l'augmentation des taux
de change sur le déficit de la balance des paiements et sur la
spéculation. Refusant d'abandonner la fixation des taux de changes, il
prend des mesures destinées à réduire la demande. Le change
n'est autorisé que pour ceux qui en ont besoin dans un but
approuvé par le gouvernement. Les biens dont l'importation est
considérée comme superflue par le gouvernement ne doivent plus
être importés ; le paiement des intérêts et de
l'amortissement aux créanciers étrangers est stoppé, les
citoyens n'ont plus le droit de voyager à l'étranger. Le
gouvernement n'arrive pas à comprendre que ses efforts pour
"améliorer" la balance des paiements ne servent à
rien. Si l'on importe moins, on exportera moins. Les citoyens qui
dépenseront moins d'argent à l'étranger, en produits
étrangers, en paiements d'intérêts et en remboursement de
prêts contractés à l'étranger n'utiliseront pas la
monnaie non utilisée pour augmenter leurs réserves de
liquidité. Ils la dépenseront dans le pays, faisant ainsi
monter les prix du marché national. En raison la hausse des prix,
parce que les citoyens achètent plus dans leur propre pays, on
exportera moins. Les prix n'augmentent pas seulement parce que les importations
sont devenues plus chères lorqu'on les exprime dans la monnaie
nationale, mais aussi parce que la quantité de monnaie a
augmenté et parce que les citoyens manifestent une demande plus
importante de biens nationaux.
Le
gouvernement croit qu'il peu atteindre ses buts en nationalisant les taux de
change. Dans ce cas, ceux qui reçoivent des devises
étrangères — du fait d'exportations par exemple —
sont obligés par la loi de les donner au gouvernement et
reçoivent uniquement en échange le montant de devises
nationales correspondant au taux fixé par le gouvernement, taux
inférieur à celui du marché. Si l'on devait faire
appliquer ce principe avec logique, les exportations s'arrêteraient
totalement. Comme le gouvernement ne désire pas cet effet, il doit
finalement céder. Il donne des subventions aux exportations,
destinées à compenser les pertes subies par les exportateurs en
raison de l'obligation qui leur est faite de se tourner vers le gouvernement
pour échanger les devises étrangères à des taux
de change fixes.
De
l'autre côté, le gouvernement vend des devises
étrangères à ceux qui en ont besoin pour des buts qui
ont l'aval des gouvernants. Si le gouvernement suivait sa fiction et ne
demandait que le prix officiel pour ces devises étrangères,
cela reviendrait à subventionner les importateurs (mais pas
l'importation). Comme tel n'est pas l'objectif du gouvernement, on cherche
à compenser cet effet en augmentant par exemple les taxes à
l'importation ou en imposant des taxes spéciales sur les transactions et
sur les profits réalisés par les importateurs.
Le
contrôle des changes signifie la nationalisation du commerce
extérieur et de toutes les transactions avec les pays
étrangers. Il ne modifie pas les taux de change. Que le gouvernement
supprime ou non la publication des véritables taux de change
reflétant les conditions du marché n'a pas d'importance. Les
seuls taux de change qui comptent lors de transactions commerciales avec
l'étranger sont ceux qui reflètent le pouvoir d'achat de la
devise nationale.
Les
effets sur la vie du citoyen d'une telle nationalisation des relations
économiques avec les pays étrangers sont d'autant plus grands
que le pays est petit et qu'il entretient des liens étroits en ce qui
concerne les relations économiques internationales. Voyager à
l'étranger, suivre des cours dans des universités
étrangères, lire des livres et des journaux publiés
à l'étranger ne sont possibles que si le gouvernement met les
devises étrangères à la disposition des individus. Pour
ce qui est de faire baisser les taux de change, le contrôle est un
échec total. Mais c'est un bon moyen pour instaurer une dictature.
4.
La fuite du capital et le problème des "capitaux flottants"
On
affirme parfois que le contrôle des changes serait nécessaire
pour empêcher la fuite du capital.
Quand
un capitaliste craint la confiscation partielle ou totale de ses biens par
l'État, il cherche à sauver ce qu'il peut. Il est toutefois
impossible de retirer le capital investi dans des entreprises pour le
transférer dans un autre pays sans subir de lourdes pertes. S'il
existe une crainte générale de confiscation étatique, le
prix payé pour s'engager dans les affaires baisse au niveau
reflétant la probabilité d'une telle confiscation. En octobre
1917, on ne donnait en Russie que quelques sous pour des entreprises qui
représentaient des investissements de millions de roubles-or. Par la
suite elles devirent totalement invendables.
Le
terme de "fuite du capital" est trompeur. Le capital investi dans
les entreprises, les bâtiments et l'immobilier ne peut pas fuir :
il ne peut que changer de main. L'État qui souhaite confisquer n'y
perd rien. C'est le nouveau propriétaire qui sera la victime de la
confiscation à la place de l'ancien.
Seul
l'entrepreneur qui a compris à temps le danger de la confiscation est
capable d'éviter la perte qui menace autrement qu'en vendant toutes
ses affaires. Il peut s'abstenir de renouveler les équipements
totalement usés et transférer les montants ainsi
économisés vers d'autres pays. Il peut laisser à
l'étranger les fonds obtenus lors d'exportations. S'il utilise la
première méthode, son usine cessera tôt ou tard
d'être productive ou au moins d'être concurrentielle. S'il
choisit la seconde, il devra restreindre ou arrêter sa production par manque
de capital, à moins de pouvoir emprunter des fonds
supplémentaires.
Hormis
cette exception, un État cherchant à confisquer partiellement
ou totalement les entreprises situées sur son territoire ne court pas
le risque de perdre une partie de son butin par la fuite des capitaux.
Les
propriétaires de monnaie, de billets à ordre, de
dépôts et d'autres titres se trouvent dans une meilleure
situation que les propriétaires d'entreprises et de
propriétés concrètes. Ils ne sont toutefois pas menacés
par la seule confiscation : l'inflation peut aussi les priver de tout ou
partie de leur propriété. Mais ils peuvent acheter des devises
étrangères et transférer leur capital à
l'étranger, parce que leur capital ne consiste qu'en
liquidités.
Les
gouvernements ne veulent pas l'admettre. Ils croient qu'il est du devoir de
chaque citoyen d'accepter tranquillement les mesures confiscatoires ; et
ceci même dans le cas où — comme avec l'inflation —
les mesures ne bénéficient pas à l'État mais
uniquement à certains citoyens. L'un des rôles assignés
au contrôle des changes est d'empêcher une telle fuite du
capital.
Examinons
un exemple historique. Au cours des premières années qui ont
suivi l'armistice de 1918, il était possible de vendre à
l'étranger des billets de banques, des obligations et des titres
allemands, autrichiens et hongrois, remboursables dans la monnaie de ces
pays. Les gouvernements empêchèrent alors directement ou
indirectement de telles ventes en forçant leurs sujets à leur
donner les devises étrangères reçues au cours de ces
transactions. Les économies allemande, autrichienne ou hongroise
devinrent-elles plus riches ou plus pauvres du fait de cette
intervention ? Supposons qu'en 1920 des Autrichiens aient réussi
à vendre à des étrangers des titres sur des hypothèques
autrichiennes au prix de 10 dollars pour chaque unité ayant une valeur
de 1000 couronnes. Le créancier autrichien aurait donc sauvé
environ 5 % de la valeur nominal de son titre. Le débiteur
autrichien n'aurait pas été affecté en quoi que ce soit.
Cependant, lorsque le débiteur autrichien dut rembourser sa dette
à la valeur nominale de 1000 couronnes, ce qui correspondait environ
à 200 dollars en 1914, les 1000 couronnes remboursées en 1922
ne valaient plus qu'à peu près 1,4 cent. La perte d'environ 9,98
dollars aurait été subie par le propriétaire
étranger, pas par un Autrichien. Peut-on dire, dès lors, qu'une
politique empêchant de telles transactions était
justifiée par les intérêts des Autrichiens ?
Les
propriétaires de liquidités essaient autant que possible
d'éviter les risques de dévaluation qui menacent de nos jours
tous les pays. Ils conservent de gros comptes en banque dans les pays les
moins susceptibles de dévaluer dans un avenir immédiat. Si les
conditions évoluent et qu'ils craignent pour leurs fonds, ils
transfèrent leurs comptes vers d'autres pays qui offrent pour le
moment une plus grande sécurité. Ces comptes toujours
prêts à fuir — appelés "capitaux
flottants" [hot money] — ont exercé une influence
considérable sur les données et le fonctionnement du
marché international de la monnaie. Ils représentent
actuellement un sérieux problème pour le bon fonctionnement du
système bancaire moderne.
Au
cours des cent dernières années, tous les pays avaient
adopté un système de réserve unique. Afin de faciliter
la poursuite par la Banque centrale d'une politique d'accroissement du
crédit national, les autres banques ont été
incitées à déposer la majorité de leurs
réserves à la Banque centrale. Les banques ont alors réduit
leurs réserves de liquidités au montant indispensable pour le cours
normal des affaires de tous les jours. Elles n'ont plus
considéré comme nécessaire de coordonner les titres
payables et encaissables arrivant à terme, de façon à
pouvoir remplir pleinement et rapidement leurs obligations à tout
instant. Afin de pouvoir faire face aux demandes de paiements des
déposants pour les titres arrivant quotidiennement à terme,
elles estimèrent suffisant de posséder des avoirs que la Banque
centrale considérait comme une base satisfaisante pour lui accorder
des crédits.
Quand
l'afflux de "capitaux flottants" commença, les banques ne
virent aucun danger dans l'accroissement de la demande de dépôts
à court terme. En comptant sur la Banque centrale, elles
acceptèrent les dépôts et les utilisèrent comme
base pour augmenter leurs prêts. Elles ne prirent pas conscience du
danger qu'elles attisaient. Elles ne pensèrent pas un instant aux
moyens dont elles auraient un jour besoin pour rembourser ces
dépôts qui étaient à l'évidence sans cesse
prêts à partir.
On
dit que l'existence de tels "capitaux flottants" nécessite
un contrôle des changes. Étudions la situation aux
États-Unis. Si, le 5 juin 1933, les États-Unis n'avaient pas
interdit la possession d'or par les particuliers, les banques auraient
été capables de poursuivre une activité spécifique
de dépôts d'or, en séparant cette branche de leurs autres
transactions commerciales. Ils auraient acheté de l'or pour ce secteur
d'activité, or qu'ils auraient pu conserver eux-mêmes ou
déposer, estampillé, en sécurité dans les banques
de la Réserve fédérale. Ainsi, cet or aurait
été isolé de la devise américaine et du
système bancaire. Ce n'est que parce que le gouvernement est intervenu
en interdisant aux particuliers de posséder de l'or que le
problème des "capitaux flottants" est survenu. Le fait que
les effets malencontreux d'une intervention rende d'autres interventions
nécessaires ne justifie pas l'interventionnisme.
Bien
entendu, ce problème n'est plus d'actualité aujourd'hui. La
fuite des capitaux a atteint son dernier havre, les États-Unis. Il n'y
a plus d'autre endroit sûr où ils pourraient partir si ce refuge
se révélait illusoire.
Notes
[1] Comme expliqué dans la
présente partie sur l'accroissement du crédit.
[2] En l'absence d'accroissement du
crédit, il y aurait aussi des usines n'étant pas
utilisées à leur pleine capacité. Mais elles ne
perturbent pas plus le marché que les terrains submarginaux
laissés en friche.
[3] Fritz Machlup parle d'une
"inflation passive" (The Stock Market, Credit and capital
Formation, Londres, 1940, p. 248).
[4] Quand une banque est incapable
d'accroître le crédit, elle ne peut pas engendrer d'embellie
même si elle baisse ses taux d'intérêt sous le niveau du
marché. Dans ce cas elle ferait simplement un cadeau à ses
débiteurs. En ce qui concerne les mesures de stabilisation, il ne faut
pas tirer de la théorie monétaire du cycle la conclusion que
les banques ne devraient pas diminuer leurs taux d'intérêt, mais
qu'elles ne devraient pas augmenter le crédit. C'est ce qui a échappé
à Gottfried Haberler (Prosperity and Depression,
Société des Nations, 1939, pp. 65 sqq.) et fait que
l'on ne peut pas accepter ses critiques.
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