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Il y a quelques
semaines (le 6 mars précisément), j'affirmais que pendant les
années de bulle immobilière, le déflateur du PIB des
états qui avaient connu la bulle immobilière, au premier rang
desquels les USA, avait été grossièrement
sous-estimé par faute d'une mauvaise prise en
compte de l'immobilier dans l'indice des prix, et que donc par voie de conséquence les
chiffres de croissance du PIB américain étaient quant à
eux surestimés. Toutefois, je me gardais bien, faute
de données suffisantes, de donner une estimation de la "fausse
création de valeur" ainsi engendrée par la bulle
immobilière.
Le prix Nobel d'économie 2002 Vernon
Smith (photo) apporte de l'eau à mon moulin, et ose
chiffrer la sous estimation de l'inflation. Selon lui, la distorsion est
énorme: en 2004, elle aurait atteint 2,9% ! Cf. Cet
article du WSJ traduit par l'institut Turgot:
En
mai 2004, au moment où la Réserve fédérale a
lentement commencé à augmenter le taux des Fed Funds,
l’indice composite Case-Shiller pour 20 villes avait augmenté de
15,4% au cours des 12 mois précédents.
Or,
au cours de ces 12 mois-là, la composante du logement dans
l’Indice des Prix à la Consommation (IPC) n'avait
augmenté que de 2,4%.
Si
les coûts effectifs pour le propriétaire occupant y avaient
été inclus, la hausse de l’Indice
des Prix à la Consommation aurait été de 6,2% et non de
3,3%.
Comment
cela a-t-il pu se produire ? C’est qu’en 1983, pour les logements
occupés par leur propriétaire, le Bureau of Labor Statistics
avait commencé à utiliser l’équivalent de la
valeur locative à la place des coûts directs pour le
propriétaire occupant.
Entre
1983 et 1996, le rapport du prix de vente sur le loyer annuel est
passé de 19,0 à 20,2, de sorte que ce changement-là
avait eu peu d'effet sur l'inflation mesurée : au cours de cette
période-là l'IPC ne sous-estimait l'inflation que d'environ 0,1
point de pourcentage par an.
Or,
entre 1999 et 2006, le rapport du prix de vente sur le loyer annuel est
passé de 20,8 à 32,3. Avec une augmentation des prix de
l’immobilier exclue de l'IPC, alors que le rapport des prix au loyer
annuel s’accroissait rapidement, c’est un élément
important de l'inflation qui s’est alors retrouvé en-dehors de
l'indice.
Cela ne signifie
pas forcément que le chiffre de croissance annoncé à
l'époque (2004: 3,6%) aurait dû être réduit de
2,9%, car la disparité des situations individuelles et
géographiques (Smith,
comme trop d'économistes de renommée tout aussi grande, ignore
dans son argument le facteur réglementaire dans la formation de la
bulle immobilière) face au logement implique sans doute un
peu plus de finesse que la méthode de calcul de Smith, très
basique, ne le suggère. Notamment, l'indice de Case Schiller qui sert
de référence au calcul de la bulle immobilière ne prend
en compte que 20 agglomérations parmi les plus importantes, mais
néglige quelques pôles mineurs comme... Houston, et une grande
partie des villes moyennes (à l'échelle US) de la middle
America qui n'ont pas connu la bulle, malgré une croissance
démographique généralement forte.
Mais si erreur
d'approximation il y a, elle n'est sans doute pas catastrophique. En tout
cas, voilà qui suggère que les statistiques de PIB sont
incapables de prendre en compte le caractère bullaire d'une
économie là où les lois du marché sont
empêchées de fonctionner correctement, sur
un poste de dépense qui représente couramment entre 15 et 40%
du train de vie des ménages.
Bien entendu, il
n'y a aucune raison de penser que l'erreur se soit limitée à
2004. Si les chiffres de Smith sont confirmés, ce sont, de
façon assez conservative, au moins 10% d'augmentation du PIB courant
qui auront été comptées comme de la création de
valeur alors qu'elles n'auront été que de la création de
monnaie durant la période 2000-2007.
Cette
hypothèse est assez cohérente avec le graphe ci-dessous, issu
par Goldman Sachs (et trouvé sur le site de Barry Ritholtz), qui
estime ce qu'aurait été la croissance du PIB des USA sans que
la prise de valeur --
artificielle, comme vous le savez -- de
l'immobilier ne soit aux 2/3 converties en crédit hypothécaire
rechargeable :
Créer de
la monnaie n'est pas créer de la valeur
Mais créer
de la monnaie n'est pas créer de la valeur. Et si les indices
officiels confondent monnaie (inflation) et valeur (croissance), alors toutes
les anticipations et calculs économiques des entreprises et de ceux
qui leur prêtent des fonds sont faussées, ce qui est un
élément supplémentaire favorisant le malinvestissement.
Et ajoutons que
si Alan Greenspan avait eu à sa disposition des chiffres lui indiquant
6,0% d'inflation et 0,5% de croissance, ou quelque chose d'approchant, sa
réaction eut été totalement différente de celle
qu'il a eu au vu de chiffres officiels d'environ 3% d'inflation et autant de
croissance...
Au delà
d'une nécessaire réforme des institutions financières
déjà évoquée ici (banques centrales, Bâle II, lois de distorsion du crédit et GSEs)
qui nous ont conduit dans l'impasse actuelle, un véritable travail
académique d'amélioration de la prise en compte des
phénomènes de bulles immobilières dans les valeurs de
croissance et d'inflation doit être effectué, sous peine de
retomber dans les mêmes errements d'ici quelques années,
lorsqu'une nouvelle bulle se reformera.
Naturellement, le
problème n'est pas seulement américain. Toutes les
économies où l'indice des prix n'intègre que la hausse
des loyers (la France en
fait partie) ont à des degrés divers le même
problème, surtout si ces pays pratiquent à grande
échelle le crédit hypothécaire rechargeable (Cette fois, nous ne sommes pas
concernés) qui démultiplie l'argent non
gagné, la monnaie sans contrepartie, en circulation.
Bien qu'ancienne,
l'économie en tant que science a au moins autant de chemin à
parcourir que la climatologie pour arriver à nous donner les bonnes
clés de lecture du passé et de prévision de l'avenir.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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