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Il y a des libéraux qui
ne s’assument pas au point que de se sentir obligés de
définir le libéralisme en opposition au capitalisme, en prenant
le risque d’en défigurer le message et les valeurs. Pourquoi
cette volonté de vouloir toujours faire du capitalisme un repoussoir,
de s’en démarquer, de prendre ses distances?
Il est vrai que le jugement de Marx est sans appel: « le
capitalisme est l’exploitation de l’homme par
l’homme ». Mais c’est faire preuve de grande faiblesse
que de cautionner les définitions qui sont données par les
ennemis du capitalisme.
C’est oublier
que le capitalisme est le seul système économique qui
fonctionne dans les faits, ce qui n’est pas la moindre de ses
qualités. On peut imaginer d’autres systèmes meilleurs,
mais ils n’ont jamais existé si ce n’est que dans la
tête des dictateurs, des fanfarons et des charlatans. On peut attendre
toute sa vie la femme ou l’homme de ses rêves… et passer
à côté d’un homme ou d’une femme qui existe
vraiment.
Et si le capitalisme,
c’était l’exploitation de l’homme pour
l’homme? Comme un terrain fertile en friche, un homme « non
exploité » est un capital humain non valorisé. Et la
première victime de cet abandon, c’est l’homme lui-même.
Que serait le progrès sans le capitalisme?
Rappelons
que c’est le développement capitaliste qui a permis
l’émergence des classes moyennes et la mobilité sociale.
C’est encore le développement capitaliste qui a poussé
les sociétés à évoluer dans leur organisation
politique, sociale et institutionnelle pour tenter de trouver les formes les
plus adaptées et les plus ouvertes à l’évolution
économique.
Car le capitalisme est
fondamentalement dynamique et évolutif: il pousse à
l’innovation dans tous les domaines. Puisqu’il repose sur un
processus continu d’accumulation du capital (physique, humain et
financier) qui implique expériences, tâtonnements et innovations
permanentes, il suppose la reconnaissance de certains droits fondamentaux qui
ont fondé la philosophie libérale. Le capitalisme est si
ancré dans la nature humaine que sa négation implique la
négation de l’homme lui-même.
Peu de gens pourraient
vivre sans les biens et services que nous fournissent les entreprises. Peu de
gens seraient disposés à se passer du confort que nous
fournissent les technologies modernes dont la plupart ont été
inventées par des entreprises. Et ces entreprises fonctionnent parce
qu’elles cherchent à réaliser un profit.
Comme le profit ne se
décrète pas, les entreprises sont poussées à
détecter les besoins des ménages et à tenter de les
satisfaire du mieux qu'elles le peuvent pour 1) conserver leurs clients et 2)
être profitables. Mais non seulement doivent-elles répondre aux
besoins des ménages que nous sommes tous, elles doivent
également intégrer les aspirations des travailleurs, des
actionnaires et des contribuables que nous sommes tout autant.
Tel est le
capitalisme. À défaut de le présenter pour mieux le
comprendre (car chacun de nous devra y trouver sa place), on s’en sert
comme d’un épouvantail pour mieux le diaboliser comme s’il
existait une alternative. C’est parce que des générations
entières ont cru à ces chimères qu’elles sont
aujourd’hui à la merci de la précarité et du
chômage permanent. Personne n’a le pouvoir d’insérer
des gens dans un monde qui n’existe pas et n’existera jamais.
Capitalisme et innovation
Le
capitalisme est ancré dans l’être humain depuis la nuit
des temps. De ce point de vue, notre époque moderne n’est pas si
originale. Déjà, l’époque préhistorique
elle-même est marquée par l’innovation. Les
pré-humains, à leur manière, ont innové pour
survivre. De plus, leurs innovations furent radicales car ils avaient
tout à apprendre en inventant l’humanité.
La première
innovation radicale fut sans doute liée à un changement
d’habitat. Nous savons aujourd’hui que nos lointains
ancêtres furent probablement de petits « singes » vivant
dans les arbres. Poussés par l’instinct de survie, et
peut-être déjà par la curiosité, ces derniers ont
dû un jour conquérir les plaines en quête de nourriture et
d’espace vital. Ce faisant, ils inventèrent la bipédie,
la station debout permettant de voir au loin en se dressant au-dessus de la
végétation pour se protéger des prédateurs.
La
deuxième innovation, toute aussi essentielle, a concerné le
régime alimentaire. D’abord exclusivement
végétariens, nos ancêtres pré-humains sont devenus
charognards. Puis, ils ont appris à chasser pour se nourrir de viande
fraîche. Enfin, ils ont domestiqué le feu et fait cuire leur
viande. À chaque étape, ils ont dû aller contre leur
nature ou leur tradition en innovant de la sorte. Ou alors c’est bien
la nature créatrice, mais tellement singulière, de l’homme
qui s’exprimait déjà. En tout cas, le hasard
combiné à la nécessité,
l’expérimentation combinée à la prise de risque,
ont permis ces innovations fondatrices de la civilisation elle-même.
(Imagine-t-on un animal végétarien se mettre à manger de
la viande, ou une proie devenir prédateur?)
La maîtrise du
feu, l’invention du langage parlé résultant de la
maîtrise progressive de cris et de sons spontanés, la
fabrication des outils, l’invention de l’écriture qui
donne naissance à l’histoire, la découverte de la
roue… tous ces événements fondateurs et fondamentaux ont
marqué cette épopée humaine principalement basée
sur l’innovation et sa diffusion irréversible autant
qu’irrépressible. Accumuler des expériences, en tirer des
enseignements, mettre cette mémoire au service de
l’évolution, telle est la nature profonde du capitalisme. Le
capitalisme, c’est le système qui nous permet d’exprimer
et de profiter de ces aptitudes innées (apprentissage,
découverte, innovation) qui font l’homme.
À ces
époques si reculées à nos yeux d’hommes modernes,
l’être humain, et sans doute quelques individualités plus
entreprenantes que d’autres, se distingue des autres espèces
animales par sa soif d’apprendre qui le pousse à faire des
expériences bizarres. C’est cet apprentissage basé sur
l’expérimentation qui aboutit à l’innovation,
nourrissant un processus d’accumulation du savoir et des techniques,
qui nous vient de la nuit des temps.
Il est tout simplement
délirant que certains puissent penser maîtriser ce processus
pour ensuite le stopper.
Un processus séculaire
L’innovation,
qui participe au processus d’émergence progressive et
séculaire du capitalisme, n’a pas commencé à la
révolution industrielle. D’ailleurs, il est intéressant
de noter que les premières législations sur les brevets ont
été pensées dès le XVe siècle. À
partir du moment où le processus d’innovation fut
enclenché, il ne s’est plus jamais interrompu. Il s’est
accéléré.
Mais, s’est-il
récemment accéléré? Le phénomène de
l’accélération est-il lui-même récent?
En fait, l’apprentissage
s’est toujours accéléré… Avec
l’invention de l’écriture, chaque génération
pouvait transmettre, avec une plus grande efficacité, son
héritage intellectuel et culturel aux générations qui
suivent. Ce fut déjà un fabuleux coup
d’accélérateur.
De milliers
d’années, l’évolution technologique,
économique et sociale s’est alors déclinée en
siècles. Chaque grande civilisation (grecque, romaine, chinoise,
arabe, européenne…) a alors participé à la
conservation et à l’évolution des mathématiques et
des sciences. Et les travaux les plus récents des historiens montrent
que le « Moyen Âge » européen ne fut pas
la période noire et figée que l’on a bien longtemps voulu
voir.
Le
phénomène d’accélération n’est pas
propre à notre époque moderne. Il est contenu dans le processus
d’apprentissage lui-même.
Plus on sait et plus
on apprend vite. C’est vrai pour l’individu, pour
l’entreprise comme pour la société. Il a fallu des
milliers d’années aux pré-humains pour devenir
véritablement humains. Avec l’écriture et les outils, les
évolutions s’accélèrent. Le pré-humain a
mis des milliers d’années à inventer le langage. Les
enfants humains apprennent à parler au bout de deux à trois
années. Ainsi, les apprentissages se transforment en acquis
irréversibles, s’inscrivant dans la culture et
l’héritage génétique des hommes.
Ce faisant, ils
forment le capital humain dont les théories modernes de la croissance
ont redécouvert la contribution essentielle et inestimable à la
croissance économique et l’évolution des
sociétés.
Finalement,
l’innovation n’est pas une caractéristique propre à
la société moderne ou ce que les auteurs modernes ont
désigné comme étant le capitalisme industriel, sauf
à reconsidérer une définition plus épurée,
et somme toute plus rigoureuse, du capitalisme comme désignant le mode
d’accumulation de toute forme de capital.
De ce point de vue,
l’apprentissage et l’innovation constituent les modalités
de l’accumulation du capital humain, ce dernier étant à
la base de toutes les autres formes de richesses (financières,
matérielles, intellectuelles ou culturelles).
L’innovation
s’inscrit au coeur même de la nature
humaine et de son épopée, au-delà de la diversité
nécessaire mais apparente des systèmes sociaux auxquels elle
aura donné l’impulsion.
Mais
l’innovation implique le capitalisme sans lequel on ne peut accumuler
aucun capital.
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