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Cours Or & Argent

Innovation idéologique au PS: l'esclavagisme libéral Le très curieux libéralisme de Delanoë

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Publié le 02 juin 2008
2017 mots - Temps de lecture : 5 - 8 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Après les fleurs, les épines. Certains dignitaires socialistes, et je m'en suis félicité, ont osé affirmer qu'ils s'estimaient autant socialistes que libéraux, ce qui ouvre une perspective nouvelle au débat politique interne à notre pays. En effet, maintenant qu'une personnalité  de gauche de l'envergure du maire de Paris, Bertrand Delanoë, a admis dans son dernier ouvrage « de l'Audace » qu'il y avait du bon à prendre dans l'idée libérale, que le marché était le seul moyen de produire des richesses, que concurrence et compétition ne devaient plus être considérées comme des gros mots, la tâche de ceux dont le discours politique se bornait à diaboliser le libéralisme en toute circonstance se trouvera compliquée. Le prêt à penser anti-libéral, qui leur tenait lieu d'intelligence, ne sera plus que le cache misère de la vacuité de leurs propositions.

 

Ceci dit, la lecture plus approfondie des propos de M. Delanoë (extrait) montre qu'à l'évidence, son libéralisme est très altéré, ce qui fera, à juste raison, dire aux vrais libéraux qu'il n'est pas véritablement libéral. On s'en doutait un peu, à vrai dire.
 

 

Bertrand Delanoë, dans son ouvrage (p.49 à 53), commence pourtant fort justement par affirmer que le libéralisme est avant tout une doctrine de droit, visant à garantir à toute personne la jouissance de droits naturels fondamentaux (liberté, propriété, sûreté, résistance à l'oppression, cf. Déclaration de 1789, art.2) pourvu que l'exercice de ces droits n'obère pas la jouissance de ces droits pour autrui (art. 4). Jusqu'ici, tout va bien, on pourrait croire qu'il lit objectif liberté !

 

Mais, dès le départ, M. Delanoë rejette le libéralisme comme, je cite, orthographe du livre conservée,  «  fondement économique et même sociétal, avec ses corollaires : désengagement de l’Etat et laisser-faire économique et commercial ».

 

Sophismes ?

 

Mr. Delanoë, dans un premier temps, affirme que les humains ont le droit de rechercher le bonheur par les voies qui leur sont propres, ce qui est la définition même du libéralisme. Pourtant, il dénie au libéralisme le rôle de « fondement économique et sociétal ». Voilà qui n'est guère cohérent: ou bien le fondement « sociétal » régissant nos vies doit être ce droit à la recherche individuelle du bonheur, ou bien il ne doit pas l'être, et l'on quitte le champ du libéralisme pour rentrer dans celui de l'imposition collective de normes pouvant aller à l'encontre des souhaits individuels.

 

Du principe de la liberté des choix individuels découle naturellement l'établissement d'une économie libérale. L'individu doit être libre de rechercher à contracter avec un employeur qui lui convienne, ou de risquer son capital dans une entreprise susceptible de le fructifier, libre de ses choix de consommation, pourvu qu'il en assume les coûts. Mais puisqu'il ne peut empiéter sur la liberté d'autrui, il ne peut en aucun cas imposer à l'autre d'accepter les termes de son contrat: l'entrepreneur dont la production ne trouve pas preneur peut être mis en faillite, le salarié d'une entreprise insuffisamment performante ne peut espérer que son emploi soit garanti, etc... M. Delanoë reconnaît qu'il ne sert à rien de vouloir surprotéger les emplois existants, que cela se fait toujours au détriment de ceux qui n'ont pas d'emploi, qu'il faut repenser la gestion de la mobilité professionnelle. Voilà qui est sensé, mais alors pourquoi ne pas reconnaître au libéralisme le rôle de fondement économique et sociétal ?

 

Mr. Delanoë critique le « désengagement de l'état » qu'implique le libéralisme. Mais lorsque l'intervention de l'état revient à limiter de façon aussi abusive qu'aujourd'hui la liberté des individus de créer, de contracter, de prendre des risques individuels, et ce généralement sous la pression d'intérêts catégoriels, le désengagement de l'état n'est il pas alors la condition première du retour à plus de liberté dans les voies offertes à la recherche du bonheur individuel ?

 

Il y a sans doute, dans les incohérences de B. Delanoë, une part de calcul politique. M. Delanoë se rend compte que le PS ne peut plus refuser en bloc que le droit comme l'économie ne soit fondés sur un socle libéral, mais il ne doit pas violer les consciences des militants du PS de façon trop brutale. Aussi pose-t-il tout de suite des limites à son libéralisme, dût-il apparaître incohérent aux « libéraux érudits », sachant que les critiques de nature puriste qui lui seront opposées par les rares libéraux assumés du paysage politique français ne  feront guère parler d'elles.

 

Utilitarisme ou esclavagisme masqué ?

 

Un second aspect beaucoup plus gênant du « libéralisme » de M. Delanoë est évidemment son refus de remettre en cause les dogmes du PS concernant l'état, le poids de la fonction publique, l'importance de la redistribution. Il affirme que le PS doit rester le parti de l'impôt, afin de financer des services publics forts et des redistributions importantes.

 

Autrement dit, l'état doit permettre à des entreprises privées de se lancer, d'entrer en compétition, de réaliser des profits, doit permettre à des cadres et dirigeants de créer de la valeur, mais... cette valeur ne sera pas en grande partie créée pour eux mêmes mais captée par l'état au profit des choix politiques satisfaisant ses clientèles...

 

La liberté selon Delanoë sert donc à créer des richesses pour que l'état puisse les prendre ! Le "libéralisme" de M. Delanoë est donc avant tout un utilitarisme : le libéralisme économique n'est dans cette perspective utile que parce qu'il permet à l'état de se servir une part dans un gâteau plus gros...

 

Que cela plaise ou non, nous ne nous passerons pas dès demain de police publique, d'armée publique, de magistrats publics. Si nombre d'activités aujourd'hui gérées par l'état devraient être remises dans le champ concurrentiel, certaines resteront, pour des raisons diverses, l'apanage d'employés publics pendant encore longtemps. Le financement de ces activités nécessitera donc l'existence de prélèvements obligatoires. Mais un vrai libéral s'honorerait de tout faire pour réduire la charge pesant sur le contribuable, pas de la pérenniser. Et là encore, il convient de se demander si ceux qui bénéficieront du produit de cet impôt seront à leur tour soumis à des contraintes de résultats comparables à celles du secteur privé, le même risque pour leur carrière, voire leur emploi, s'ils se révèlent insuffisants, ou si la gestion de ces personnels doit rester empreinte de laxisme et de complaisance envers l'inefficacité, comme cela est le cas aujourd'hui. De même, il conviendrait que les redistributions à caractère social de l'état, lorsque leur suppression n'est pas envisageable pour quelque raison que ce soit, aillent réellement à ceux qui en ont besoin (contre exemple), que leur mode de calcul ne constitue pas une extorsion opérée au détriment de ceux qui n'appartiennent pas aux clientèles électorales recherchées par les politiciens. 

 

Or, si Bertrand Delanoë reste vague sur ces questions, il continue de glorifier l'existence de services publics nombreux et des impôts élevés. Si son "libéralisme" revendiqué se satisfait de la captation de la richesse produite par les uns au profit d'un secteur surprotégé et hypertrophié, alors son libéralisme est bien pire qu'un utilitarisme, il est un esclavagisme qui cache (mal) son nom.

 

L'esclavagisme est l'antithèse du libéralisme. Comme le dit lui même B.Delanoë, « il n'est pas d'oppression juste ».  Ce simple constat de bon sens devrait l'amener à récuser les services publics pléthoriques et statutairement protégés comme moyen juste d'atteindre les objectifs « sociaux » qu'il assigne aux politiques. Mais les contradictions internes de son parti tout comme, sans doute, les tourments internes que lui infligent son conditionnement de longue date aux dogmes les plus rétrogrades de son parti, lui interdisent pour l'instant d'atteindre une telle cohérence.

 

Contresens : laisser-faire ou laissez-faire ?

 

B. Delanoë assimile le libéralisme au « laisser-faire » qui signifierait l'abdication du pouvoir de l'état contre les abus commis par les acteurs économiques les plus puissants. Mais il se trompe. Le libéralisme n'est pas la doctrine du « laisser », mais du « laissez » faire. Cette distinction grammaticale apparemment subtile n'est pas innocente. « laissez faire, laissez passer », signifie que l'Etat ne doit s'opposer ni à l'entreprise, ni au commerce, mais il n'est pas le "laisser-faire  n'importe quoi", celui du renard libre dans le poulailler libre, qui n'est pas un libéralisme mais un mauvais ersatz, un capitalisme de connivence entre grands dirigeants et ministres, hélas entré dans les gènes de la société française depuis le XIXème siècle. Le libéralisme laisse faire en ce sens qu'il laisse entreprendre, mais n'exonère pas l'entreprise humaine de ses responsabilités si l'aventure tourne mal, et ne donne pas au politique le pouvoir de favoriser ses protégés. Pas de liberté sans responsabilité, pas de libéralisme sans égalité devant la responsabilité.

 

Le libéralisme n'est pas l'absence de régulation,il est une philosophie différente et simple de la régulation, fondée sur la sanction sans faiblesse des atteintes aux droits naturels d'autrui, et de ces atteintes là uniquement, par des tribunaux jugeant en toute indépendance, cette sanction devant constituer une dissuasion nécessaire et suffisante des comportements dangereux ou malhonnêtes.

 

Naturellement, le principe théorique est plus facile à énoncer qu'à appliquer. Certains individus commettent de bonne foi des actes préjudiciables dont ils ont mal évalué les risques, et dont les effets peuvent être douloureux. D'autres tentent de profiter de leur position économique et sociale pour se soustraire au principe de responsabilité individuelle. L'existence de ces écueils crée de la demande politique pour des lois de régulation préventive venant contraindre les acteurs de la société avant qu'ils n'agissent. La société parfaite ne pouvant exister, le système légal se mue alors en compromis entre un laissez-faire libéral sous la contrainte du risque de sanction, et une réglementation préventive limitant la capacité des individus à agir constamment suivant leur seule volonté. Le libéral souhaite que l'équilibre penche fortement en faveur du laissez-faire. Nous constatons sans peine que le la situation d'aujourd'hui a au contraire largement privilégié la prévention réglementaire, devenue castratrice et abusive, avec 600 000 textes opposables aux tiers, une instabilité constante des règles juridiques, et la promulgation quasi quotidienne de lois qui ne servent qu'à favoriser le détournement de l'impôt au profit de clientèles particulières.

 

En vilipendant le « laisser-faire », opportunément confondu avec le « laissez-faire », M. Delanoë semble trouver une justification à la continuation de cette inflation interventionniste, à la fois prédatrice et inhibitrice.

 

Une alouette libérale, un cheval socialiste ?

 

Il ne suffit pas de s'affirmer libéral pour l'être. Noyer une pincée de sel libéral dans un fond de sauce désespérément interventionniste ne produit pas un projet de société libéral. Le maire de Paris montre, s'il est sincère, qu'il n'a pas encore compris l'essence profonde du libéralisme. Les libéraux authentiques, s'ils doivent se féliciter de la chute d'un tabou dont les déclarations de MM. Valls et Delanoë sont les symptômes les plus révélateurs, doivent continuer à diffuser leurs idées en rectifiant les contresens commis par les « néo-libéraux » du PS, sans quoi le libéralisme risque de devenir ce qu'il est devenu dans la vie politique américaine, un mélange consternant d'utilitarisme économique et de relativisme moral qui éloigne chaque jour un peu plus la première puissance mondiale du rêve authentiquement libéral de ses pères fondateurs.

 

Vincent Bénard

Objectif Liberte.fr

Egalement par Vincent Bénard

 

Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones dédiés à la diffusion de la pensée libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement, crise publique, remèdes privés", ouvrage publié fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de marché pour y remédier.

 

Il est l'auteur du blog "Objectif Liberté" www.objectifliberte.fr

 

Publications :

"Logement: crise publique, remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat

Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république, bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La doc française, avec Pierre de la Coste

 

 

Publié avec l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits réservés par Vincent Bénard.

 

 

 

 

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