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Après les fleurs, les
épines. Certains dignitaires socialistes, et je m'en suis félicité, ont
osé affirmer qu'ils s'estimaient autant socialistes que
libéraux, ce qui ouvre une perspective nouvelle au débat
politique interne à notre pays. En effet, maintenant qu'une
personnalité de gauche de l'envergure du maire de Paris, Bertrand Delanoë, a admis dans son
dernier ouvrage « de l'Audace » qu'il y avait du bon à
prendre dans l'idée libérale, que le marché était
le seul moyen de produire des richesses, que concurrence et compétition
ne devaient plus être considérées comme des gros mots, la
tâche de ceux dont le discours politique se bornait à diaboliser
le libéralisme en toute circonstance se trouvera compliquée. Le
prêt à penser anti-libéral, qui leur tenait lieu d'intelligence,
ne sera plus que le cache misère de la vacuité de leurs
propositions.
Ceci dit, la lecture plus approfondie des
propos de M. Delanoë (extrait)
montre qu'à l'évidence, son libéralisme est très
altéré, ce qui fera, à juste raison, dire aux vrais
libéraux qu'il
n'est pas véritablement libéral. On s'en doutait un
peu, à vrai dire.
Bertrand Delanoë, dans son ouvrage
(p.49 à 53), commence pourtant fort justement par affirmer que le
libéralisme est avant tout une doctrine de droit, visant à
garantir à toute personne la jouissance de droits naturels
fondamentaux (liberté, propriété, sûreté,
résistance à l'oppression, cf. Déclaration de 1789,
art.2) pourvu que l'exercice de ces droits n'obère pas la jouissance
de ces droits pour autrui (art. 4). Jusqu'ici, tout va bien, on
pourrait croire qu'il lit objectif liberté !
Mais, dès le départ, M.
Delanoë rejette le libéralisme comme, je cite, orthographe du
livre conservée, «
fondement économique et même sociétal, avec ses corollaires
: désengagement de l’Etat et laisser-faire économique et
commercial ».
Sophismes ?
Mr. Delanoë, dans un premier temps,
affirme que les humains ont le droit de rechercher le bonheur par les voies
qui leur sont propres, ce qui est la définition même du
libéralisme. Pourtant, il dénie au libéralisme le
rôle de « fondement économique et sociétal ».
Voilà qui n'est guère cohérent: ou bien le fondement
« sociétal » régissant nos vies doit être ce
droit à la recherche individuelle du bonheur, ou bien il ne doit pas
l'être, et l'on quitte le champ du libéralisme pour rentrer dans
celui de l'imposition collective de normes pouvant aller à l'encontre
des souhaits individuels.
Du principe de la liberté des
choix individuels découle naturellement l'établissement d'une
économie libérale. L'individu doit être libre de
rechercher à contracter avec un employeur qui lui convienne, ou de
risquer son capital dans une entreprise susceptible de le fructifier, libre
de ses choix de consommation, pourvu qu'il en assume les coûts. Mais
puisqu'il ne peut empiéter sur la liberté d'autrui, il ne peut
en aucun cas imposer à l'autre d'accepter les termes de son contrat:
l'entrepreneur dont la production ne trouve pas preneur peut être mis
en faillite, le salarié d'une entreprise insuffisamment performante ne
peut espérer que son emploi soit garanti, etc... M. Delanoë
reconnaît qu'il ne sert à rien de vouloir surprotéger les
emplois existants, que cela se fait toujours au détriment de ceux qui
n'ont pas d'emploi, qu'il faut repenser la gestion de la mobilité
professionnelle. Voilà qui est sensé, mais alors pourquoi ne
pas reconnaître au libéralisme le rôle de fondement
économique et sociétal ?
Mr. Delanoë critique le «
désengagement de l'état » qu'implique le
libéralisme. Mais lorsque l'intervention de l'état revient à
limiter de façon aussi abusive qu'aujourd'hui la
liberté des individus de créer, de contracter, de prendre des
risques individuels, et ce généralement sous la pression
d'intérêts catégoriels, le désengagement de
l'état n'est il pas alors la condition première du retour
à plus de liberté dans les voies offertes à la recherche
du bonheur individuel ?
Il y a sans doute, dans les
incohérences de B. Delanoë, une part de calcul politique. M.
Delanoë se rend compte que le PS ne peut plus refuser en bloc que le
droit comme l'économie ne soit fondés sur un socle
libéral, mais il ne doit pas violer les consciences des militants du
PS de façon trop brutale. Aussi pose-t-il tout de suite des limites
à son libéralisme, dût-il apparaître
incohérent aux « libéraux érudits », sachant
que les critiques de nature puriste qui lui seront opposées par les
rares libéraux assumés du paysage politique français
ne feront guère parler d'elles.
Utilitarisme ou esclavagisme
masqué ?
Un second aspect beaucoup plus
gênant du « libéralisme » de M. Delanoë est
évidemment son refus de remettre en cause les dogmes du PS concernant
l'état, le poids de la fonction publique, l'importance de la
redistribution. Il affirme que le PS doit rester le parti de l'impôt,
afin de financer des services publics forts et des redistributions
importantes.
Autrement dit, l'état doit
permettre à des entreprises privées de se lancer, d'entrer en
compétition, de réaliser des profits, doit permettre à
des cadres et dirigeants de créer de la valeur, mais... cette valeur
ne sera pas en grande partie créée pour eux mêmes mais
captée par l'état au profit des choix politiques satisfaisant
ses clientèles...
La liberté selon Delanoë sert
donc à créer des richesses pour que l'état puisse les
prendre ! Le "libéralisme" de M. Delanoë est donc avant
tout un utilitarisme : le libéralisme économique n'est dans
cette perspective utile que parce qu'il permet à l'état de se
servir une part dans un gâteau plus gros...
Que cela plaise ou non, nous ne nous
passerons pas dès demain de police publique, d'armée publique,
de magistrats publics. Si nombre d'activités aujourd'hui
gérées par l'état devraient être remises dans le champ
concurrentiel, certaines resteront, pour des raisons diverses, l'apanage
d'employés publics pendant encore longtemps. Le financement de ces
activités nécessitera donc l'existence de
prélèvements obligatoires. Mais un vrai libéral
s'honorerait de tout faire pour réduire la charge pesant sur le
contribuable, pas de la pérenniser. Et là encore, il convient
de se demander si ceux qui bénéficieront du produit de cet
impôt seront à leur tour soumis à des contraintes de
résultats comparables à celles du secteur privé, le
même risque pour leur carrière, voire leur emploi, s'ils se
révèlent insuffisants, ou si la gestion de ces personnels doit
rester empreinte de laxisme et de complaisance envers l'inefficacité,
comme cela est le cas aujourd'hui. De même, il conviendrait que les
redistributions à caractère social de l'état, lorsque
leur suppression n'est pas envisageable pour quelque raison que ce soit,
aillent réellement à ceux qui en ont besoin (contre exemple),
que leur mode de calcul ne constitue pas une extorsion opérée
au détriment de ceux qui n'appartiennent pas aux clientèles
électorales recherchées par les politiciens.
Or, si Bertrand Delanoë reste vague
sur ces questions, il continue de glorifier l'existence de services publics
nombreux et des impôts élevés. Si son
"libéralisme" revendiqué se satisfait de la captation
de la richesse produite par les uns au profit d'un secteur
surprotégé et hypertrophié, alors son libéralisme
est bien pire qu'un utilitarisme, il est un esclavagisme qui cache (mal) son
nom.
L'esclavagisme est l'antithèse du
libéralisme. Comme le dit lui même B.Delanoë, « il
n'est pas d'oppression juste ». Ce simple constat de bon sens
devrait l'amener à récuser les services publics
pléthoriques et statutairement protégés comme moyen juste
d'atteindre les objectifs « sociaux » qu'il assigne aux
politiques. Mais les contradictions internes de son parti tout comme, sans
doute, les tourments internes que lui infligent son conditionnement de longue
date aux dogmes les plus rétrogrades de son parti, lui interdisent
pour l'instant d'atteindre une telle cohérence.
Contresens : laisser-faire ou
laissez-faire ?
B. Delanoë assimile le
libéralisme au « laisser-faire » qui signifierait
l'abdication du pouvoir de l'état contre les abus commis par les
acteurs économiques les plus puissants. Mais il se trompe. Le
libéralisme n'est pas la doctrine du « laisser »,
mais du « laissez » faire. Cette distinction grammaticale
apparemment subtile n'est pas innocente. « laissez faire, laissez
passer », signifie que l'Etat ne doit s'opposer ni à
l'entreprise, ni au commerce, mais il n'est pas le "laisser-faire
n'importe quoi", celui du renard libre dans le poulailler libre, qui
n'est pas un libéralisme mais un mauvais ersatz, un capitalisme de
connivence entre grands dirigeants et ministres, hélas entré
dans les gènes de la société française depuis le
XIXème siècle. Le libéralisme laisse faire en ce sens
qu'il laisse entreprendre, mais n'exonère pas l'entreprise humaine de
ses responsabilités si l'aventure tourne mal, et ne donne pas au
politique le pouvoir de favoriser ses protégés. Pas de
liberté sans responsabilité, pas de libéralisme sans
égalité devant la responsabilité.
Le libéralisme n'est pas l'absence
de régulation,il est une philosophie différente et simple de la
régulation, fondée sur la sanction sans faiblesse des atteintes
aux droits naturels d'autrui, et de ces atteintes là uniquement, par
des tribunaux jugeant en toute indépendance, cette sanction devant
constituer une dissuasion nécessaire et suffisante des comportements
dangereux ou malhonnêtes.
Naturellement, le principe
théorique est plus facile à énoncer qu'à
appliquer. Certains individus commettent de bonne foi des actes
préjudiciables dont ils ont mal évalué les risques, et
dont les effets peuvent être douloureux. D'autres tentent de profiter
de leur position économique et sociale pour se soustraire au principe
de responsabilité individuelle. L'existence de ces écueils
crée de la demande politique pour des lois de régulation
préventive venant contraindre les acteurs de la société
avant qu'ils n'agissent. La société parfaite ne pouvant
exister, le système légal se mue alors en compromis entre un
laissez-faire libéral sous la contrainte du risque de sanction, et une
réglementation préventive limitant la capacité des
individus à agir constamment suivant leur seule volonté. Le
libéral souhaite que l'équilibre penche fortement en faveur du
laissez-faire. Nous constatons sans peine que le la situation d'aujourd'hui a
au contraire largement privilégié la prévention
réglementaire, devenue castratrice et abusive, avec 600 000 textes
opposables aux tiers, une instabilité constante des règles
juridiques, et la promulgation quasi quotidienne de lois qui ne servent
qu'à favoriser le détournement de l'impôt au profit de
clientèles particulières.
En vilipendant le « laisser-faire
», opportunément confondu avec le « laissez-faire »,
M. Delanoë semble trouver une justification à la continuation de
cette inflation interventionniste, à la fois prédatrice et
inhibitrice.
Une alouette libérale, un cheval
socialiste ?
Il ne suffit pas de s'affirmer
libéral pour l'être. Noyer une pincée de sel
libéral dans un fond de sauce désespérément
interventionniste ne produit pas un projet de société
libéral. Le maire de Paris montre, s'il est sincère, qu'il n'a
pas encore compris l'essence profonde du libéralisme. Les
libéraux authentiques, s'ils doivent se féliciter de la chute
d'un tabou dont les déclarations de MM. Valls et Delanoë sont les
symptômes les plus révélateurs, doivent continuer
à diffuser leurs idées en rectifiant les contresens commis par
les « néo-libéraux » du PS, sans quoi le
libéralisme risque de devenir ce qu'il est devenu dans la vie
politique américaine, un mélange consternant d'utilitarisme
économique et de relativisme moral qui
éloigne chaque jour un peu plus la première puissance mondiale
du rêve authentiquement libéral de ses pères fondateurs.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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